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6 mars 2004 — Jim Lobe nous indique qu’il y a une formidable bataille, une de plus et une fois de plus, au sein de l’administration GW. Cette formidable bataille est entre les extatiques habituels, qui nous montrent d’un doigt agité la formidable révolution du jour, et quelques autres, certes un peu extasiés mais restant prudents.
Parmi les premiers, on compte toute la troupe des neocons avec quelques supplétifs, cette extraordinaire brochette de commentateurs indépendants répondant avec une non moins extraordinaire unicité aux stimuli habituels. Les élections en Irak, les négociations Abbas-Sharon, la “révolution” libanaise (de quelle couleur, celle-là? Pas orange, c’est déjà pris), la retraite syrienne, et nous y sommes: la Révolution démarre. Elle a déjà démarré en novembre 2001 (Afghanistan), en mars 2003 (prise de Bagdad), en décembre 2003 (capture de Saddam), en novembre 2004 (réélection de GW), en janvier 2005 (discours d’investiture de GW), en février 2005 (
Parmi les supplétifs extatiques, on trouve l’habituel Friedman, le libéral capable de changer d’avis plus vite qu’un G.I.’s flinguant une voiture transportant une otage italienne libérée. Le 27 février, dans le New York Times, Friedman juge que ce qui se passe est sans doute “incredible”… Jugez vous-mêmes : « Nevertheless, what's happened in the last four weeks is not just important, it's remarkable. And if we can keep all three tipping points tipped, it will be incredible. »
Puis la cavalerie lourde (on ne les cite pas tous). David Ignatius, élégant, mesuré, cravaté, qui épouse le fondement des thèses néo-conservatrices en développant avec un délice discret (le 2 mars dans le Washington Post) la “théorie de la catastrophe” et toutes ces séduisantes idées sur le chaos créateur et sur la “glorious catastrophe” que les USA ont introduits dans la région: « There's no stopping the Middle East's glorious catastrophe now that it has begun. We are careening around the curve of history, and it's useful to remember a basic rule for navigating slippery roads: Once you're in the curve, you can't hit the brakes. The only way for America to keep this car on the road is to keep its foot on the accelerator. » (Il va de soi, au cas où l’on aurait oublié de le noter, que la voiture c’est le monde, — le Moyen-Orient pour le moment, — et le chauffeur, l’Amérique, ou GW soi-même.)
En même temps qu’Ignatius, divers guerriers néo-conservateurs, dont le bombardier lourd Charles Krauthammer, apporteront leur lampée d’alcool fort pour arroser l’ivresse générale. Jim Lobe, déjà cité, nous éclaire cela.
« “Who's the simpleton now?” crowed Los Angeles Times columnist Max Boot earlier this week. “Those who dreamed of spreading democracy to the Arabs or those who denied that it could ever happen?” he went on, citing the Iraqi and earlier Palestinian elections, municipal elections in Saudi Arabia, events in Lebanon, and Egyptian President Hosni Mubarak's unexpected pledge last week to permit multi-candidate presidential elections next fall.
» Boot, as well as virtually every other hawk writing on the subject, quoted Lebanon's Druze leader, Walid Jumblatt, as crediting Bush for the chain of events: “It's strange for me to say it, but this process of change has started because of the American invasion of Iraq.”
» “We are at the dawn of a glorious, delicate, revolutionary moment in the Middle East,” exulted another neocon, Charles Krauthammer, in Friday's Washington Post in a column entitled ‘The Road to Damascus.’
» “It was triggered by the invasion of Iraq, the overthrow of Saddam Hussein, and televised images of 8 million Iraqis voting in a free election.” »
Là-dessus, il y a les prudents, au sein même de l’administration, soutenus par quelques extérieurs (voir l’article du 2 mars, dans le New York Times, de Flynt Leverett, de la Brookings Institution). Jim Lobe, à nouveau lui, vous explique que la Maison-Blanche reste hésitante quant à la perspective suggérée par la rhétorique de plomb des amis neocons de se précipiter “On the Road To Damascus” (dixit Krauthammer). D’ailleurs: avec quoi se précipiter sur “la route de Damas”? On est prié de ne pas oublier que la machine de guerre américaniste n’en peut plus, qu’elle est à bout de souffle en Irak; quant à lui mettre la Syrie sur les bras, en plus… Et puis, il y a les perspectives, la situation irakienne, y compris depuis les élections, en ayant échaudé quelques-uns dans l’administration GW: la sublime démocratisation ne mène-t-elle pas éventuellement à la désintégration puis à l’islamisation radicale?
