Le monde tragique et ambigu qui attend Benoît XVI

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Deux articles, qu’on pourrait presque mettre côte à côte pour l’effet, illustrent l’ambiguïté de la situation du monde, du jugement prospectif qu’on serait tenté de porter sur Benoît XVI et, plus précisément, des relations implicites entre le nouveau pape et la politique américaine.

• L’article de Sidney Blumenthal du 21 avril dans “Salon.com” développe une violente attaque contre Benoît XVI, qu’il estime être le véritable instigateur de la réélection de GW Bush, en ayant donné aux catholiques américains l’ordre de ne pas voter pour John Kerry malgré qu’il soit catholique, à cause de ses prises de position libérales. Blumenthal donne des précisions sur cette intervention du cardinal Ratzinger à l’été 2004.

• L’article de Catholic Report News du 21 avril salue en Benoît XVI un continuateur de Benoît XV, le pape qui chercha à rétablir la paix au cours de la Grande Guerre. (Même cette idée est victime des ambiguïtés puisque, dans une analyse du 20 avril radicalement défavorable à Benoît XVI, le site WSWS.org faisait le procès de ce choix de “continuateur spirituel” de Benoît XV en mettant en doute les intentions de Benoît XV pendant la Grande Guerre, en dénonçant une recherche de la paix selon les intérêts de l’Église, l’argument mesurant la radicalité excessive de la critique.) L’article souligne les prises de position radicales du futur Benoît XVI contre la guerre en Irak, contre le principe de la guerre préventive, voire contre celui de la “guerre juste”, c’est-à-dire contre tout l’arsenal médiatico-moral des interventionnistes occidentaux, avec GW en tête bien entendu.

Ces deux articles illustrent bien le caractère très contradictoire des jugements qu’on peut porter sur Benoît XVI, selon qu’on se place d’un point de vue plus “intérieur”, point de vue social et des mœurs, ou d’un point de vue plus “extérieur”, point de vue de grande politique. (Encore, ce dernier point de vue rattrape le premier indirectement: la guerre préventive lancée par l’administration GW contre l’Irak, par son caractère déstabilisant et déstructurant, tend à pulvériser les structures traditionnelles et conservatrices que la même administration détruit en Irak au profit d’un nivellement postmoderne dénoncé par ses électeurs aux Etats-Unis.) Même les critiques les plus radicales de Benoît XVI, de la part des anti-Bush, n’évitent pas ces contradictions, comme nous le soulignions dans un “Faits & Commentaires” récent, du 21 avril:

« Ces batailles vont être livrées dans la confusion des engagements, qu’on peut essentiellement illustrer par le paradoxe contenu dans le titre de l’analyse déjà citée de “WSWS .org”, et qui dit ceci: “From ‘grand inquisitor’ to pope: Benedict XVI to head crusade vs. secularism, democracy.” Paradoxe parce que, dans le premier cas (“croisade contre le sécularisme”), Benoît XVI devrait apparaître comme un allié de GW Bush et de son intense religiosité (cette alliance, idée qui a été exposée de divers côtés); dans le second cas (“croisade contre… la démocratie”), Benoît XVI apparaîtrait comme l’adversaire direct de la politique extérieure du même GW Bush, qui est de chercher à imposer la démocratie partout, par la force si nécessaire. »

Notre jugement reste d’éviter d’apprécier le nouveau pape et le rôle à venir de l’Église selon les clivages du passé qui s’avèrent complètement contradictoires. La politique US, depuis le 11 septembre 2001, a introduit un élément radicalement nouveau, qui a prématurément rendu ces références complètement dépassées. La seule affirmation que nous répétons est qu’il nous semble que, quelle que soit sa volonté éventuelle de poursuivre sa politique traditionnelle de discrétion et d’action d’influence indirecte, l’Église ne pourra éviter d’intervenir de manière directe dans les événements courants, tant ceux-ci vont devenir de plus en plus pressants.


Mis en ligne le 24 avril 2005 à 13H55