Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
207223 décembre 2004 — Il existe aujourd’hui une réelle tension entre Israël et les USA. Elle concerne les rapports d’Israël et de la Chine au niveau des armements. On va voir que nous plaçons cette circonstance dans un cadre beaucoup plus vaste.
Le dernier signe de cette tension a été donné par une dépêche d’AFP, notamment publié par Defense News le 22 décembre. On trouve ci-après un extrait de ce texte.
« The United States has demanded that Israeli authorities withhold returning to China a consignment of drones, which were sent to Israel for upgrading, Haaretz newspaper reported Dec. 22. The spat involves Israeli-made Harpy assault drones sold to China in the mid-1990s and returned to Israel for upgrading.
» If Israeli authorities do not return the advanced weapons systems to China, they risk a diplomatic crisis with Beijing, Haaretz said.
» The head of Israel’s parliamentary defense committee, Yuval Steinitz, acknowledged last week that arms deals with China had provoked tensions with the Jewish state’s top ally, the United States. “There are tensions, which are hidden from the public, which have appeared over the last one or two years concerning Israeli weapons sales, particularly to China,” he told Israeli radio. »
Le 15 décembre, la chaîne de TV israélienne Channel Two affirmait que le sous-secrétaire à la défense pour la politique (n°3 du Pentagone), Douglas Feith, avait demandé la démission du Major General (Ret) Amos Yaron, directeur général du ministère de la défense israélien. Rapportant cette affaire,Defense News note que « Feith was outraged that Yaron did not inform him of an ongoing upgrade to an Israeli-developed military system sold to China in 1994 ».
La chaîne de télévision désigne cette affaire comme une grave « crisis of confidence ». L’hebdomadaire américain préfère parler d’une « so-called crisis of confidence in U.S.-Israeli relations ». La nuance, venue de l’hebdo américain, exprime tout le scepticisme du monde à l’égard de la possibilité d’une réelle crise entre Américains et Israéliens.
« An Israeli upgrade program for the Chinese military has provoked a so-called crisis of confidence in U.S.-Israeli relations. The Pentagon’s Doug Feith, undersecretary of defense for policy, accused the Israeli defense ministry’s top official of behavior unbecoming a close strategic ally, according to Israeli press reports.
» Israel’s Channel Two television reported Dec. 15 that Feith had demanded the resignation of retired Maj. Gen. Amos Yaron, the widely respected and longtime director-general of Israel’s MoD. According to the report, Feith was outraged that Yaron did not inform him of an ongoing upgrade to an Israeli-developed military system sold to China in 1994.
» Israel’s military censor has banned publication of the name or details of the system being upgraded for China. However, the U.S.-China Economic and Security Review Commission, in a report to Congress in June last year, singled out the Harpy unmanned aerial vehicle (UAV) as an issue of particular concern. According to the commission, China’s People’s Liberation Army “has apparently integrated the Harpy into its operational forces, since they appeared in exercises during 2002.” »
Il faut se dégager de la vision sentimentale et émotionnelle de l’alliance entre les USA et Israël. Cette vision émotionnelle, basée en bonne part sur le souvenir des atrocités nazies de la guerre, indique elle-même les limites de la thèse: avant 1967, Israël n’avait pas de liens particulièrement privilégiés avec les USA (la place de l’allié privilégié revenait plutôt à la France), alors que l’Holocauste avait déjà eu lieu. Les Américains choisirent Israël comme relais stratégique en 1967, lorsqu’il s’avéra qu’Israël, après la conquête de ce qu’on nomme “les territoires occupés”, tenait une place stratégique essentielle dans la région. (Ce pourquoi le Pentagone est au premier plan dans les relations entre Washington et Israël.) Entre autres choses, cela donnait aux Américains un “poste de surveillance” essentiel sur l’approvisionnement en pétrole. Les Israéliens, eux, s’assuraient une garantie de sécurité importante, avec une aide annuelle autour de $2 billions pour l’essentiel dévolue à l’achat de systèmes d’arme (américains, bien entendu) technologiquement très avancés.
L’évolution des relations USA-Israël connut un tournant décisif en 1986, avec l’abandon du chasseur Lavi à la suite des pressions américaines. Le ministre Moshe Arens, qui défendit le Lavi jusqu’au bout, y vit un abandon décisif de leur souveraineté nationale par les Israéliens. A la suite de cette affaire, l’influence du Pentagone, encore plus que l’influence US en général, joua un rôle essentiel dans les relations avec Israël (et la politique israélienne). Les dirigeants israéliens, de plus en plus d’anciens militaires à partir de cette époque, devinrent les relais parfaits de l’influence du Pentagone, Le fait que la “so-called crisis of confidence in U.S.-Israeli relations” éclate entre le Pentagone et Israël indique qu’elle est sérieuse, et qu’elle n’est peut-être pas qu’une “soi-disant” crise.
L’implication de Feith est une autre indication : néo-conservateur, Feith est de cette fraction politique américaine très proche du Likoud. La crise actuelle, où Feith joue le premier rôle, serait donc conditionnée à une politique israélienne correspondante aux intérêts de l’establishment washingtonien, et du Pentagone, dont les neocons font partie intégrante.
