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20 mai 2005 — Un mémorandum pour Tony Blair de l’ancien ministre britannique pour l’Europe, Dennis MacShane, vient de parvenir à la presse. Fuite classique mais qui tombe à point. (MacShane a perdu son poste dans le nouveau gouvernement britannique issu des élections du 5 mai. Il ne semble certainement pas que ce départ soit lié au mémo.)
Quelques mots du Guardian d’aujourd’hui:
« The memo, dated April 8 and also sent to the prime minister's European adviser, Kim Darroch, accused the French political class of a “lack of leadership in explaining, defending, promoting the EU ... not as extension of France and French interests”. “Bashing a commission president is now a French as much as it was a British pastime,” it claimed.
» Mr MacShane, a knowledgeable pro-European, lambasted the French yes campaign for “the incoherence of its campaign with its mixed messages and lack of enthusiasm or positive argument for the treaty.” He also claimed that French ministers were undertaking a belated bid to turn the position around by “making crude UK-bashing arguments”. »
MacShane est un dur, un roué, un vrai politicien anglais qui ne recule ni devant les travestissements grossiers de la vérité, ni devant les invectives. Dans ses mémos, il est plus intéressant. Le texte, violemment anti-français et anti-Chirac, n’en est pas moins lumineux et, finalement, parfaitement utile et vertueux au sens de l’intelligible, — parce qu’il parle sans fard. Il révèle une parfaite compréhension de la situation. MacShane est anti-français et anti-Chirac parce qu’il pense que la France, en cas de “non”, deviendrait un redoutable adversaire de l’Europe telle que la veulent les Britanniques. (MacShane repousse de facto, sans le dire parce que cela ne vaut pas l’encre de sa plume, la thèse absurde de la marginalisation de la France et de la querelle byzantine autour de la renégociation de la Constitution. L’enjeu ne se situe pas là, y compris dans la renégociation de la Constitution dont on se passerait aussi bien s’il le faut. L’enjeu est beaucoup plus révolutionnaire et il se joue évidemment avec la France qui a tout déclenché et qui est le pilier central de l’Europe.)
S’il est correctement interprété, le texte de MacShane donne un formidable argument aux partisans du “non” qui veulent un bouleversement révolutionnaire pour stopper la dérive pro-globalisation, impliquant le contrôle US de l’Europe. L’enjeu n’est pas la sotte affirmation de la fin de l’Europe ou la fin du processus européen (on ne détruit pas un continent avec un vote, encore moins une bureaucratie comme l’européenne); l’enjeu est l’ouverture d’un affrontement fondamental au sein de l’Europe, pour changer une orientation qui n’a pas vraiment varié depuis 1956 et qui s’est révélée objectivement dans la ligne de la politique générale américaine (ce qui correspond d’ailleurs aux origines du projet européen, du Plan Marshall à la CED, soutenues à fond par les Américains).
MacShane s’étrangle de fureur, attaquant la classe politique française et Chirac pour une très mauvaise campagne. Curieux MacShane : lui qui expose très justement ce que serait le comportement des politiciens français en cas de “non” (voir plus loin), n’a-t-il pas compris qu’au moins 50% si pas plus des politiciens partisans du “oui” n’aiment pas cette Constitution, — à commencer, nous sommes prêts à le parier, par Chirac lui-même. (MacShane devrait se renseigner auprès de VGE, un vrai Européen celui-là. VGE chuintant à quelques confidents que « [l]e problème de Chirac, c'est qu'il n'est pas européen ». Bien entendu.) Par conséquent, leur campagne est mauvaise parce qu’ils soutiennent le “oui” du bout du slogan, et peut-être même que nombre d’entre eux, peut-être bien Chirac himself, ne seraient pas si mécontents d’un “non”. MacShane aurait dû comprendre cela, savoir que les Français, qui refusent le machiavélisme au nom de la raison (au contraire des Britanniques, qui le cultivent), font du machiavélisme sans le savoir, en répondant à côté de la raison aux vieux réflexes français : cette unanimité rationnelle des élites pour le “oui” dissimule bien des désirs secrets de “non”. Cela pourrait expliquer pourquoi la campagne du “oui” est si exécrable…
Maintenant, que nous dit MacShane plus précisément?
• En cas de “oui”, nous dit MacShane, l’Angleterre doit abandonner son attitude méfiante vis-à-vis de l’Europe, au contraire elle doit appuyer la tendance accompagnant la Constitution pour apparaître comme très européenne et imposer le plus d’“anglicisation” (c’est-à-dire libéralisme, globalisation, etc.) possible à l’Europe. C’est alimenter largement les argumentaires du “non” en France.
« “[Britain's] EU presidency in 1998 was when the new Labour government walked on water,” he said. “That is no longer the case ... John Bull and Whitehall-speak needs to be parked for the six months of the presidency. Britain's Europe policy will need a step change to move away from the defensive-boastful language of red line, vetoes, [and claiming] Britain is way ahead of the rest of Europe,” he wrote.
» “If the UK is to rise to the responsibility of helping to lead Europe out of crisis we will have to find more of Churchill's magnanimity and worry less about the Rothermere-Telegraph shadows in the cave”. If France did vote yes, Mr MacShane added, Britain would have to run a distinctive pro-Euro campaign... »
• En cas de “non”, nous dit MacShane, cela va être terrible … Pourquoi? Traduisons le MacShane-mémo en français courant : simplement parce que les politiciens français vont se conduire comme les Anglais ont toujours fait et comme eux-mêmes n’ont jamais fait, se croyant investis d’un destin européen qui leur imposait de veiller aux intérêts du voisin autant qu’à ceux de la France pour être équitables. Ils vont défendre durement les intérêts français dans l’Europe et rien que cela, comme les Anglais défendent les intérêts anglais, alors que le “non” aura démontré le poids énorme de la France dans l’Europe (l’émotion de Dennis MacShane, comme l’intérêt de tous les politiciens européens pour le référendum français en sont un signe évident). Ils vont demander quelque chose de moins libéral, de plus protectionniste, et MacShane en est tout retourné : « if French voters do reject the constitution French politicians […] “would demand a wholly unacceptable rewriting of the treaty in favour of protectionist, illiberal and anti-business policies”. » (By the way, Mr. MacShane, que fait aujourd’hui votre compagnon et plus cher ami de Tony Blair, le digne et libre-échangiste Peter Mandelson, Commissaire européen au commerce, sinon de chercher à mettre en place au nom de l’Europe et à l’exemple de ces chers Américains, des tarifs douaniers et des quotas contre les textiles chinois? Comment nomme-t-on cela? Pas “protectionnisme”, tout de même?)
« “...they would demand a wholly unacceptable rewriting of the treaty in favour of protectionist, illiberal and anti-business policies.”
» Signs that the French intend to take a relatively aggressive stance in event of a no vote were confirmed yesterday when Mr Chirac led new calls for a renegotiation of Britain's EU budget rebate, first negotiated by Margaret Thatcher. President Chirac has met his German and Polish colleagues to demand changes to the £3bn British rebate as a matter of urgency.
» Mr Chirac, eager to shore up his authority in the event of a no vote, is also likely to demand a change of tone in British calls for a deregulated labour market. Some in Paris may also call on France to revert to its traditional close relationship with Germany. »
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