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4 janvier 2005 — Le Financial Times du 3 janvier nous annonce que Rumsfeld et l’USAF se sont affrontés à propos du JSF. L’USAF avait présenté un budget réduisant son intention de commande de 1.700 à 1.200 JSF/F-35 pour pouvoir restaurer sa commande de 277 exemplaires du F/A-22. Rumsfeld a dit non. Le budget présenté au Congrès conservera la planification des 1.700 JSF et la réduction des F/A-22 à 180.
Un aspect remarquable de l’article est la transformation qui s’est opérée par rapport à la réalité, tant pour le rôle de Rumsfeld que pour les caractéristiques du JSF.
« The battle over the [F/A-22] Raptor has been the most hotly contested procurement debate inside the Pentagon under Mr Rumsfeld's watch. With advanced stealth technology and the ability to fly at supersonic speeds for long distances, the Raptor has been the prized air force programme for almost a generation.
» But Mr Rumsfeld and some of his closest aides have sought to cut the programme for years, arguing it was a cold war-era fighter designed for outdated high-speed dogfights.
» By contrast, the JSF — which will be purchased by the air force, navy and marines as well as the British armed forces — is much cheaper and designed for both air-to-air fighting and the kind of ground-attack missions the Pentagon expects.
» “JSF meets Rumsfeld's criteria for a ‘transformational’ programme,” said Loren Thompson, defence analyst at the Lexington Institute. “It is multi-service, it is multi-mission and it's low cost.” »
Quoiqu’on en dise aujourd’hui, il est inexact d’affirmer que Rumsfeld est un adversaire décidé du F/A-22 et qu’il n’en a jamais été partisan (« Mr Rumsfeld, who has never been a strong supporter of the Raptor… », note le FT). En 1998, Rumsfeld fut un des signataires d’une lettre d’anciens secrétaires à la défense recommandant de conserver le F-22 dans la programmation de l’USAF. Il est inexact également d’affirmer, comme le fait Loren Thomson : « JSF meets Rumsfeld's criteria for a “transformational” programme. It is multi-service, it is multi-mission and it's low cost. » Deux de ses affirmations (multi-missions et coût réduit) sont purement hypothétiques et relèvent des relations publiques.
Il est inexact encore d’affirmer, comme le fait le FT, que « Rumsfeld and some of his closest aides have sought to cut the [F/A-22] for years ». Les seuls obstacles qu’a rencontrés le F/A-22 jusqu’ici sont venus du Congrès et la réalité, du côté du Pentagone, est bien qu’il est surprenant que le F/A-22 ait survécu jusqu’ici si l’on considère son coût et les problèmes techniques qu’il a rencontrés.
L’article du FT et toutes les inexactitudes qu’on y trouve montrent que la grande bataille des réductions budgétaires du Pentagone a commencé (les Britanniques y sont partie prenante à cause de leur engagement dans le JSF.) Cette bataille est d’abord budgétaire et politique.
L’article du FT montre que les adversaires du F/A-22 se recrutent désormais dans deux camps : le premier est le camp de la direction civile du Pentagone, qui a reçu la consigne impérative de la Maison-Blanche de faire des économies importantes, et très rapidement. Le deuxième camp est celui des “internationalistes” partisans du JSF pour diverses raisons, dont certaines sont fondamentalement politiques. Le cas des Britanniques, que présente évidemment le FT, est le plus significatif : outre le fait que toute leur programmation militaire aérienne dépend du JSF, les Britanniques les plus atlantistes (dont fait partie le FT) considèrent que le programme JSF a une signification politique essentielle pour la survie du lien transatlantique entre USA et UK.
Dans ce cadre général, l’événement le plus important signalé par cet article est bien la mise à jour quasi-officielle de l’affrontement entre le JSF et le F/A-22 et les prises de position désormais publiques à l’intérieur du Pentagone en fonction de cet affrontement. A partir de là, on peut avancer plusieurs remarques.
