A propos de l’“USAF’s tatouille” (suite)

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A propos de l’“USAF’s tatouille” (suite)


10 août 2004 — Nous enchaînons sur le sujet développé hier concernant « L’Inde s’en va-t-en-guerre (vs US) ». Nos lecteurs trouveront, joints à ce texte, trois commentaires de l’un des leurs, “Anamorphose”, sur un des aspects de ce texte : la “tatouille” de l’USAF face à la force aérienne indienne (IAF, ou Indian Air Force). “Anamorphose” joint à ses commentaires des articles sur cette aventure aérienne, pour alimenter cet aspect du sujet.

Nous n’avions pas directement traité de cette question de l’USAF vs IAF, l’introduisant simplement comme l’illustration d’un fait stratégique et psychologique fondamental (l’évolution de la perception de l’hyper-puissance américaine par les autres). Ici, nous nous attachons plus particulièrement à ce point, à l’invitation implicite d’“Anamorphose”.

(On notera d’abord notre imprécision, voire notre erreur. Nous parlions d’un exercice qui se serait déroulé en juin entre des avions de l’Alaskan Air Command (USAF) et des avions de l’IAF, alors que les textes fournis par “Anamorphose” citent un exercice plus structuré en février 2004, dans le cadre de la campagne mise au point par l’USAF dans les années 1970 et qui se déroule chaque année entre unités, services, forces aériennes US et non-US, etc, effectuant des grands exercices de combat simulé à Nellis AFB, dans le Nevada (exercices Red Flag, Cope Thunder, etc). Il nous paraît logique d’observer qu’en cette occurrence, nous pourrions être effectivement dans l’erreur, et qu’il s’agisse bien d’un exercice qui aurait eu lieu en février plutôt qu’en juin. Nous n’avons pas cherché plus avant la réalité de l’information parce que ces circonstances n’importaient pas pour notre propos : l’essentiel est bien dans la “victoire” de l’IAF. L’étonnement initial d’“Anamorphose” (et le nôtre lorsque nous connûmes l’information) montre, soit dit en passant, combien nous dépendons tous de l’influence américaine tant la nouvelle d’une “défaite” US dans un combat classique de très haute technologie nous paraît tout simplement extraordinaire.)

Nous proposons quelques remarques sur cette question spécifique du combat aérien et de l’« USAF’s tatouille »

• La première remarque est du type “Plus ça change, plus c’est la même chose”. Comme montrent certains des textes fournis par “Anamorphose”, aussi bien que l’évocation de l’efficacité des MiG-21 modifié IAF, type Bison (le premier MiG-21 a volé en 1958 !), contre les F-15 US, on retrouve les mêmes travers des Américains que ceux qui furent les leurs au Viet-nâm dans la première campagne aérienne (Rolling Thunder, 1965-68) : une hyper-sophistication entraînant une hyper-centralisation, c’est-à-dire la perte des qualités individuelles d’adaptation, la perte du sens de l’initiative, la perte de la capacité d’intervenir dans des schémas tactiques autres que ceux enseignés à l’entraînement (l’ignorance de cette évidence qui empêche les schémas pré-conçus, pourtant répétée en théorie jusqu’à plus soif par les experts et soi-disant “historiens” US, que la guerre c’est le désordre, — selon la fameuse expression “the fog of the war”). Il fallut un immense effort d’adaptation de l’U.S. Navy puis de l’USAF, avec la création des fameuses écoles Top Gun à Miramar NAS (en 1969) pour la Navy et Nellis AFB pour l’USAF, l’application des entraînements en DACT (Dissimular Air Combat Tactics), etc, pour retrouver une supériorité aérienne reflétant la puissance américaine. Cela fut fait lors de la campagne aérienne de 1972 (Rolling Thunder II), avec un ratio de pertes en combat aérien passant (US-Nord Viet-nâm) de 1 contre 2.25/2.75 (1965-68) à 1 contre 10 (1972).

