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26 décembre 2004 — Coup sur coup, deux (trois) rapports sur la guerre en Irak analysent la catastrophique campagne américaine, les erreurs de conception, de préparation et d’exécution, jusqu’à la catastrophique situation présente.
• Le CSIS (Center for Strategic and International Studies) a publié le 22 décembre un ensemble constitué de deux rapports de Anthony Cordesman : Strengthening Iraqi Military and Security Forces, sur la question des forces irakiennes en cours d’organisation, et The Developing Iraqi Insurgency: Status at End-2004, sur la question de l’évaluation de ce que l’auteur nomme “l’insurrection” contre les forces de la coalition et le gouvernement intérimaire, et ce qu’on pourrait être aussi bien fondé à nommer “la résistance” contre les forces occupantes et le gouvernement de collaboration que ces forces ont imposé. Dans les deux cas, une évaluation de la situation actuelle et des événements qui y ont conduit amène à une très sévère condamnation de la politique US dans sa forme et dans son développement. Ces deux rapports du CSIS ont commencé à avoir un écho dans la presse, notamment un article dans le Guardian du 23 décembre.
• Le Washington Post a publié un rapport d’un officier de l’U.S. Army, le major Isaiah Wilson III, un officier qui a participé à la planification de l’opération US en Irak, et qui fut également chargé d’un travail historique sur cet événement. Wilson a présenté son rapport, qui est extrêmement critique comme les deux précédents, à Cornell University en octobre 2004. Le Post a obtenu une copie du rapport. L’auteur du rapport, contacté par le journal, « said he has no plans to publish the essay, in part because he would expect difficulty in getting the Army's approval, but said he did not object to having it written about. “I think this is something that has to get out, so it can be considered,” he said in a telephone interview. »
Tous ces rapports sont donc, on l’a dit, très critiques, selon des données et des appréciations qui ne peuvent être mis en doute. Ils ressassent ce que toute personne normalement consciente, honnête et informée ne peut manquer de connaître de la situation en Irak. Le tableau général est celui de l’échec (failure), ce mot qui revient comme une litanie, comme dans ce passage de l’introduction du rapport de Cordesman Strengthening Iraqi Military and Security Forces :
« The report documents a tragic US failure to develop and implement such a strategy during the first year of the US occupation in Iraq. It is a failure to understand the strategic situation in Iraq and the realities of Iraqi politics. It is a failure at every level to prepare for a coordinated US effort at nation building. It is a failure by the US military to prepare for the military aspects of stability operations, and by the US State Department to
recognize the need to create effective police forces. It is a failure to react to the growing
reality of the insurgency in Iraq and for the need for Iraqi military, security, and police
forces that could be true partners in fighting that threat.
» The end result was to leave many Iraqi forces without anything approaching adequate organization, training, equipment, and facilities. For political and other reasons, the
Administration, CPA, and US command emphasized quantity over quality to the point
where unprepared Iraqis were sent out to die. The end result was far more of an abuse of
the troops concerned than any shortfalls in providing suitable equipment to US forces. »
Les rapports de Cordesman sont très sévères mais entendent laisser la porte ouverte à l’espoir d’une amélioration, voire d’une amélioration décisive si le gouvernement américain parvient à se reprendre. Deux passages pourraient être perçus comme illustrant cette tendance d’analyse, en même temps qu’ils illustrent deux autres domaines dans les faiblesses considérables des Américains en Irak. Ils sont extraits de The Developing Iraqi Insurgency: Status at End-2004:
« US human intelligence is improving but is hurt badly — as are civil-military and other efforts — by high turnover and rotations. Most Iraqi networks serving the US in hostile
areas have serious quality and loyalty problems, while others either use their positions to
settle scores or misinform Coalition troops.
(…)
» As late as July 2004, the Administration’s senior spokesmen still seemed to live in a fantasyland in terms of their public announcements, perception of the growing Iraqi
hostility to the use of Coalition forces, and the size of the threat. They were still talking
about a core insurgent force of only 5,000, when many Coalition experts on the ground in
Iraq saw the core as at least 12,000-16,000. »
Il nous apparaît très possible, sinon probable, que cet optimisme très mesuré de Cordesman ne soit même pas justifié. Son affirmation que le “renseignement humain” des Américains s’améliore malgré une situation catastrophique est à notre sens extrêmement discutable, voire contestable. De même, il nous semble que le gouvernement US, voire les chefs militaires, vivent toujours dans “fantasyland”, — c’est-à-dire qu’ils semblent souvent plus préoccupés de régler leurs batailles bureaucratiques au travers des évaluations de la situation que de déterminer précisément celle-ci.
Wilson semble plus pessimiste que Cordesman. Ses prévisions implicites envisagent sans aucun doute la possibilité d’une défaite américaine.
« Army commanders still misunderstand the strategic problem they face and therefore are still pursuing a flawed approach, writes Wilson, who is scheduled to teach at the U.S. Military Academy at West Point next year. “Plainly stated, the ‘western coalition’ failed, and continues to fail, to see Operation Iraqi Freedom in its fullness,” he asserts.
» “Reluctance in even defining the situation . . . is perhaps the most telling indicator of a collective cognitive dissidence on part of the U.S. Army to recognize a war of rebellion, a people's war, even when they were fighting it,” he comments.
» Because of this failure, Wilson concludes, the U.S. military remains “perhaps in peril of losing the ‘war,’ even after supposedly winning it.” »
Ces rapports signalent une recrudescence de la critique de la politique US en Irak, à l’approche des élections. Il s’agit, pour ces différentes sources, de prendre date, selon la possibilité que cette période sanctionne toutes les maladresses américaines depuis l’origine. Mais il s’agit, de façon différente du rapport du Defense Science Board, d’une critique de l’action et des tactiques générées par la politique d’attaque préventive de l’Irak, et dans le cadre de cette politique.
Les rapports cités ici, notamment ceux du CSIS, ne mettent aucunement en cause le fondement de l’attaque contre l’Irak, mais les maladresses qui ont conduit cette attaque à une catastrophe. Le rapport du DSB, lui, met en cause la politique générale dans la guerre contre la terreur, les rapports avec le monde musulman, etc. Même si ce rapport du DSB ne tire pas de conclusion (ce n’est pas sa mission de porter un jugement sur la politique US), toute son analyse nous y conduit. Il y a une différence de nature.
Ces nuances souvent importantes, ces différences parfois essentielles entre les différents rapports sont une chose. Autre chose est le constat de cette abondance d’attaques venant de plusieurs directions. On doit les ajouter aux attaques contre Rumsfeld à propos de l’Irak, qui se poursuivent de façon appuyée. Cet ensemble d’événements indique une tension grandissante au sein de l’establishment washingtonien, devant les événements irakiens. Il est possible que l’administration GW connaisse de très sérieux problèmes intérieurs si la situation irakienne ne s’améliore pas.