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7 mars 2004 — Les relations entre les Etats-Unis et le Canada ont atteint le point le plus bas de l’histoire récente (« their most acrimonious point in recent history, despite being more reliant on each other than ever »), selon un rapport de l’American Assembly rédigé après des rencontres, au mois de février, de cette association. (L’American Assembly, constituée de 70 personnalités des deux pays, est bien évidemment un relais de l’influence américaniste au Canada, disons une organisation frontiste de l’américanisme washingtonien. Elle milite, sans grande originalité vu son pedigree, pour le maintien du Canada dans l’orbite US.)
Les relations USA-Canada sont à un point de détérioration tel qu’un nouveau néologisme est apparu, qui concerne évidemment les USA : l’“anti-canadianisme”. Il fait pendant à l’anti-américanisme en plein développement au Canada.
On emprunte ici quelques paragraphes au National Post (journal canadien) du 2 mars, qui nous propose l’usage du néologisme (« Report warns of rising tide of U.S. ‘anti-Canadianism’”):
« Canada and the United States are at their most acrimonious point in recent history, despite being more reliant on each other than ever, an assembly of 70 high-profile citizens of the two countries warns. “It is by now evident that Canada is losing influence in Washington,” says the report, the product of the American Assembly, a series of meetings last month in New York. “At the same time that Canada has lost clout in Washington, U.S. leadership's judgment post-9/11 has been met with skepticism and even hostility by Canadians.”
» The report notes the relationship has been strained at other times over the past century, but “we are witnessing something new: the emergence on the right of a troubling anti-Canadianism ... that regularly contrasts American values with those of a soft and self-indulgent Canada.” “This misguided impulse pales beside the disturbing and persistent currents of anti-Americanism in Canada,” the study says.
» The group included Allan Gotlieb, Canada's former ambassador to the U.S.; James Blanchard, former U.S. ambassador to Canada; Quebec Premier Jean Charest; former prime minister Joe Clark; and leaders from business, academia, labour and the media. »
Le rapport était rédigé avant la décision canadienne, fin février, de ne pas participer au programme du réseau anti-missiles américains (lequel est dans un état de désarroi complet, entre des essais manipulés par le Pentagone et pourtant résultant en une succession d’échecs, et une budgétisation de plus en plus réduite au regard des autres postes de gaspillage du Pentagone en constante augmentation).
Le rapport recommandait une adhésion du Canada au programme pour restaurer les liens avec les USA. La décision du gouvernement canadien a été durement ressentie par les promoteurs et accompagnateurs de ce type d’initiatives. (« Douglas Goold, president and chief executive of the Canadian Institute for International Affairs, a think-tank that co-sponsored the assembly, said yesterday [1st March] that among the 70 attendees an “overwhelming majority thought it was in the best interests of both countries for Canada to go ahead [with ballistic missile defence], and if they were all sitting in the room today they would be extremely disappointed with the decision Paul Martin took last week.” »)
Le désappointement des Américains et pro-Américains divers dans cette affaire a été exprimé de façon officielle par une décision prise à Washington, une décision assez originale et sans guère de précédent pour ce qui la motive (le refus de participer à un programme d’armement): l’annulation d’un voyage de Condi Rice au Canada. (Depuis l'annonce, le 1er mars, de l'annulation du voyage, un accord a été trouvé pour rétablir ce voyage. Les diplomates américains ont mesuré combien cette décision pouvait avoir d'effets dommageables sur les relations entre les deux pays.)
Defense News, relayant AFP, donne quelques indications à propos de la première décision d'annulation du voyage de Condi Rice.
« U.S. Secretary of State Condoleezza Rice has put off a visit to Canada next month, the State Department said March 1, in what was seen as a rebuff to Ottawa for pulling out of U.S. plans to deploy a missile defense shield over North America. Rice was scheduled to visit Canada in the second week of April, but her spokesman Richard Boucher said the “schedules didn’t work out.”
