L’OTAN, l’Irak, Istanbul et Blair avec une main liée derrière le dos

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L’OTAN, l’Irak, Istanboul et Blair avec une main liée derrière le dos


28 juin 2004 — Le sommet de l’OTAN à Istanbul a commencé dans une atmosphère très tendue à peine grimée par les pauses virtualistes des uns et des autres, ce qui est désormais une coutume pour cette sorte de manifestation. La chose a été largement documentée et elle est évidente depuis des semaines : il existe un désaccord profond entre les Américains, avec Blair du côté de GW évidemment (soupir), et Chirac-le-Français d’autre part, qui, comme d’habitude, parle pour tous les autres qui se taisent.

La querelle empêchera évidemment un engagement réel et substantiel de l’OTAN en Irak tout en compromettant un peu plus l’OTAN comme instrument à la disposition de l’équipe de la campagne électorale du président des Etats-Unis. Il y aura, là-dessus, bien des experts pour élaborer des thèses géopolitiques à partir de l’“engagement” de l’OTAN, et l’on comprend alors ce que l’on doit en penser. On doit tout de même noter, par politesse, que l’OTAN a décidé d’accéder à la demande du gouvernement irakien d’entraîner des forces irakiennes, mais que cela est présenté de façon à ce que toutes les formules soient possibles, y compris bien sûr celles qui évitent tout engagement physique de tel ou tel soldat de tel ou tel État-membre sur le sol irakien, y compris pas d’entraînement du tout pour tel ou tel.


« Nato will agree a strictly limited increase in its role in Iraq today, as it seeks to sweep aside bitter divisions over the US-led war which last year provoked the biggest crisis in the alliance's history.

» With France and Germany pressing for a minimalist commitment to Iraq, the 26 Nato allies will meet amid massive security to agree to help train Iraqi security forces while leaving open the question of a larger, long-term role. Some Nato military instructors are likely to be deployed in the country, though the precise numbers remained unclear last night. »


Comme par un hasard qui fait bien les choses, l’ouverture du sommet avait été précédée de l’annonce du transfert, deux jours plus tôt que prévu, de la “pleine souveraineté” au gouvernement irakien. Cela constituait une concession pour les pays anti-guerre, en supprimant la réalité un peu lourde de l’occupation très visible du pays, avec Paul Bremer en position de fanion. La décision US a contribué à faciliter l’adoption de la décision de la possibilité d’entraîner des forces irakiennes et, ici et là, aidé à peindre un sourire ou l’autre sur quelques visages de chefs d’État et de gouvernement.

La présence d’un des acteurs du sommet, Tony Blair, avait été accompagnée de certains commentaires restrictifs sur sa position, par rapport à ses habituels emportements américanophiles. Par exemple, on lit dans le Guardian du jour que « Tony Blair flew into Istanbul last night intent on talking up the summit's chance of achieving even a modest success in respect of Iraq and in terms of a wider Nato role in “forgotten” Afghanistan, but was keen to say nothing that would further offend France. »

La raison de cette retenue tient à ce que les travaillistes et le gouvernement sont profondément alarmés du fait que Blair se soit aliéné quelques pays européens puissants, notamment la France, dans les enceintes européennes, à cause de sa politique irakienne. Les travaillistes ont besoin d’une “grande politique européenne”, surtout face aux épreuves qui les attendent (référendum). S’aliéner un pays de l’importance de la France dans le concert européen, pour une politique irakienne qui a montré toutes ses catastrophiques faiblesses et son peu d’intérêt pour les intérêts britanniques, représente une énorme erreur, selon les travaillistes.

Cette réalité politicienne britannique a été marquée par une mesure extraordinaire prise à l’encontre de Blair. Il s’agit de la création d’une Commission au plus haut niveau (ministres, dirigeants des services de sécurité, etc) chargée de suivre, de surveiller, éventuellement de modérer ou d’infléchir la politique pro-américaine de Blair, et ses rapports avec GW Bush.


« Jack Straw, the Foreign Secretary, will chair the new committee, which will also be attended by Gordon Brown, the Chancellor of the Exchequer, John Prescott, the Deputy Prime Minister, David Blunkett, the Home Secretary, and Geoff Hoon, the Secretary of State for Defence. The Chief of the Defence Staff and the Chairman of the Joint Intelligence Committee, which oversees intelligence from M15 and M16, will also be invited to attend.

» The body is one of several cabinet committees that meet in secret to discuss issues of high priority. But the UK/US relations committee is unique in that no other cabinet committee is devoted to relations with a single country.

» Its establishment was being interpreted at Westminster yesterday as a “brake” on Tony Blair and a way for the Cabinet to ensure that other senior ministers are given full access to joint policies with the US President, George W Bush. There is concern within the Government that Mr Blair's relationship with Mr Bush is making the Government unpopular. »


Cette situation extraordinaire pour un Premier ministre britannique mesure autant la profondeur de la crise où est plongé le Royaume-Uni à la suite de la guerre irakienne, et l’incapacité actuelle de l’establishment britannique de trouver une solution de remplacement. En réalité, aujourd’hui Blair est quasiment isolé au sein de son cabinet, y compris de ministres comme Straw (affaires étrangères) et Hoon (défense), sur la profondeur de l’engagement pro-américain. Mais personne ne sait comment proposer la politique alternative évidente (plus pro-européenne sans nécessairement compromettre la souveraineté nationale), ni comment parvenir à établir une coalition politique soutenant cette orientation (bien qu’on trouve dans chaque partie suffisamment de dirigeants favorables à ce changement pour envisager qu’elle puisse être soutenue).