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9 mai 2004 — C’est un phénoménal article que celui que publie le Washington Post d’aujourd’hui, sur la situation à l’intérieur des forces armées et du Pentagone, à propos de la question : va-t-on ou non gagner cette guerre ? (Titre : « Dissension Grows In Senior Ranks On War Strategy — U.S. May Be Winning Battles in Iraq But Losing the War, Some Officers Say. »)
… D’abord, sur le fait lui-même : il y a bien un an et 9 jours, le 1er mai 2003, que le président des Etats-Unis a déclaré la victoire, en grande pompe, à bord du porte-avions Abraham-Lincoln ? Alors, de quoi discute-t-on aujourd’hui au Pentagone et parmi les officiers généraux, et de quelle guerre s’agit-il ? L’acte virtualiste que constituait la victoire annoncée le 1er mai, — on constate aujourd’hui combien c’en était un, — affaiblit considérablement les défenses psychologiques face à l’interprétation de la situation actuelle comme étant une marche vers la défaite. Au plus l’interprétation du 1er mai 2003 apparaît outrancière par rapport à la réalité, au plus le contraste que forme la réalité avec elle invite au pessimisme. Désormais, nombre de généraux américains débattent, non de la possibilité de la défaite mais des modalités de la défaite…
(Jusqu’à l’observation du général Abuzaid, commandant en chef du théâtre, donnant officiellement comme réponse à la question sur la victoire stratégique qu’il y a des “opportunités” d’une telle victoire… « The top U.S. commander in the war also said he strongly disagrees with the view that the United States is heading toward defeat in Iraq. “We are not losing, militarily,” Army Gen. John Abizaid said in an interview Friday. He said that the U.S. military is winning tactically. But he stopped short of being as positive about the overall trend. Rather, he said, “strategically, I think there are opportunities.” »)
Quelques extraits des réflexions d’officiers supérieurs :
« Army Maj. Gen. Charles H. Swannack Jr., the commander of the 82nd Airborne Division, who spent much of the year in western Iraq, said he believes that at the tactical level at which fighting occurs, the U.S. military is still winning. But when asked whether he believes the United States is losing, he said, “I think strategically, we are.”
» Army Col. Paul Hughes, who last year was the first director of strategic planning for the U.S. occupation authority in Baghdad, said he agrees with that view and noted that a pattern of winning battles while losing a war characterized the U.S. failure in Vietnam. “Unless we ensure that we have coherency in our policy, we will lose strategically,” he said in an interview Friday.
» “I lost my brother in Vietnam,” added Hughes, a veteran Army strategist who is involved in formulating Iraq policy. “I promised myself, when I came on active duty, that I would do everything in my power to prevent that [sort of strategic loss] from happening again. Here I am, 30 years later, thinking we will win every fight and lose the war, because we don't understand the war we're in.” »
Corollaire de cette situation où la défaite est non seulement devenue “une option”, mais apparaît déjà comme l’option principale et sera bientôt, demain, la seule option raisonnable, un vent de révolte contre la direction civile, dont on a vu de sérieux signes avant-coureurs. Jamais dans l’histoire du Pentagone, depuis que celui-ci est organisé en ministère de la défense (1947), on a constaté une fronde aussi forte contre la direction civile. Même lors de la guerre du Viet-nâm, où les rapports entre McNamara et les chefs militaires étaient très tendus, la tension n’était pas si forte. Elle prend aujourd’hui des formes personnelles très brutales (Wolfowitz disant au reporter du Post qui lui parle de ces généraux contestataires : « Asked about such antagonism, Wolfowitz said, “I wish they'd have the — whatever it takes — to come tell me to my face.” »)
La grande différence avec les années 1965-68 est que l’objet de la révolte englobe également la haute direction militaire, notamment le président du Joint Chief of Staff [JCS] (le général Myers), perçu comme totalement acquis à Rumsfeld (en 1965-68, le JCS unanime défendait la même position contre certains aspects de la stratégie de McNamara). Cela implique que les militaires américains se jugent sans interlocuteur de rang acceptable, aussi bien vis-à-vis du secrétaire à la défense que vis-à-vis du président (le président du JCS est traditionnellement le principal conseiller militaire du secrétaire à la défense et du président, directement par rapport à chacun ; le président du JCS a un fauteuil de plein droit, correspondant en importance à celui du secrétaire à la défense, au National Security Council du président). Cela implique encore que des mouvements incontrôlés sont possibles à des niveaux subalternes, soit dans la conduite des opérations comme cela est déjà sans doute le cas à Falloujah, soit, plus gravement, dans des cas de confrontation entre différentes autorités.
Sur la colère des militaires vis-à-vis de leurs autorités :
« Tolerance of the situation in Iraq also appears to be declining within the U.S. military. Especially among career Army officers, an extraordinary anger is building at Rumsfeld and his top advisers.
» “Like a lot of senior Army guys, I'm quite angry” with Rumsfeld and the rest of the Bush administration, [a] young general said. He listed two reasons. “One is, I think they are going to break the Army.” But what really incites him, he said, is, “I don't think they care.”
» Jeff Smith, a former general counsel of the CIA who has close ties to many senior officers, said, “Some of my friends in the military are exceedingly angry.” In the Army, he said, “It's pretty bitter.” Retired Army Col. Robert Killebrew, a frequent Pentagon consultant, said, “The people in the military are mad as hell.” He said the chairman of the Joint Chiefs of Staff, Air Force Gen. Richard B. Myers, should be fired. A spokesman for Myers declined to comment. A Special Forces officer aimed higher, saying that “Rumsfeld needs to go, as does Wolfowitz.” »
Si la situation continue à évoluer dans le sens où on la voit faire actuellement, on peut aller vers des événements extrêmement graves de conflits internes, avec des répercussions sur le terrain et des répercussions à Washington. Des signes de mécontentement ou de désordre apparaissent partout pour confirmer l’analyse présentée ici, et surtout la réalité d’un climat extraordinairement délétère. La question aujourd’hui ouverte, en cas d’une “défaite”, c’est-à-dire d’un retrait prématuré des forces armées, est bien celle de la cohésion générale des forces armées américaines, particulièrement de l’U.S. Army.
Pour confirmation, voici quelques indications sur le climat actuel au sein de l’administration, des forces armées, jusqu’à des indications sur la situation et l’activité du commandement, — indications extraites d’ un article du Financial Times du 8 mai.
« Insiders describe a lack of direction and a prevailing sense of gloom and desperation in the administration. This gloom has only been intensified by the exposure of torture and sexual abuse of Iraqi prisoners.
» Analysts point to an absence of clearcut strategy that has seen repeated personnel changes and policy reversals resulting from continuous battles between the State Department and the Pentagon. The White House national security advisers are blamed for not resolving the interagency battles.
(…)
» “They [the administration] are flying blind,” comments one former official just back from service in Baghdad. “They recognise it is a mess. There is no consistency in vision and when they do agree, there is no consistency in implementation.
» “We are seeing a devolution of powers in an absence of clear strategy. Local commanders are making local decisions that have profound implications for the rest of the country.”