» “We are looking for a date when we can make that happen,” he said, without confirming or denying reports that the cancellation was due to problems over missile defense. But speaking on condition of anonymity, a U.S. official traveling with Rice to a London meeting on the Palestinian problem said the trip’s cancellation was “in part” due to Canada’s refusal to cooperate on missile defense. »
Le paradoxe qui n’étonnera personne (le monde GW vit dans le paradoxe comme dans une seconde nature) est que le nouveau Premier ministre libéral Paul Martin, qui a remplacé Jean Chrétien (également libéral), était perçu comme beaucoup plus proche des USA et soutenu par les milieux d’affaires canadiens. Mais Paul Martin s’est heurté à une fronde sérieuse dans son parti, en plus de l’opposition, à propos du programme anti-missiles. Selon l’expression américaine, la participation au programme anti-missiles US est aujourd’hui un non-starter au Canada, que ce soit dans le public ou dans le monde politique qui dépend du public pour être élu (caractéristique de la démocratie, qui est le programme global de GW).
Alors que la détérioration des relations américano-canadiennes a été fortement aggravée par cette affaire, le paradoxe est que les Américains demandaient peu de choses aux Canadiens : simplement un appui politique, pas de participation financière, etc. Le point qui pourrait paraître essentiel de l’implication souveraine du Canada à cause de son entrée dans le programme est déjà réglé depuis longtemps aux dépens du Canada, par la participation du Canada à NORAD (le système de défense anti-aérienne du continent, sous complet contrôle US et avec participation canadienne, qui s’exerce aussi bien sur l’espace aérien canadien).
Comme on le comprend, c'est en fonction de son opinion publique et des relais de celle-ci dans sa base parlementaire que Martin a réagi comme il l’a fait. Sa faiblesse à cet égard vient de ce qu’il défend normalement des positions pro-américaines sans fondement souverain, et qui plus est en soutien de la politique inepte de GW, donc complètement impopulaires; à la moindre pression populaire, il doit céder. La presse, complètement aux mains des magnats pro-US, a reproché au Premier ministre d’être trop faible pour prendre une position impopulaire. Cette critique illustre paradoxalement le cercle vicieux que GW impose à ses alliés inconditionnels. Le fait même de prendre des décisions supposées être celles d’un Premier ministre fort affaiblit le Premier ministre, parce que ces décisions impopulaires sont finalement perçues comme acquises aux intérêts américains et pas aux intérêts nationaux. Ce n'est pas l'impopularité de la décision qui est en cause mais la raison de cette impopularité.
La querelle de la participation au programme est devenue un “fixateur” de la mésentente américano-canadienne. Mais cette mésentente porte fondamentalement sur de profondes divergences du point de vue psychologique et du point de vue culturel depuis le 11 septembre 2001. L’épisode confirme l’isolement psychologique grandissant de l’américanisme bushiste. Pour ce cas des relations avec le Canada, des effets à l’intérieur des USA ne sont pas impossibles.
Cette crise entre le Canada et les USA pourrait ainsi avoir des effets par rapport à l’attitude populaire qu’on enregistre dans le Nord-Est américain, particulièrement dans l’État du Vermont (voir notre texte sur “le Vermont qui dit non”). Cette possibilité irait dans le sens d’une situation potentielle telle que nous l’exposait un de nos lecteurs, John G. Mason:
« Après la fin de la guerre américaine d'indépendance, certains [au Vermont] ont penché vers l'indépendance, [d’autres] vers un rapprochement avec l'Amérique Britannique — c'est-à-dire le Canada. Intéressant a noter, que face a la politique militariste de l'Administration Bush et de l'emprise des néo-confédérés sudistes sur l'ensemble du gouvernement fédéral, un groupuscule de Vermontais ont fait un déclaration unilatérale d’ l'indépendance du Vermont et déclaré la restauration de la deuxième République du Vermont pour se rapproche du Canada… Ce thème “nous sommes tous des canadiens” est assez répandue chez les libéraux du Nord qui cherche à réaliser une espèce de ‘sécession intérieure’ [pour suivre une stratégie de gouvernement autonome] de leurs États ‘bleus’ [anti-Bush] »
Nous rappelons ici le site de “la deuxième république du Vermont”, à consulter pour avoir des détails sur ce mouvement à inspiration sécessionniste, dont la potentialité explosive en cas d’événements graves ne doit pas être ignorée: The Second Vermont Republic.