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4 juin 2004 — C’est un événement, un événement européen bien réel aussi bien qu’un événement de l’ordre du symbolique, si important de nos jours. Un officiel européen, le directeur de l’Agence Européenne de Défense (AED), vient de parler publiquement de la “préférence européenne” (pour les achats de systèmes d’arme), de sa nécessité éventuelle dans les exigences de fonctionnement et d’efficacité politique et industrielle de AED, des mesures concrètes pour tenter de mettre en place son éventuelle manifestation juridique. C’est un événement, personne de la direction politique européenne n’ayant jamais parlé, ès-qualité, de la chose, de façon si précise et dans une perspective de décision assez rapide (terme d’un-deux ans) à propos de son institutionnalisation.
Voici ce qu’en dit Defense News, dans une livraison sur son site le 3 juin:
« The jury is out on whether the European Defense Agency’s (EDA’s) forthcoming plan to promote cross-border procurement within the European Union, “thus helping it create an internal market for defense, should eventually include a buy-European preference,” the EDA’s top manager said June 3.
» “We’re not going to get consensus on that concept this year and probably not next year, either,” said Nick Witney, the agency’s chief executive. “The member states are still too split on the issue.”
» Addressing a meeting here of EU officials, industry executives and journalists organized by the European Policy Center think tank, Witney said: “I will say, however, that I do find it disturbing that European defense technology flows freely to the United States, while U.S. technology does not go the other way. This weighs heavily in our thinking about what should figure in a healthy defense industrial base for Europe in the future.”
» He added that his agency “may quite soon start to gather data” on trans-Atlantic defense trade flows to better frame the debate. »
Cela fait une bonne vingtaine d’années qu’une bataille sourde est engagée pour obtenir des autorités européennes l’énoncé de ce qui serait une “préférence européenne” (l’incitation, l’encouragement, l’obligation, avec plus ou moins de conditions, d’acheter des équipements militaires européens pour les membres de l’UE). Cette idée représente une réaction naturelle, de pur bon sens et de pure loyauté à l’idée européenne, face à des USA bardés de législations protectionnistes, régulièrement regroupées dans l’un ou l’autre “Buy American Act”. L’ostracisme officiel qui a accompagné longtemps l’idée d’un “Buy European Act” ou de toute autre initiative de “préférence européenne”, voire la terreur intellectuelle qu’on faisait régner autour de cette idée, représente un des scandales les plus persistants et les plus impunis de l’Europe communautaire. Rien que pour cela, on serait cent fois justifié de voter “non”.
L’apparition de la problématique de la “préférence européenne” au niveau technique européen le plus élevé, celui de la direction de l’AED, est un formidable progrès, peut-être un progrès décisif. (Le fait que la chose soit initiée par un Britannique, Nick Witney, n’est une ironie qu’en apparence. Il y a beaucoup d’indications selon lesquelles Witney se trouve très coopératif, très “européen” dans son action. Cela ne fait que rencontrer
La question de la “préférence européenne” si puissamment posée devrait, avec des débats très intenses qui permettront de révéler des positions nationales inattendues, voire surprenantes, déboucher sur une forme ou l’autre de “préférence” au sein de l’Agence. La nécessité technique de la mesure révélera rapidement, au cours du ébat, la dimension politique qui lui est implicite. Le débat deviendra à son tour politique. On reparlera de l’affaire du JSF, archétype d’un des aspects de la situation exposée par Witney (“I will say, however, that I do find it disturbing that European defense technology flows freely to the United States, while U.S. technology does not go the other way. This weighs heavily in our thinking about what should figure in a healthy defense industrial base for Europe in the future.”)
La question se poserait, selon nous, et mériterait de l’être publiquement jusqu’à en devenir un débat: celui qui ne peut prétendre s’intituler européen, le contraire d’un “bon européen” si l’on veut, est-ce le Français ou le Hollandais qui vote “non”, ou bien le pays qui refuse cette clause de la “préférence européenne”? Il faudrait que ce débat-là ait lieu, un jour, avec ceux qui sont impliqués. (Nous avons autour de nous beaucoup d’Européens qui tiendraient le rôle de ceux qui ont voté “non”, ayant effectivement voté dans ce sens, et intéressés d’argumenter face à des adversaires de la “préférence européenne” qui sont également partisans du “oui”.)