Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
237125 novembre 2004 — Le Pentagone a rouvert la compétition pour un marché de cent avions ravitailleurs en vol (tankers), pour un budget compris entre $19 et $23 milliards. Ce marché considérable secoue le Pentagone depuis trois ans, alors qu’il semblait initialement ne s’agir que d’une simple formalité pour que Boeing emporte le budget d’un peu plus de $17 milliards pour cent Boeing 767 (désignés KC-767) en leasing pour dix ans. La proposition introduite dans le trouble et l’atmosphère hyper-patriotarde qui suivait le 11 septembre 2001 ne semblait ne devoir soulever aucune difficulté. A la fin du printemps 2003, tout semblait enfin finalisé et, en juin 2003, le Pentagone donna son accord, suivant en cela la recommandation de l’USAF.
Le marché, marqué par des interventions diverses et des cas de corruption importants, assurait à Boeing un bénéfice colossal calculé à $2.3 milliards (l’équivalent du bénéfice réalisé sur la vente de 1.033 Boeing 737), qui permettait à la société géante de résoudre des problèmes financiers graves. En juillet 2003, Jeffrey Saint-Clair, de CounterPunch, avait exposé cet aspect du marché.
« Early this summer, a top Wall Street stock picker issued a glowing report about Boeing: buy, buy, buy. The unusually rosy assessment for the troubled company had nothing to do with the need to replenish the Pentagon's arsenal of cruise missiles depleted by the Iraq war or the Bush administration's drive to implement Star War, both of which will net Boeing billions. No, this analysis, written by Heidi Wood, a vice-president at Morgan Stanley, pointed to ''a no risk'' risk deal with the federal government to lease 100 Boeing-767 tanker aircraft.
» According to Wood's report, the deal will generate $2.3 billion in profit for Boeing. To put this in perspective, that's about as much profit as Boeing reaps for the sale of 1,033 of its 737 commercial airliners. From Boeing's perspective, the great part of the tanker deal is that the company has few obligations, yet the government is locked into the leases, even if it proves that the Pentagon doesn't need the planes. Boeing is guaranteed a 15 percent profit on each plane it delivers. ''There's substantially less risk than is common in the commercial aircraft market,'' Wood wrote.
» Wood should know what she's talking about. The Wall Street Journal calls her the top stock analyst in the Aerospace / Defense sector and she also serves as a Bush appointee to the Commission on the Future of the US Aerospace Industry. »
Des difficultés ont surgi in extremis, notamment avec la susceptibilité du sénateur McCain, jugeant Boeing un peu trop sûr d’emporter ce marché et furieux du comportement du Pentagone qui refusa de communiquer certains documents aux législateurs. Effectivement, le contractant et son acheteur ont présenté le programme comme s’il était d’ores et déjà acquis. La résistance du sénateur McCain s’est d’autre part appuyé sur le constat que ce programme n’avait pas suivi les règles de sélection par concurrence, que Boeing s’était présenté dans cette affaire comme détenteur d’un véritable monopole. Il est vrai que le seul concurrent possible était EADS, le consortium européen, avec une proposition Airbus. Cette proposition n’a jamais figuré sérieusement dans la non-compétition ayant abouti à la décision du Pentagone de juin 2003 de faire démarrer le programme Boeing.
Enfin, une grave affaire de corruption est venue encore alourdir le dossier. Entre juin 2003 et le début 2004, le programme s’est complètement effondré et dès le printemps 2004, l’abandon était acquis. La décision du Pentagone du 23 novembre de rouvrir le programme à une compétition est la sanction logique de cette suite d’événements. Sans aucun doute, c’est l’affaire de corruption impliquant Darleen A. Druyun, qui est l’aspect le plus préoccupant. Druyun a occupé pendant 9 ans (1993-2002) le poste de l’attribution des grands contrats du Pentagone, pratiquement sans surveillance, comme l’a reconnu avec embarras Donald Rumsfeld, le 23 novembre. Druyun a quitté le Pentagone en 2002 pour un poste de vice-président chez Boeing. Inculpé de corruption, elle vient d’être condamnée à neuf mois de prison.
