Non non, pas début août, début septembre…

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Non non, pas début août, début septembre…


4 août 2004 — Qu’est-ce qu’un « credible intelligence »  ? (Il est mieux d’écrire la chose en anglais, ou anglo-américain c’est encore mieux, parce que “renseignement crédible” cela fait un peu moins… crédible.) Qui n’a pas, dans sa manche ou dans ses tiroirs, un renseignement crédible ? Aujourd’hui, il suffit de l’écrire pour que l’idée soit diffusée. Il suffit d’émettre quelques initiales (CIA, MI6, si possible de l’anglo-saxon), pour qu’aussitôt l’esprit soit ouvert à l’information qui les accompagne.

L’esprit est si court qu’il n’envisage pas de faire un rapport de cause à effet entre le crédit qu’on lui demande d’accepter et l’extraordinaire fantasia de n’importe quoi qui a précédé l’attaque de l’Irak, du point de vue des informations sur la “puissance irakienne”, c’est-à-dire sur la nécessité de faire la guerre. Aujourd’hui, le général Tommy Franks, qui conduisit l’attaque contre l’Irak, écrit dans ses mémoires qu’il avait averti le président de l’échec prévisible. Dans American Soldier, Franks écrit qu’il avait averti « that a quick victory could lead to a ‘catastrophic success’ because they were not prepared for postwar anarchy in Iraq » (Nous voyons donc que les Américains ont inventé mieux qu’ “une victoire à la Pyrrhus” : le concept de “catastrophic success”. Question annexe : pourquoi Tommy Franks n’a-t-il pas démissionné plutôt que mener une bataille dont il devinait une issue aussi catastrophique ?)

Tout cela pour apprendre, comme nous en informe Newsday.com, qui vaut bien le Times, le Post et Le Monde en valeur d’information, que les alertes du début août ne valaient pas vraiment tripettes, que des « credible intelligences » nous disent que c’est plutôt début septembre qu’il faut s’attendre à du sérieux. Vous voulez des détails ?


« More financial institutions than previously disclosed may be at risk of attack, and an al-Qaida operative has told British intelligence that the group's target date is early September, intelligence sources said yesterday. The operative, described as “credible” by British intelligence, told his debriefers that the attack would take place “60 days before the presidential election” on Nov. 2, according to a former senior National Security Council official. On Sept. 2 President George W. Bush is expected to address the Republican National Convention at Madison Square Garden.

» Counterterrorism officials are analyzing data from a computer seized in Pakistan last month to see if financial institutions in addition to the five disclosed Sunday are at risk of attack, U.S. officials said yesterday. The former senior National Security Council official said he was told by British intelligence that they are interrogating an al-Qaida operative who confirmed that financial institutions are being targeted and that an attack was planned for September.

» And a U.S. official familiar with the ongoing analysis of the computer said, “There are references to other things” in the al-Qaida computer's data, including a picture of the Bank of America building in San Francisco. “There is mention of other places.” »


Résultat ? Aucun, rien ne peut être dit d’assuré, tant sur ces informations que sur la critique de ces informations. Aujourd’hui, à cause de la prolifération des sources, de la prolifération des canaux de communication, de la certitude affichée pour chacune de ces sources, de l’évidence des erreurs qui s’accumulent a posteriori une fois l’événement passé, une seule certitude émerge, — elle concerne évidemment l’incertitude absolue qui règne.

Cette incertitude n’est pas nouvelle, en réalité c’est une constance de l’Histoire. Ce qui a changé, quelque part entre le XVIIIe siècle et le XIXè siècle sans doute, c’est l’acquisition de notre prétention à la certitude acquise avec le Progrès et le modernisme. Aujourd’hui, cette certitude est en train d’être pulvérisée par la démonstration même, parce qu’elle s’applique désormais à un domaine totalement incertain, dont l’incertitude est pourtant immédiatement vérifiable. (On pouvait affirmer de fausses certitudes avec les Russes, leur puissance, etc, parce qu’aucun événement décisif comme une conquête ou une attaque qui n’a pas lieu ne venait les contredire. Aujourd’hui, les certitudes affirmées sur l’Irak ou sur le terrorisme sont immédiatement infirmées par l’expérience. C’est là le grand événement de ce temps historique.)

On en revient aux thèses générales. Face au dogmatisme de la certitude, qui s’appuie au niveau moral sur la vision manichéiste du monde entre “bons” et “mauvais”, il n’existe qu’une seule voie qui est celle de l’acceptation de la réalité, c’est-à-dire la réalité multiple du monde. Cette idée est évidemment commune (on la retrouve par exemple dans l’excellent texte du Dr. Michael A. Weinstein sur les erreurs du renseignement à la lumière des conclusions de la Commission 9/11). Elle n’appelle aucune “solution” particulière, sinon la simple acceptation de la réalité (et, pour ce qui est du terrorisme, une action diplomatique, d’information, de politiques plus équilibrées, etc). Le seul défi aujourd’hui est l’acceptation du fait que la vision du monde selon les facteurs de certitude et du manichéisme notamment pratiqué par l’américanisme n’a plus rien à voir avec la réalité du monde, et même avec la réalité immédiate, quasiment “en temps réel”. Cette évidence est aujourd’hui devenue insupportable et explique toute notre crise.