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19 décembre 2004 — Il aura fallu le désastre irakien pour forcer le Pentagone à envisager ce que quatre secrétaires à la défense successifs (Aspin, Perry, Cohen, Rumsfeld, sans compter éventuellement les velléités réformistes de Cheney-Powell en 1990-92) n’avaient pas réussi : envisager la restructuration de ses forces et de ses équipements conformément à l’époque post-Guerre froide. (Mesure de la paralysie du système washingtonien, contrairement à sa réputation de souplesse et de modernisme : 15 ans pour envisager une réforme impérative, réalisée par ailleurs par toutes les armées du monde, et cela sous la pression d’événements catastrophiques.)
Un très intéressant article du Boston Globe, du 17 décembre, nous annonce que la bureaucratie du Pentagone, ses experts, ses généraux et amiraux, etc, envisagent effectivement des transformations fondamentales.
C’est le tribut de l’aventure irakienne, qui a mis en évidence l’insuffisance dramatique des forces terrestres, l’inutilité des forces mécanisées et de hautes technologies de l’air et de mer pléthoriques. Les applications de ces enseignements s’imposent alors que le Pentagone approche de son plafond budgétaire (les augmentations demandées par les néo-conservateurs, de 4% du PNB à 5%-6% du PNB semblent décidément complètement irréalistes dans un contexte de situation budgétaire et monétaire générale de plus en plus inquiétante).
Ce qui est envisagé dans l’article du Boston Globe trace les grandes lignes de ce qui pourrait apparaître dans la QDR (Quadriennal Defense Review) de 2005. (La QDR est une revue générale des besoins et perspectives des forces armées, de leurs structures, de leurs équipements, etc, dans les quatre années qui viennent. Après une première application en 1993, la QDR a été instituée par le Congrès en 1996 pour tenter de forcer le Pentagone à envisager des réformes en projetant ses besoins en équipements à quatre années. Il y a donc déjà eu deux QDR soumises à la législation du Congrès, en 1997 et en 2001, cette dernière trop tard pour sérieusement prendre en compte l’attaque du 11 septembre. La QDR 2005 sera donc la première à envisager les structures militaires US post-9/11, — mais, surtout, à intégrer, volens nolens, les premiers enseignements de la catastrophe irakienne.)
(On commence à trouver, dans la presse spécialisée et de lobbying, des textes qui s'alarment de la prochaine QDR. C'est le cas de l'éditorial de Air Force Magazine, décembre 2004. Cet organe de lobbying de l'Air Force s'attend à « what could be described as a “perfect storm” — a precise convergence of financial and other pressures that could bring new opportunities but also force hard choices. The test for the Air Force in the year 2005 will be figuring out how to deal with these disparate pressures and still maintain a balanced force that can be sustained over the coming decades. »)
Les mesures envisagées, telles qu’elles sont évoquées, sont effectivement draconiennes dans une situation présente presque surréaliste ; une situation où, selon le journal, l’Army est obligée d’emprunter de l’argent à la Navy et à l’Air Force pour pouvoir boucler son budget. La logique des transferts envisagés serait d’augmenter les effectifs de l’U.S. Army de 30% et de réduire ceux de la Navy et de l’Air Force d’un tiers.
« One Army study described by Pentagon officials has concluded that the active-duty force of 500,000 needs to grow by as much as 30 percent. This year the Army was forced to borrow from the Navy and Air Force to pay its bills, according to officials.
» The Navy and Air Force, facing their own financial pressures amid burgeoning federal budget deficits, are considering deep weapons cuts. The sea service is talking about cutting its fleet of aircraft carriers by a quarter, from 12 to nine, according to a Navy official who was briefed on internal planning for the review. Meanwhile, the Air Force is grappling with ways to slash its planned purchases of more than 2,500 fighter planes by up to a third, according to two accounts of a preliminary briefing. »
En réalité, ces diverses considérations mettent en évidence, au niveau structurel et des équipements, ce que les opérations en cours en Irak nous disent tous les jours : la puissance américaine est complètement prise à contre-pied. Elle est formidablement préparée pour une guerre qui n’a pas lieu et qu’aucun des adversaires de l’Amérique ne songe à mener. Par contre, ces mêmes adversaires lui imposent une guerre pour laquelle l’Amérique est totalement sous-équipée, totalement inadaptée, totalement impuissante.
Dans un rapport interne diffusé ce mois-ci au Pentagone, Art Cebrowski, le directeur du service Force Transformation de Rumsfeld écrit : « “As we have mastered the traditional battlefield challenges, enemies have moved to the edges. Irregular warfare. Catastrophic warfare. The realm of terrorists. In other words, we are incurring national security risks outside of the main focal point of our strategic capabilities. Therefore, we must rebalance the force” by adding troops. » On ne peut mieux signifier l’erreur stratégique fondamentale des USA depuis la fin de la Guerre froide, et, surtout, depuis le 11 septembre 2001. L’admiration stupide et fascinée de tous les experts occidentaux depuis 9/11 pour la puissance militaire américaine doit aujourd’hui laisser place à l’évidence : le modèle américain est la recette pour des désastres militaires à venir. L’heureuse disposition européenne à suivre une autre orientation stratégique que celle des Américains et même ce qui pourrait s’avérer être une « stratégie de rupture » doit être accélérée et affermie.