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8 août 2004 — Les Français suivent passionnément les événements américains, mais, en général d’un œil “parisien”, c’est-à-dire un œil plein de certitudes et affublé d’une vision de l’Amérique très spécifique et fabriquée dans les ateliers germano-pratins, cafés ou bars chic des grands hôtels, et salles de rédaction. Cette vision est faite d’une vertu considérable, tant le véritable sentiment français à cet égard, — c’est-à-dire le sentiment des élites et intellectuels, — est celui de l’Amérique comme vision idyllique et sans rivale possible, une vision paradisiaque.
Ainsi s’explique ce texte du Monde, publié le 4 août, et qui nous annonce que « M. Bush userait de la menace terroriste comme “carte” électorale ». L’article présente effectivement l’épisode des alertes des 1er-2 août comme la révélation que les alertes contre d’éventuelles attaques terroristes pourraient constituer des manipulations à caractère politique, de la part de l’administration GW Bush.
« Depuis l'alerte décrétée dimanche, la polémique enfle sur l'usage de la peur à des fins politiques en vue du scrutin présidentiel de novembre. L'actualité des plans d'attaque de centres financiers à New York et Washington par Al-Qaida est mise en doute par la presse et des démocrates.
» George Bush exploite-t-il plus que de raison le filon de la peur à des fins électorales ? La question, qui a toujours trotté dans la tête de certains démocrates sans qu'ils osent s'en inquiéter trop haut, est désormais ouvertement posée aux Etats-Unis.
» Le doute a commencé à s'installer dès la nouvelle alerte lancée dimanche 1er août par le secrétaire à la sécurité intérieure, Tom Ridge, sur de possibles attentats terroristes contre les institutions financières sur le territoire américain. Trois jours après la clôture de la convention démocrate, avec en point d'orgue un discours très ferme et très médiatisé de John Kerry sur la force de l'Amérique, la date tombait en effet à pic pour permettre à l'administration Bush de reprendre l'initiative en matière de sécurité. Certains sondages donnaient un léger avantage à M. Kerry sur M. Bush, et l'un d'entre eux, en particulier, révélait que le problème de crédibilité dont souffrait le candidat démocrate en matière de lutte contre le terrorisme était presque surmonté. »
C’est depuis la fin novembre 2003 que l’hypothèse d’une attaque terroriste durant l’élection présidentielle, avec effet direct sur cette élection ou sur la situation institutionnelle de l’Amérique, est régulièrement évoquée. (Voir le 4 janvier 2004, ou le 17 mars 2004, entre autres dates.) Pour Le Monde, elle ne devient “officielle”, c’est-à-dire digne d’être imprimée et accompagnée d’un commentaire circonstancié que le 4 août 2004, après que la chose soit devenue assourdissante, jusque dans les rangs des démocrates eux-mêmes, qui finissent par reconnaître qu’il se passe quelque chose.
On a ainsi mis en évidence le lien le plus fort qui unit les élites trans-occidentales, et particulièrement transatlantiques, et particulièrement les élites parisiennes et américanistes, qui est le lien d’un conformisme extraordinaire, un conformisme de fer, fondé sur le respect absolu du pouvoir constitué, de ce qui représente la force. Ces élites sont totalement incapables de suivre un jugement indépendant, lequel eût été de s’aviser de l’interview d’un homme de l’importance du général Franks annonçant, en novembre 2003, la possibilité d’une attaque et les suites manipulatrices qui pourraient en être tirées au niveau institutionnel.
Le phénomène de l’ère postmoderne le plus intéressant, le plus remarquable, est cet alignement inconditionnel des élites s’intitulant elles-mêmes “libérales” sur un pouvoir militariste, autoritaire, primaire et xénophobe. Mais on pourra nous répondre que Le Monde a enfin vu la lumière et la communique à ses lecteurs, — une lumière venue de John Kerry. Cela situe dans tous les cas le niveau d’information des journaux qualifiés de “journaux de référence” dans nos démocraties occidentales.
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