Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
959
1er avril 2005 — Hugo Chavez, le général parachutiste devenu président populiste du Venezuela et ennemi juré de Washington, développe une politique générale dite de “containment” (terme employé par les USA pour leur politique soviétique pendant la Guerre froide) contre les USA. Depuis le début de l’année, sa politique est passée de la consolidation de son pouvoir intérieur, au travers notamment de sa victoire dans l’épreuve de force contre l’opposition marquée par sa victoire électorale de confirmation, à une dimension internationale très activiste, tant régionale (en Amérique latine, devenant l’“Amérique ibérique”) qu’intercontinentale, avec l’Europe (en plus de la Chine et de l’Iran).
En Europe justement, en Espagne, Zapatero affirme sa position au cœur d’une Europe contestatrice de la puissance américaniste. Sa présence au sommet quadripartite courant mars à Paris, avec Schröder, Chirac et Poutine, montre que Madrid a remplacé Bruxelles dans l’axe anti-guerre de 2002-2003. Sa position est loin d’être celle d’un “strapontin” et l’Espagne s’affirme aussitôt avec sa propre diplomatie, différant en cela de la formule précédente (avec Bruxelles). Sa visite en Amérique du Sud, d’abord avec les Brésiliens, les Colombiens et les Vénézuéliens, puis directement chez Hugo Chavez, montre que Madrid apporte à l’activisme européen la précieuse dimension latino-américaine dont la politique pro-US d’Aznar avait privé l’Europe. Accueillant Zapatero, Chavez parle désormais d’une “communauté des nations ibéro-américaines” de préférence à une “communauté des nations sud-américaines”. (Le site Venezuelanalysis.com, excellent pour nous informer sur la politique vénézuélienne et désormais “ibéro-américaine”, observe à propos de la rencontre Chavez-Zapatero que « The meeting marked the first occasion that the Venezuelan President spoke of the Iberian American Community of Nations instead of the South American Community of Nations. »)
Le voyage de Zapatero et sa rencontre quadripartite ont été aussi l’occasion pour le Brésilien Lula d’affirmer son soutien appuyé à la politique Chavez, contre les pressions américaines. (Un soutien brésilien à Chavez avait déjà été affirmé deux semaines auparavant, mais d'un moins haut niveau.) Les mots du président brésilien sont sans nuances : « [W]e do not accept defamations and insinuations against compañeros. I believe that Venezuela has the right to be a sovereign country, of making its own decisions and, at the same time, Venezuela does not need to be accused of things that those who are with you know that this is not part of your thought nor of your behavior. »
Enfin, pour compléter ce tableau général en revenant vers l’Europe et vers l’axe Madrid-Paris-Berlin (-Moscou), il faut rappeler qu’un peu plus d’une semaine avant le voyage de Zapatero en Amérique latine, Hugo Chavez avait effectué une visite à Paris, où il avait été chaleureusement accueilli par Chirac. A Caracas, Zapatero a parlé, en défendant à son tour la politique de Chavez, du « monde multipolaire en cours de formation », phrase propre à réchauffer le cœur du président français.
Il s’agit d’un schéma géopolitique en plein développement, la dimension orientale (vers la Russie) de l’Europe continentale activiste se complétant d’une dimension occidentale (vers l’Amérique du Sud) complètement fondamentale. Il est impossible de ne pas donner à cette évolution une coloration anti-américaine qui en est son fondement politique, et c’est ainsi que les Américains prendront la chose. Un surcroît d’hostilité de Washington est à prévoir, contre Chavez mais aussi contre les autres protagonistes de ce mouvement. Quelques points fondamentaux à noter pour résumer cette intense activité qui prend l’allure d’un “enveloppement” par le sud transatlantique du bloc anglo-saxon :
• Hugo Chavez a réussi en trois ans un formidable rétablissement. D’une position défensive, avec la menace d’une déstabilisation, voire d’une liquidation par les activistes de Washington, il est passé à une position offensive qui constitue, avec sa dimension internationale, la recherche d’une certaine garantie contre ces mêmes actions subversives US. Il y a deux ans, la liquidation de Chavez aurait été un destin courant en Amérique du Sud d’un populiste plus ou moins dénoncé comme ayant des tendances dictatoriales; aujourd’hui, toute attaque brutale contre lui constituerait un acte grave contre la légalité internationale, aux répercussions beaucoup plus préoccupantes pour Washington.
• Corollaire de ce qui précède: l’engagement de Chavez a déclenché, en réaction, un engagement activiste à ses côtés de plusieurs chefs d’État et de gouvernement, européens et sud-américains. Cet engagement est une dynamique politique en train de naître, toujours autour de l’Europe version continentale et française.
• Cet axe géopolitique qui s’établit est une surprise mais qui ne manque pas de logique, notamment en raison des liens culturels entre l’Europe et l’Amérique latine. Cet axe va être considéré comme une attaque directe contre sa zone d’influence par Washington. « Zapatero et l’Espagne sont en train de prendre la place de Chirac et de la France dans la vindicte de Washington », disait récemment un commentateur français. Vrai et faux : c’est vrai que Zapatero et l’Espagne prennent une position en pointe mais c’est faux d’en conclure que Chirac et la France passent la main.
• Enfin, la visite chinoise en début d’année en Amérique latine, les liens établis entre l’Iran et le Venezuela également en janvier-février, en plus des positions européennes vis-à-vis de ces deux pays, suggèrent que cet axe ne se limitera pas au schéma établi par Zapatero et Chavez.