On achève bien les Constitutions…

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On achève bien les Constitutions…


2 juin 2005 — Les résultats du référendum hollandais sont impressionnants, peut-être plus encore que les résultats français par rapport aux prévisions et aux habitudes. Comme tout le monde s’est empressé de le dire, l’image nous soufflant les mots: les Hollandais ont achevé cette Constitution que les Français avaient blessée grièvement, si pas mortellement.

La participation (autour de de 62%) pour un scrutin consultatif en Hollande, pour parvenir à un rejet de la Constitution par 61,6% des votants est un cas exceptionnel, et une catastrophe pour le courant classique européen, celui de la bureaucratie et des institutions. Certains pouvaient encore avancer, dimanche soir, qu’il y avait une crise française et pas une crise européenne. L’analyse est balayée: il y a aujourd’hui d’abord et essentiellement, une crise européenne fondamentale, de loin et sans discussion la plus grave qu’ait connue l’Europe depuis les débuts du processus (1950 avec la CECA, 1954 avec le rejet de la CED, 1957 avec le traité de Rome).

Du point de vue égoïste français, et le résultat de dimanche étant bien compris, l’événement hollandais est un “avantage” paradoxal. La légende de l’isolement français, de l’exceptionnalisme français (expression perçue dans le sens négatif dans ce cas), a vécu. Non seulement la France n’est plus seule mais elle (re)devient un leader naturel, celui du courant de contestation dont la force est formidable désormais. Plus encore : des deux “non” tonitruants, celui de la France paraît bien plus “européen” que celui de la Hollande, où l’attitude est résolument nationaliste, voire isolationniste.

(Le “non” français a-t-il influencé le “non” hollandais ? La Hollande est-elle devenue “une province de la France” ? On en doutera sur le fond, la plupart des Hollandais ayant affirmé dans des sondages que les résultats français n’influeraient pas sur leur choix. Il n’empêche : la campagne française puis le vote de dimanche ont créé un climat, une atmosphère dramatiques, qui ont fort probablement influencé le climat et l’atmosphère du vote hollandais, en donnant aux électeurs la perception à la fois de l’urgence du moment historique et de l’opportunité d’une affirmation extrêmement significative. Si nous devions faire une hypothèse, nous dirions qu’il nous semble que les événements français ont tout de même influencé les Hollandais au niveau de la participation, en poussant à une participation plus forte.)

En Hollande, les assassinats de Pym Fortuyn (2002) et du cinéaste Van Gogh (2004) ont secoué et déstabilisé une société d’une fragilité insoupçonnée. Les avertissements qui venaient de Hollande, où l’establishment lui-même est parcouru de tensions complètement inhabituelles, étaient fondés. Au contraire de la France où un establishment aveugle et d’une vanité au-delà de tout n’a rien vu venir, celui de Hollande a devancé et accompagné la tempête qui a éclaté hier. (En Hollande, l’establishment discute notamment, et essentiellement selon nous, de la question des liens de soutien inconditionnel de la Hollande aux Etats-Unis.) Il faut ajouter que ce qu’on sait et devine des conditions dissimulées et maquillées d’un des deux assassinats mentionnés (celui de Fortuyn, qui devrait être lié à l’affaire du JSF en Hollande), a fait percevoir plutôt que cela ne l’a révélée une situation de corruption de la classe politique d’une profondeur abyssale. Le référendum montre que cette perception, quant à la considération pour la classe politique, ressemble désormais à une certitude dans le cœur des Hollandais.

Si le scrutin hollandais est bien compris et bien utilisé, si Chirac fait montre à la fois d’audace et de son activisme habituel de “bulldozer”, la situation créée par l’événement du 1er juin doit renforcer la position de la France et doit la conduire à affirmer une politique forte. C’est une conjoncture idéale pour transformer une position de défensive forcée en une offensive inspirée, et clairement affirmée comme ayant une finalité européenne.

Désormais, il faut vraiment envisager des solutions d’urgence, des initiatives audacieuses. De ce point de vue, la France a un rôle essentiel à jouer, et les Allemands également, dont l’inquiétude est désormais très forte et qui semblent avoir des idées, tous partis confondus. Plus que jamais, l’idée d’un “noyau dur” est dans tous les esprits, comme seule possibilité de sauver ce qui peut l’être d’un courant intégrationniste européen qui doit se justifier désormais par des caractères forts et sans compromis: une position politique indépendante, une autonomie européenne réelle, une défense européenne puissante, structurant une tentative de créer une souveraineté européenne qui complète et renforce les souverainetés nationales.

Le “non” français était un coup de tonnerre (certes, le ciel était déjà chargé…). Le “non” hollandais confirme qu’il s’agit bien d’une tempête qui va bouleverser notre continent. Cette situation dramatique est aussi une situation de rupture et, par conséquent, une situation d’opportunité.