• … Mais le plus extraordinaire que nous montre la “tatouille” IAF-USAF, c’est, — remarque de type psychologique, — combien les Américains sont totalement imperméables à l’assimilation et à l’intégration de l’expérience dans leur psychologie, combien ils retombent dans leurs erreurs après les avoir temporairement écartées. Alors qu’ils avaient été contraints à une adaptation par les événements (Top Gun, DACT), ils ont très vite bureaucratisé ces développements, les ont américanisés en quelque sorte. Ils en sont revenus à la notion de systèmes, avec centralisation, automatisme des tactiques, prédation de l’initiative, de l’adaptation, etc. (On voit cela dans les exercices Red Flag, qui sont de faux-exercices malgré la gloire que les pilotes non-US croient y trouver en y participant : en réalité, Red Flag crée un monde de combat simulé “américanisé”, fait pour correspondre aux théories américanistes.) Mais, dira-t-on, n’ont-ils pas raison puisqu’ils remportent victoire sur victoire ? Oui, mais quelles victoires ? Contre l’Irak, contre les Serbes qui n’ont pas effectué une seule sortie défensive digne de ce nom en 1999, contre la “Taliban Air Force” en Afghanistan ? Depuis 1990, le Pentagone se choisit des guerres sur mesure avec des ennemis sur mesure aux capacités mille fois moindres, des Red Flag en Irak, au Kosovo et en Afghanistan, contre des adversaires type-Moyen Âge, déclenchées au jour et à l’heure choisis par les US, après pilonnage en règle de la défense aérienne adverse, etc. Ce qui, soit dit en passant, conduit tout de même le Pentagone à ce que le général Franks nomme des “catastrophic successes” (Irak, Afghanistan), sorte de “victoires écrasantes” transformées en “auto-tatouilles” si vous voulez. Aujourd’hui, la “tatouille” IAF-USAF va donner plus d’un cauchemar aux pentagonesques experts, experts surtout en gaspillage et en ignorance des réalités du monde.

• Le paradoxe est que les Américains montrent exactement les défauts qu’ils reprochent aux autres, et surtout aux sociétés communistes bureaucratisées. Pendant les années 1960-80, les forces aériennes soviétiques étaient moquées (lorsqu’il s’agissait d’exalter l’intelligence anglo-saxonne) pour leur centralisme, le refus de l’initiative individuelle, etc, tout cela marquant en plus les travers d’une société non-démocratique, sans liberté individuelle, etc. Voyez ce que font les Américains. Cela en dit long sur le système américaniste, une fois écarté le brouillard du virtualisme. Nous sommes ici dans la psychologie politique, pas dans la tactique du combat aérien.

• En effet, dans tout cela nous retrouvons une constante : l’incapacité fondamentale des Américains à percevoir le monde tel qu’il est. Les Américains ne peuvent imaginer que quelque chose d’autre que l’Amérique existe. Ils “américanisent” le reste du monde, en l’ignorant tel qu’il est et en le méprisant tel qu’il est. Nos chers Américains, avec lesquels nous sommes si méchants d’être si injustement anti-américains, ne sont pas au bout de leur peine, voire de leur chute.

• Cela écrit, et avec quel entrain, nous répétons ce que nous écrivions hier : les matériels US sont vieux, dépassés. Peut-être que l’“USAF’s tatouille” servira aux Américains à faire la promotion de leurs nouveaux matériels au Congrès (mais nous ne pensons pas, contrairement à la suggestion d’ “Anamorphose”, à du machiavélisme : les Américains, qui ignorent le reste du monde, la complexité du monde et la diversité humaine, sont totalement dépourvus du génie caractérisant notre cher Nicolaï). Il reste que les F/A-22 et autres JSF/F-35 sont perdus d’avance, ce sont des “prisons américanistes”. Ces avions-là, qui valent plus cher que leur poids en or, seront, au contraire de ceux qui les ont précédés, incapables de s’adapter. Ou bien, tout marchera comme sur des roulettes et ils balaieront tout (cas des scénarios des films hollywoodiens), ou bien le désordre de la guerre s’installera et ils connaîtront quelques “tatouilles” de dimension (cas de la réalité), — enfin, s’ils entrent un jour en service d’une façon véritablement opérationnelle, et si ce type de guerres a encore un sens. (Mais il restera Red Flag pour alimenter la gloire de l’USAF, une fois que l’invitation à l’IAF aura été écartée.)

•  Ci-dessous, quelques extraits du Times of India sur ces affrontements USAF-IAF, qui renforcent certaines remarques faites ci-dessus.


« What really happened is as follows: US Air Force underestimated the India Air force Pilots and their numerical skill. They thought these are another set of Iraqi or Iranian Pilots. The numerical analysis and problem solving capability of IAF Pilots are well known and are probably the best in the world. In absence of signal intelligence, satellite guidance and automated software control, USAF faced Indians who were world class and far superior than their US counterpart. IAF recruits the country’s best brains in Air Force. It is prestigious too. USAF can only recruit willing average or slightly above average. In addition, in absence of superior communication and jamming, Indians proved absolutely formidable.

» On the face of it, the performance of the IAF, with its oft-reported air crashes in an aging, non-American fleet, might seem surprising. But US officials told the magazine that the Indians were much better than they had bargained for.

» “What happened to us was it looks like our red air training might not be as good because the adversaries are better than we thought,” the article quoted Col. Mike Snodgrass, commander of the 3rd Wing at Elmendorf Air Force Base, as saying. “And in the case of the Indian Air Force both their training and some of their equipment was better than we anticipated.” »


… Et thank you à “Anamorphose” !