Après la querelle “plus grave que l’Irak” entre USA et UE, riposte US

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Après la querelle “plus grave que l’Irak” entre USA et UE, riposte US

26 janvier 2005 — On lit par ailleurs dans cette rubrique quelques nouvelles sur la querelle USA-UE concernant la prochaine décision européenne de levée de l’embargo sur les armes européennes pour la Chine. Ces nouvelles se terminent par l’annonce que « [l]es Américains préparent d’ores et déjà leur riposte. Elle portera sur les conditions de la coopération transatlantique des armements. On en reparlera. » Nous en reparlons aussitôt.

Les Américains ont déjà fait savoir que cette “riposte” portera sur la coopération transatlantique des armements et le transfert de technologies, domaine dans lesquels « ils prendront des mesures restrictives importantes contre les pays européens », selon une source à la Commission européenne. Anton La Guardia, du Daily Telegraph, écrit le 15 janvier que « American officials have told their British counterparts that even if the Bush administration keeps a measured tone, the response in Congress is likely to be heated. One likely casualty would be Britain's long-standing attempt to secure a so-called “ITAR waiver” — a special exemption from complex US rules on the export of militarily — sensitive technology. » Les conservateurs ont averti les travaillistes que la poursuite de cette politique de levée de l’embargo aménerait une « une brèche fondamentale » dans les relations transatlantiques, dans « le domaine vital [pour le Royaume-Uni] du transfert des technologies ».

Cette menace est intéressante si on la replace, non dans le cadre borné de la dialectique virtualiste qui est utilisée ici sans prendre le moindre gant, mais dans le contexte de la simple et bonne réalité. Interrogée sur cette perspective des menaces de riposte américaine, une source industrielle européenne remarque : « Je comprends le sens de ces menaces. Ce qui me chiffonne c’est leur réalité: comment les Américains peuvent-ils imaginer d’imposer de nouvelles restrictions significatives à une situation des transferts des technologies qui est d’ores et déjà complètement bloquée? C’est étrange. »

L’étrangeté se poursuit encore au-delà lorsqu’on cite cette déclaration d’un officiel US faite au Financial Times le 26 décembre 2004: « If a situation arises where European systems are pointed [by China] at American personnel and platforms, one cannot just assume we’re going to continue our arms sales. » L’interprétation de cette déclaration est la suivante: si l’embargo est levé et si des armes sont vendues à la Chine, dont il s’avère qu’elles pourraient être utilisées contre des personnes et des systèmes de type américaniste, l’Amérique adopterait la mesure de rétorsion de cesser leurs ventes d’armes aux pays européens. Nouveau commentaire de notre source industrielle: « C’est encore plus étrange: pour nous punir, les Américains refuseraient-ils de nous vendre le JSF? » (Précision : cet industriel-là n’est pas partisan éhonté de l’achat du JSF par les Européens.)

Un récent (17 janvier) séminaire a eu lieu à Bruxelles, organisé par le groupe New Defense Agenda. Cette réunion a permit de faire le constat de ce que Defense News, qui en fait un rapport le 24 janvier, désigne comme une « rapidly mounting frustration » chez les industriels et les officiels européens. Le journal fait quelques citations qui fixent le climat:

« “U.S. technology restrictions on foreign defense firms [operating in the U.S. market] have reached the absurd,” one senior EADS executive said. “Dual-use technology, such as ordinary Internet communications protocols that are freely used in civil products, cannot be exploited by us commercially if we’re involved in a DoD project using the same protocols. It’s ridiculous.”

» An executive from Paris-based Thales later expressed a similar sentiment. “Even if Washington removed ITAR, they’ll never let up on restrictions. It’s just not going to happen,” the official said.

» Even European companies with privileged access to advanced, cutting-edge U.S. military technologies, such as London-based BAE SYSTEMS, lament the effects such restrictions impose. “The U.S. barriers to [trans-Atlantic] technology transfers do inhibit our ability to rationalize operations within the U.S. market and between our different national bases,” Bill Giles, BAE’s director-general Europe, told the group. “It is extremely difficult to do this.” »

Par rapport aux platitudes extraordinaires et totalement mensongères qui caractérisent le discours semi-officiel, semi-officieux, sur le domaine de la coopération transatlantique, ces interventions sont une raie de lumière qui dessine clairement la réalité. Un examen simple mais sérieux de la situation confirme cela. La coopération transatlantique est aujourd’hui complètement au point mort pour ce qui est du domaine essentiel pour son développement, qui est le transfert de technologies. L’attitude américaine, et aussi la situation de crispation de toutes les forces en jeu à Washington (bureaucratie du Pentagone et d’autres agences et départements, Congrès, industrie, etc) sont la cause essentielle de cette situation. L’Europe, old Europe en tête, est un bouc émissaire évidemment pour l’hystérie et la paranoïa washingtonienne dans le domaine de la technologie et des armes.

Dans ce contexte, les menaces américaines en cas de levée de l’embargo européen contre la Chine sont effectivement étranges. Comment peut-on envisager de resserrer des restrictions (au transfert des technologies) qui sont d’ores et déjà draconiennes? Comment peut-on menacer de restreindre un flot de transfert qui est presque complètement tari? Là-dessus, la menace concernant effectivement la vente d’armes est encore plus étrange: les Américains parlent comme s’ils possédaient un monopole qui les mettait en position de force, alors qu’on sait que ce n’est pas le cas. On pourrait placer de bluff (mais dans quel sens? Avec quelle efficacité?) ou d’intimidation (mêmes questions). Cette explication de la préméditation manœuvrière nous paraît bancale, au point où nous en proposons une autre.

Nous préférons notre approche virtualiste. Le monde de Washington est un monde per se, qui a largué les amarres du mouillage de la réalité. Il a ses hystéries, ses exigences, ses certitudes. Il a une telle considération pour lui-même, et notamment pour ses soi-disant capacités technologiques autant que pour sa soi-disant générosité, que les transferts transatlantiques réduits à leur quasi-tarissement sont tout de même considérés comme un politique d’une grande générosité, et qu’en menaçant de la restreindre on doit obtenir un effet de pression efficace. Quant aux ventes d’armes, les Américains sont si persuadés de leur supériorité qu’ils jugent que cette supériorité est un monopole en soi. On voit bien cette attitude dans la campagne pour le JSF : le Pentagone a plutôt “choisi” ses clients (ceux qui auraient l’honneur d’acheter le JSF) plutôt qu’il ne les a conquis. On rétorquera : ils ont bien raison puisque ça marche. Certes, mais cela n’établit pas pour autant la supériorité formidable de leurs matériels. (Pour rappel, dans la compétition néerlandaise de 2002, le JSF était classé 1er à 6.97 points sur 10 par la RNethAF tandis que le Rafale, qui existe déjà, qui coûtera sans doute moins cher, etc, était 2ème et atteignait 6.95. Ce n’est pas une différence de substance.)

Le plus étonnant dans ces attitudes irrationnelles et cloisonnées des Américains est qu’ils affirment une supériorité extraordinaire en équipements militaires et qu’ils entrent dans une transe spectaculaire à la pensée d’armes européennes dans des mains chinoises. Pourquoi craindre des armes si dépassée? Mais non, c’est qu’il n’y a pas eu relations et confrontation rationnelle entre la politique US (panique) devant la livraison d’armes européennes et l’affirmation d’une supériorité incalculable des armes US sur ces armes. Le cloisonnement touche jusqu’aux mêmes esprits car les mêmes gens sont capables d’affirmer des choses aussi contradictoires l’une après l’autre sans songer à les confronter.