D’un autre côté, les Israéliens ont développé depuis le début des années 1980 (clandestinement puis officiellement à partir de 1991) des liens très forts avec la Chine, notamment des liens militaires. Le choix d’Israël a toujours été très clair et il contredit la stratégie de Washington, ce qui est un point de plus en plus important à l’heure où l’on réactive l’idée d’une Chine devenant une super-puissance et un adversaire stratégique des USA. Eugene Kogan, un analyste de défense, écrit dans China Brief, édité par la Jamestomwn’ Foundation,
« that while Israel has rebuffed Taiwan's repeated attempts to revive relations with it, when it comes to contact with China, the Israeli Ministry of Defense (MOD) promotes a clear-cut policy. China is an extremely important trade partner for the Israeli defense industry. As a result, the MOD, which oversees the arms trade with China, has ensured that Israel maintains a positive relationship with the PRC [People's Republic of China], while avoiding any contact with Taiwan which might disrupt this partnership. »
Israël a réussi, clandestinement, à faire revivre le Lavi, sous la forme du chasseur chinois F-10, qui bénéficie de considérables transferts de technologie israéliennes (Israël est le deuxième fournisseur militaire de la Chine, derrière la Russie). Israël trouve d’autres avantages dans ses liens avec Pékin, en plus de ses liens militaires: un formidable débouché commercial, une certaine neutralité chinoise dans le conflit israélo-palestinienne alors que la Chine garde d’excellents rapports avec les pays arabes, ce qui peut s’avérer utile dans des négociations dans la région.
Il faut considérer cette situation à la lumière des avatars américains en Irak et de l’affaiblissement considérable du statut de puissance des USA depuis l’aventure irakienne. Envisager une évolution d’alliance, voire un renversement d’alliance des USA vers la Chine, prend tout son sens dans certaines circonstances, notamment une défaite US en Irak. A l’inverse, jusqu’où des Américains, de plus en plus humiliés en Irak et craignant la puissance chinoise montante, accepteront-ils les liens israéliens avec la Chine? Les Américains ne demanderont-ils pas aux Israéliens, un jour prochain, de choisir entre la Chine et eux? Est-on assuré du choix que fera Israël? La crise Feith-Yaron est peut-être le signe avant-coureur d’un ébranlement géostratégique majeur.
Cette L’idée d’un rapprochement d’Israël avec la Chine au détriment des USA s’appuie effectivement sur la question fondamentale de l’effet en Israël de la mise en évidence, en Irak, des faiblesses US, et des effets sur la puissance US. Le commentateur Xymphora, très caustique et polémique, apprécie le cas d’une façon abrupte:
« …I'm not suggesting that the United States will become powerless, but only that its economic and domestic problems will reduce it to the status of a less great power, like Britain or Russia. That much power will make the U. S. an insufficiently powerful country to provide back-up against the whole world for the Project. When the British Empire officially ended at the end of the Second World War, the Americans had Britain over a financial barrel. The British literally could no longer afford their colonial empire, and Britain handed the keys for the Middle Eastern parts of that empire over to the Americans. China will soon have the United States over the same barrel, and in return for economic concessions, will be entitled to the same prize.
» The current series of American wars is just the death throes of empire, as the Americans attempt to blackmail the rest of the world into continuing to finance its profligate ways by threatening to control the entire world supply of oil. It's not going to work, as the U. S. military is simply not up to the job of winning the wars it has to win, having essentially lost both Afghanistan and Iraq. While the United States wastes money on wars, money it doesn't have, China just makes stuff, and becomes ever more wealthy. »
Il y a aussi le problème plus général et infiniment délicat des liens des Juifs américains avec Israël, qui jouerait évidemment un rôle dans cette possible évolution. Une thèse implicite aujourd’hui est que les Juifs américains sont plus Juifs (donc pro-israéliens) qu’Américains. D’où, poursuit cette thèse, le constat que l’équipe Sharon, grâce au soutien des Juifs américains et de la très forte position des neocons (très pro-Sharon et pro-Likoud, avec un grand nombre de Juifs dans ce mouvement), manipule la politique US à son avantage. Ce n’est pas notre analyse.
Les Juifs américains sont, à notre sens, plus Américains que Juifs, dans le sens très précis où “être Américain” aujourd’hui signifie, à notre sens à nouveau, être prisonnier d’un système (le système de l’américanisme). Il est significatif à cet égard de voir que les affaires que nous mentionnons ici, et qui émanent du Pentagone qui est la citadelle de l’américanisme et des liens avec Israël, ont été manipulées, contre Israël, par des Juifs américains: Douglas Feith et aussi, dans le cas du Lavi que nous évoquons, Dov Zakheim. Dov Zakheim fut, au nom du Pentagone et de l’industrie d’armement US, l’homme qui liquida le Lavi et réduisit à rien la souveraineté nationale d’Israël, parce que le Lavi risquait de concurrencer le F-16. En d’autres mots, les Juifs américains soutiennent à fond Israël dans la mesure où ce soutien ne contredit pas gravement les intérêts de l’américanisme. Si un problème aussi grave que le choix d’Israël en faveur de la Chine se posait, les Juifs américains seraient placés devant un dilemme et le choix qu’ils devraient faire ne serait nullement évident; au moins, on peut être assuré que l’homogénéité politique (vis-à-vis d’Israël) des Juifs américains volerait en éclat.