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23 mars 2005 — L’affaire de la levée de l’embargo des armes européennes vers la Chine a atteint un premier sommet de tension. Partout, les indications montrent qu’une forte majorité est en formation en Europe pour repousser la décision à l’année prochaine, voire plus tard, voire “encore plus tard” si l’on veut bien comprendre ce que cela signifie. (Mais, sur ce dernier point, qu’on sache que de telles affaires puissent être enterrées de la sorte, par un délai de type “encommissionnement”. Personne n’en veut, ni les Chinois, ni les Américains, ni certains Européens. Il est probable qu’on n’“encommissionnera” pas.)
Cette évolution européenne est le résultat direct, authentifié et certifié des pressions américaines, qui n’ont jamais atteint une telle intensité dans une affaire de ce genre et se sont affirmées à visage découvert. Les “nouveaux rapports” entre les USA et l’Europe, inaugurés par les voyages de Rice et de Bush en février, ont inauguré bien entendu une bataille d’une intensité exceptionnelle entre les deux partenaires transatlantique, — l’un accoutumé à se être obéi, l’autre à céder. Dans la logique de ces habitudes, l’affaire semble prendre aujourd’hui l’orientation habituelle, qui est de voir l’Europe céder, avec le choix entre la capitulation immédiate (peu probable) et le report de la décision, plus ou moins limitée, plus ou moins sine die selon l’évolution des choses.
Diverses autres raisons son avancées pour expliquer cette brusque évolution, mais toutes sont de peu d’importance par rapport à l’effet des pressions américaines, ou elles en dépendent,. Une seule de ces raisons donne tout de même une explication supplémentaire, hors des rapports USA-Europe, avec la loi chinoise anti-sécession. Elle suggère que la Chine elle-même a mal manœuvré, comprenant mal la réalité des rapports entre les USA et l’Europe et la réalité du fonctionnement de l’Europe, qui avait besoin en ces circonstances de bénéficier d’un soutien “moral”, ou de type humanitaire, par un comportement chinois impeccable à cet égard. (Maladresse chinoise, — ou bien la Chine considère cette affaire comme secondaire par rapport à son débat intérieur sur les relations avec Taïwan. Il est vrai que la question de Taïwan pèse sur la politique chinoise d’une façon inutilement émotionnelle. Qu’importe, le jugement reste car un tel choix des priorités serait une maladresse tout de même.)
« China's decision last week to adopt an anti-secession law intended to stop any independence moves by Taiwan, [gave] countries like Britain, Sweden, Ireland and the Netherlands enough reasons to delay a decision to lift the embargo at least until next year. Foreign Secretary Jack Straw of Britain said China's decision had “created quite a difficult political environment.”
» Diplomats said the Chinese decision would allow Prime Minister Tony Blair of Britain, who takes over the EU presidency from next July until December, to postpone the decision until next year. Even then, it is not certain that Britain's successors, Austria and then Finland, will want to oversee such a decision. »
Cette évolution est considérée comme une défaite, ou une amorce de défaite pour les Français et les Allemands, qui ont soutenu la levée de l’embargo. Pour cette raison, la décision qui serait finalement prise, d’éventuellement reporter le débat final sur la question, devrait être assortie de conditions permettant aux perdants de sauver la face (ce serait alors une décision de délai avec obligation de revenir sur la question?). Il semble difficile que le dossier puisse être purement et simplement enterré.
D’autre part, il y a la Chine elle-même, qui tient beaucoup à la levée de cet embargo, plus pour une question de respectabilité internationale que pour le fait lui-même. (L’embargo lui-même n’a jamais vraiment empêché des livraisons de systèmes à usage militaire; la levée de l’embargo n’était pas destinée à accroître de façon significative la livraison de tels systèmes. Nous sommes dans le domaine du symbolisme pur.)
L’affaire va encore accroître les tensions transatlantiques, la division de l’Europe, et éventuellement peser sur le référendum français. Si certains plaideront qu’une Europe avec une Constitution pourrait être assez forte pour imposer sa volonté dans une affaire de cette sorte, d’autres avanceront, de façon infiniment plus convaincante, que l’Europe se manifeste surtout pour céder devant les Etats-Unis et paralyser les décisions de la diplomatie française.
Un dernier élément concerne la position américaine. Les menaces du Congrès sur les transferts de technologies ont été très vives et exprimées d’une façon brutale, sans la moindre ambiguïté. Le fondement de ces menaces n’a guère de sens puisque les transferts de technologies US sont d’ores et déjà réduits au strict minimum. Pourtant, même dans cette situation, de nouvelles mesures devraient être prises. Notre appréciation est que, de toutes les façons (quelle que soit l’évolution de l’Europe sur la question), les Etats-Unis devraient accentuer fortement leur pression, notamment en accentuant leur politique protectionniste à l’encontre principalement de l’Europe. L’affaire de la levée de l’embargo sur les armes vers la Chine est certes un facteur politique et polémique important, mais elle est de type conjoncturel et elle ne détermine pas à elle seule, loin de là, la politique américaine de protection des technologies. Si le projet de levée de l’embargo est simplement repoussé, pour ne pas trop mécontenter les Chinois, et quelques que soient les arrière-pensées d’ailleurs, cette polémique subsistera au niveau du Congrès. L’hostilité du Congrès à l’encontre de l’Europe en tant que telle, quelle que soit l’attitude des “pays-clients” des USA en Europe, est d’une telle force que le soupçon généralisé d’une manœuvre européenne subsistera évidemment et alimentera la dégradation des liens entre les USA et l’Europe, dans ce domaine des armements également.