• Le JSF n’est plus un programme “consensuel”, comme il l’était jusqu’alors. Le JSF occupe certes une place de favori mais cela signifie qu’il est sur la sellette. Il est entré dans l’arène et il va rencontrer des adversaires (ne serait-ce que les partisans du F/A-22 qui ont jusqu’ici défendu ce programme sans mettre en cause le JSF ; ce ne sera plus le cas). Il est désormais identifié à un homme (Rumsfeld) dont la position n’est nullement assurée ; et, surtout, un homme qui a perdu son autorité de 2001-2003 et qui a beaucoup d’ennemis au Congrès.
• En effet, le Congrès va jouer un rôle important. Il va intervenir dans cette querelle et il n’est pas assuré qu’il n’y puisse pas jouer un rôle fondamental ; éventuellement, même, il pourrait venir au secours du F/A-22. (Le cas de ce programme est étrange : au point d’avancement où il est, avec les coûts pharamineux qu’il a atteints, il est possible qu’il soit à la fois illusoire et dangereux de prétendre économiser de l’argent en réduisant sa production. Il est possible qu’une réduction à 180 exemplaires, voire moins, conduise à une perte complète de contrôle du programme, et à un coût plus élevé qu’avec une programmation de 277. C’est “le syndrome du B-2”.)
• Vis-à-vis de l’USAF, le JSF va subir un traitement particulier. Si, effectivement, le F/A-22 est réduit radicalement en nombre, la mission centrale de l’USAF, la “domination aérienne” (Air Dominance), va se trouver insuffisamment couverte. Cela implique la probabilité que l’USAF assigne au JSF cette mission, amenant des modifications sensibles du JSF. Le cas est déjà envisagé et présenté de la sorte par un site Lockheed Martin sur le F/A-22 (le site “F-22 Raptor History”) :
« …the JSF [cannot] perform the F-22's air dominance mission. They are primarily air-to-ground attack aircraft with a secondary air-to-air combat capability.
» Redesigning the JSF for an air dominance role would make it more difficult for the program to meet the Navy and Marine Corps' needs, and break the underlying premise of the JSF as an affordable, tri-service combat aircraft. Such a redesign will significantly increase the JSF Program's costs and technical risk, and disrupt its development, test and production schedules. To meet the Air Dominance Key Performance Parameters, the JSF would require redesign at substantial cost and time and would field no earlier than 2015. »
• Le JSF va également être confronté à une réduction des besoins de l’U.S. Navy. Dans le cadre des réductions budgétaires, la Navy va sans doute décommissionner les porte-avions John Kennedy et Carl Vinson, et peut-être même un troisième. Cela signifie une réduction de ses besoins aériens embarqués d’un quart à un tiers. La Navy favorisant le F-18E Super Hornet qui continue à être produit, il est probable que ses besoins en JSF vont devenir marginaux.
• L’argument de l’exportation a été avancé pour justifier de soutenir le JSF contre le F/A-22. C’est un argument à double tranchant par les temps qui courent, surtout au Congrès. Les adversaires du JSF vont avancer que l’avion est imposé à l’Air Force moins à cause de ses qualités qu’à cause de ses perspectives à l’exportation. Cette manœuvre avait réussi avec le F-16 dans les années 1970 parce que l’USAF avait verrouillé une importante commande de F-15. Le cas est aujourd’hui bien différent, puisque le JSF est imposé aux dépens du successeur du F-15. (Dans ce cas, on comprend que l’argument contre le F/A-22 comme “relique de la Guerre froide” est peu solide. Il vaut aussi bien contre le JSF. L’on peut même avancer que certains schémas d’emploi du F/A-22 par l’USAF sont bien mieux adaptés à la situation actuelle que le JSF, comme la pénétration lointaine et le bombardement à grande distance, dans le cas de certaines versions de F/A-22. Le manque d’autonomie du JSF en fait un avion très peu adaptable aux conditions présentes.)