Il y a enfin, explique Lobe, les Européens. GW est revenu d’Europe, explique-t-il, décidé à se mettre bien avec les Européens. Nullement pour les vertus de l’amitié, mais parce que, sans eux, effectivement, il est à court de moyens, que ce soient des moyens de pression ou des moyens de coercition. Quelques paragraphes d’explication:
« Despite its own missionary rhetoric, the Bush administration, however, seems inclined to wait until the dust from the latest developments has settled and, to the growing frustration of the neocons and other unilateralists, to ensure that it not get too far ahead of its European allies in dealing with the region.
» The administration's relative caution reflects the persistent influence and concerns of so-called policy ‘realists’ who remain skeptical about whether recent events in the Middle East will lead to a new era of democratization, rather than a new cycle of destabilization or worse.
» Even if the latest developments indeed represent the Middle East equivalent of the fall of the Berlin Wall, as proponents of Bush's democracy agenda claim, the realists stress the considerable risks, most notably the empowerment of Islamists across the region, that more democratic governments may well bring.
» But Bush's caution also reflects his administration's new determination to coordinate more closely with Washington's traditional allies, particularly in the wake of his European tour last month.
» “Bush's meetings with European leaders were very enlightening, because they convinced him that, ‘if you don't work with us, we're not going to succeed, our initiatives will fail, and you will find yourself isolated again’,” said Geoffrey Kemp, head of Middle East programs at The Nixon Center here. »
Pour remettre tout cela en perspective, il ne manque pas de bons auteurs sur les lignes bien fréquentées du Web. On vous recommande Robert Parry, dont le livre “Secrecy & Privilege, Rise of the Bush Dynasty from Watergate to Iraq” éclaire beaucoup de coins d’ombre de l’Amérique américaniste de Washington.
Dans un article bien documenté par l’histoire, Parry exécute l’actuel moment de paroxysme extatique du Washington virtualiste, d’une part en expliquant comment les événements en cours au Moyen-Orient ont bien d’autres causes que les plans lumineux de Washington et les vertus quasiment aphrodisiaques de la démocratie américaniste, d’autre part en précisant les conditions d’accession des néo-conservateurs au pouvoir d’influence qui est le leur. Quant à la méthode pour nous en faire accroire et perpétuer ce pouvoir d’influence, trois paragraphes expliquent la façon de faire virtualiste et néo-conservatrice:
« To neoconservatives, therefore, truth is not a value in its own right. To them, information must be culled for useful kernels, facts that can then be exploited to create an emotional response within the target audience. Once this desired political climate – manufactured consent, if you will – is created, the neoconservatives are free to promote an aggressive policy to achieve their policy goals.
» As the operation advances, secrecy becomes a crucial factor, with the need to keep the dark underbelly of the project outside the view of the American public. When unpleasant facts do come to light, the neoconservatives count on their allies in the elite opinion circles to contain the damage.
» Later, if a positive outcome can be claimed, the neoconservatives dismiss any ugly realities as a small price to pay for the success. The American people and their political representatives are urged to look forward, not to re-fight the old battles of the past. »
La partie est multiple. Tout est pour l’instant (histoire de quelques jours) concentré sur la Syrie alors que la Syrie est un théâtre accessoire, comparé à celui de l’Iran sur lequel s’est braquée l’administration. Assad cède du terrain mais en manoeuvrant, ce qui pourrait avoir pour effet de diviser les Occidentaux, dont certains (les Français) ne tiennent pas à suivre le maximalisme américain. En paroles dans tous les cas, — pour calmer son aile extrémiste neocon ou pour signaler ses véritables intentions, c’est selon, — Bush se montre intransigeant et maximaliste.
Au-delà de ces péripéties tactiques, le drame actuel, en général, est une question de mécanique, pas de politique. Il y a une mécanique en marche à Washington. Depuis le 11 septembre 2001, cette mécanique est radicale et maximaliste. Elle agit directement sur