« Defense Secretary Donald H. Rumsfeld blamed an Air Force procurement scandal on high turnover in top management positions, which he said reduced the amount of ''adult supervision'' of major weapons contracts over the past decade.
» Cautioning that his view isn't yet ''definitive,'' Rumsfeld said at a Pentagon news briefing yesterday that he had recently been looking into the case of former Air Force acquisition official Darleen A. Druyun, who last month was sentenced to nine months in prison after admitting to granting favors in contracts to aerospace giant Boeing Co. before going to work there. Earlier this month, Michael M. Sears, Boeing's former chief financial officer, pleaded guilty to a conflict-of-interest charge for his role in hiring Druyun while she was overseeing large contracts with the company.
» Rumsfeld said he was struck that during the nine years in which Druyun had been a top Air Force weapons buyer, there had been heavy turnover among other senior managers who might have questioned some of her decisions if they had been on the job longer. From the time Druyun became the Air Force's deputy acquisition chief in 1993 until her retirement in 2002, he said, the positions of secretary of the Air Force, assistant secretary for acquisition and senior military official for acquisition had all changed several times.
» ''So what you had with all these vacancies over a 10-year period . . . the only continuity was that single person, who's now pled guilty and is going to go to jail,'' he said. ''When you have that long period of time, with . . . no one above her and no one below her, over time I'm told that what she did was acquire a great deal of authority and make a lot of decisions, and there was very little adult supervision.'' »
McCain a également mis en cause le secrétaire à l’Air Force démissionnaire depuis la mi-novembre, James Roche, qui est défendu par Rumsfeld. Le rôle de Roche est ambigu, dans la mesure où c’est lui qui a également dénoncé le contrat avec Boeing. Roche a mis en cause tout le processus de restructuration de l’industrie aérospatiale US (pourtant présenté unanimement comme un modèle du genre). Selon lui, ce schéma de restructuration mène au monopole.
En mars 2004, Roche déclarait au National Defense Magazine :
« The debacle could have been avoided if there had been a legitimate competition. The European consortium Airbus is the only other vendor that could have competed with Boeing, but a contract of that magnitude — worth about $23 billion — would not likely have been awarded to a non-U.S. supplier.
» Part of the problem is the collapse of the defense industry. We are increasingly dealing with monopolies. When I was in the industry, I said it was wrong to over-consolidate, and that we would come to regret it. »
Le marché rouvert, on devrait essentiellement trouver un concurrent Boeing sur la défensive et dans une situation extrêmement délicate, politiquement et financièrement, et un concurrent EADS/Airbus revigoré, avec la perspective mirifique d’un énorme marché du Pentagone pour un concurrent européen, — ce que certains, en Europe, voient comme une véritable révolution dans les rapports transatlantiques.
En réalité, on est très loin du compte et d’une telle issue, même si, techniquement et industriellement, cela paraît la seule voie possible. Il est évident que cette énorme affaire n’en restera pas là, — c’est-à-dire qu’elle ne se déroulera pas calmement, simplement en suivant un processus d’évaluation et de sélection où EADS est favori. Ce qui est en cause, au travers de divers points de controverse politique qu’on a vu, c’est toute la validité du système industriel et bureaucratique de l’armement aux USA, — c’est-à-dire, rien de moins que le fondement de la puissance américaine.
Sur cet important problème, on peut consulter d'autres textes sur dedefensa.org
• Nous mettons en ligne aujourd'hui une analyse extraite de Context, juillet 2004, sur la consolidation de l'industrie de défense US, dix ans après, dans laquelle cette question du marché des avions ravitailleurs est évoquée.
• On trouve également la rubrique Analyse de de defensa-papier, en date du 25 juin 2004, consacrée à la même question de l'échec de la restructuration de l'industrie de défense US.
• La bataille légale Airbus-Boeing, voulue par Boeing, est également liée à cette affaire des ravitailleurs en vol. Voir notre Analyse du 11 novembre.
• On doit également se référer à l'extraordinaire discours sur le danger de la bureaucratie US, prononcé par Rumsfeld la veille de l'attaque du 11 septembre 2001.