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13 mai 2005 — Les deux grands arguments politiques des partisans du “oui” en France sont de l’ordre de la rupture. Le premier est une spéculation dramatique, outrancière et passionnée, dans tous les cas déformée (qui ignore le vrai poids et la place de la France en Europe), sur la marginalisation de la France en Europe en cas de “non”. C’est un sophisme : on ne marginalise pas dans un système un composant de ce système qui lui est central. Les Britanniques, montrant en cela leur finesse des affaires diplomatiques, ont fait un sort à cette affirmation lorsqu’une source au Foreign Office a offert cette formule : « If Britain alone votes no, it is a problem for Britain. If France votes no, it is a problem for Europe. »
Le deuxième argument des partisans du “oui”, contredisant d’ailleurs en substance le premier, est qu’il n’existe pas de “plan B” pour l’Europe (les spéculations sur un éventuel “plan B” indiquent bien qu’un “non” français serait « a problem for Europe »). L’expression “plan B” est héritée, bien entendu, des Américains, qui s’engagent toujours dans des aventures stratégiques risquées avec une telle certitude de la victoire qu’ils en oublient d’envisager ce qu’ils devraient faire (le “plan B”) au cas où la victoire ne serait pas au rendez-vous. Autrement dit, pour le cas européen : personne n’a prévu ni préparé quelque formule que ce soit en cas de rejet de la Constitution, dont un “non” français serait l’acte essentiel.
En marge de ces affirmations catastrophiques, il y a eu des indications précises mais auxquelles on ne s’est pas attardé, qui leur apportent un démenti sérieux. La plus remarquable de ces indications fut cette réponse apportée par le Commissaire européen Franco Frattini, en charge de la justice, de la sécurité et des libertés, au “Figaro” du 26 avril :
« Le Figaro. – Que se passera-t-il en Europe si la France vote non au référendum sur la Constitution ?
» Franco Frattini. – Sur le plan politique, d'abord, ce sera bien plus grave qu'un non britannique, car le processus d'intégration européenne va se bloquer. Ce blocage durera dix-huit mois ou plus encore. L'Europe ne pourra pas aller plus avant sans la France. Sur le plan juridique, ensuite, le Conseil européen n'a pas évoqué clairement les conséquences d'un rejet du traité par un ou plusieurs pays. Mais avec un non français, il sera difficile de continuer à parler de Constitution, ou de traité constitutionnel. A mon avis, on va devoir rouvrir le débat public européen. Si la France, pays fondateur, vote non, cela démontrera qu'il y a un déficit de légitimité populaire en Europe. Il faudra alors engager le débat bien plus largement, notamment avec les Parlements nationaux. »
Frattini ne donne qu’une indication générale. Il nous dit que l’on chercherait un “plan B”, donc qu’il peut y en avoir, — mais il ne nous dit pas qu’il y en a ou qu’on y travaille de façon très précise. C’est sur ce dernier point que nous apportons des précisions, venues de sources diplomatiques en contact constant avec la diplomatie allemande. Ces précisions nous disent qu’il y aurait d’ores et déjà une grande activité sur le thème d’un “plan B” et que le chancelier Schröder s’y active.
Ces sources indiquent qu’ « en cas de victoire du “non” en France, le chancelier Schröder pourrait proposer une formule pour la formation d’un “noyau dur” européen, éventuellement en-dehors ou à côté des structures formelles de l’UE. » Il s’agirait de tourner autour de la formule du “sommet de Tervueren” (avril 2003, réunion dans la banlieue de Bruxelles des Français, des Allemands, des Belges et des Luxembourgeois pour faire avancer la défense européenne), peut-être en y ajoutant les Espagnols de Zapatero. Ces mêmes sources s’interrogent sur la France à ce propos, puisque son “non” pourrait être perçu comme anti-européen, — mais cette interrogation nous semble purement formelle bien entendu. La France participerait évidemment à une telle initiative.
Ces mêmes sources signalent que les Allemands ont évolué d’une manière fondamentale du point de vue de la sécurité. « Pour la sécurité européenne, ils placent désormais l’Europe en première place comme cadre d’organisation, et l’OTAN en seconde place. Jusqu’ici, la formule était inversée, avec l’OTAN en première place. » Précision capitale : cette évolution n’est pas le fait du seul gouvernement et de la gauche allemande. L’opposition démocrate-chrétienne y souscrit, ce qui reflète une évolution générale de ces milieux de la droite allemande, qui prennent leurs distances de leur atlantisme traditionnel.
Une telle formule de la recherche d’un “noyau dur” européen a sans aucun doute la logique pour elle. La pire chose qui est arrivée à l’Europe ces dernières années, c’est l’élargissement, qui compromet définitivement tout projet sérieux d’intégration européenne, dans tous les cas dans quelques domaines importants et dans les schémas existants. Il est clair que l’opposition constatée en France à la Constitution européenne s’appuie en bonne part sur l’opposition à cette catastrophique initiative d’élargissement, dont l’effet ne cesse de s’aggraver avec les autres adhésions envisagées de façon chaotique.
Il est d’autre part certain que l’existence d’une alternative à la situation actuelle en cas de vote négatif français, surtout vers une formule de “noyau dur”, contribuerait, ou contribuera fortement à rendre le vote négatif beaucoup plus assuré.
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