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21 juin 2005 — Les grands débats sur l’Europe et les batailles de chiffonniers sur les dépenses de l’Europe, tout cela est bien beau et a le mérite de faire croire aux journalistes parisiens qu’ils écrivent à propos de quelque chose de sérieux, — et le mérite de nous montrer précisément ce qu’ils valent. Pour autant, les choses qui comptent pour rendre compte de la réalité sont ailleurs. Deux nouvelles sont à citer dans ce sens.
On sait l’intérêt que nous portons sur la question des armements, notamment dans les domaines européens et de la coopération transatlantique. C’est qu’on y trouve l’essentiel de ce qui importe, et pour l’Europe encore plus : la question de la puissance avec le domaine militaire et le domaine des technologies avancées, la question des rapports transatlantiques dans le domaine le plus sensible, la question du choix entre l’Europe et les relations transatlantiques, la question fondamentalement politique de l’indépendance et de la souveraineté auxquelles renvoient les questions précédentes, — tout cela dans un domaine très concret, où il faut savoir séparer l’époustouflant conformisme des discours des réalités. Toute nouvelle significative qui se manifeste dans le domaine des armements est à signaler et à commenter.
Deux nouvelles nous viennent du côté britannique. Elles illustrent bien mieux qu’un éditorial du Monde la réalité de la position britannique, la réalité des rapports transatlantiques et la réalité des archaïsmes en Europe. Si Tony Blair est, pour l’intelligentsia parisienne, « le nouvel homme fort de l’Europe » (on cite pêle-mêle la presse parisienne), la réalité persiste imperturbablement à l’ignorer. Ce que nous montrent ces nouvelles, c’est une Angleterre désemparée dans le niveau archi-moderniste de la technologie des armements, et dans une situation où seule une coopération avec l’Europe (la France, leader en Europe), pourrait la remettre à flot. Autant pour l’archaïsme (de la France).
En marge du Salon du Bourget, nous avons été informé :
• que le patron de BAE, Mike Turner, “en a assez de batailler avec le gouvernement américain” pour obtenir des transferts de technologie dans le cadre du programme JSF ;
• que les Britanniques, informés qu’ils n’auront aucun accès, ni à la technologie ni à la production d’un programme UCAV américain dans lequel ils se sont engagés, songent à se tourner vers l’Europe et vers le programme d’UCAV européen lancé par les Français sous maîtrise d’œuvre française (le Neuron).
La nouvelle sur le programme JSF est ainsi présentée par Defense News en date du 20 juin, avec la précision que l’Italie, autre coopérant européen du programme américain, envisage la même approche: « BAE Systems Chief Executive Mike Turner, fed up with battling the U.S. government for access to technology needed to repair and upgrade Britain’s F-35 Joint Strike Fighters (JSFs), wants to bring the matter to a swifter conclusion.
» Instead of completing the painfully slow negotiation of technical assistance agreements between London and Washington, Turner intends to simply apply for U.S. clearance to assemble and check out the F-35s in Britain.
» “It brings the pain to a head by testing the technical transfer agreement early on. If you wait until you sign the production contract, they have you,” he said June 12 at a BAE media dinner at the Paris Air Show. »
La nouvelle concernant l’UCAV, toujours de même source, nous dit ceci: « Britain has dismantled a 10 billion pound ($18 billion) effort to develop a long-range strike capability, and has reassembled some of its parts in a new office that will further explore the possibilities of unmanned combat air vehicles (UCAVs).
» Called the Strategic Unmanned Air Vehicle (Experiment), or SUAV(E), the new program will draw partially on work with a U.S.-led UCAV project and is intended to help make procurement decisions around 2009.
» But emerging issues of industrial participation and technology transfer may lead the British to turn their back on future U.S. efforts in the field and join the French-led Neuron program instead. »
Ces annonces diverses sont accompagnées, de façon très caractéristique, de menaces à peine voilées, concernant tous les programmes impliqués, autant que l’avenir (de la coopération avec les USA), autant que la situation britannique elle-même.
• Turner, le patron de BAE, évoque rien moins que la possibilité d’un retrait du JSF… Turner « described the technical transfer issue as a “huge problem.” BAE Chairman Dick Olver has been pushing the issue hard with U.S. Vice President Dick Cheney, he said. Turner suggested that unless the two sides made progress, there would be pressure for the British to pull out. »
• Turner encore, des considérations peu encourageantes sur la situation industrielle et technologique du Royaume-Uni. Turner estime que les capacités de l’industrie de défense britannique ont été «
• Concernant la situation générale, la question de l’UCAV, les dispositions des Américains, le futur de la coopération transatlantique et ainsi de suite, voici Chris Geoghegan, chief operating officer à BAE, qui dit que « UCAVs might be an area where the United Kingdom will find it can’t get what it wants out of the trans-Atlantic link, and may ultimately go down the European route. “It is not clear at the moment which way the U.K. is going to go in that regard, but I expect a decision within 12 months. You can only look at U.S. body language, and we are not seeing body language which is helpful to us at the present.”
» The U.S.-led international Joint Strike Fighter program “will really be an important test of this,” Geoghegan said. “We have put a large amount of money into the program, and if the combined force of the British government and industry can’t get the appropriate level of technology transfer to allow the aircraft to be supportable by the U.K., we won’t do it in other programs.” »
Que retenir de tout cela? On soupçonnera les uns et les autres de manœuvres. Les gens de BAE menacent beaucoup, de prendre des mesures dans le cadre du JSF, d’être “forcés” de quitter le JSF, d’abandonner l’UCAV américain pour l’UCAV franco/européen, de ne plus envisager de coopération avec les Américains, etc. Cela fait bien des perspectives redoutables. On interprétera ce méli-mélo comme une manœuvre des Britanniques pour faire pression sur les Américains : menacer de prendre des mesures graves pour obtenir des concessions US. Bien, — mais au-delà?
Cela fait des années que ce petit jeu se poursuit. En face, un bloc de granit. La seule question est de savoir jusqu’où les Britanniques pourront tenir alors que les Américains, eux, ne changeront pas. Il est possible que l’UCAV sera le premier domaine où ils essaieront de se tourner vers l’Europe d’une façon significative, pour tenter d’“effrayer” les Américains pour le reste, — mais les Américains s’en foutent, c’est bien connu. (Et quant à aller vers l’UCAV franco-européen : il n’est pas sûr que les Européens/les Français n’auront pas des exigences, notamment pour la technologie furtive, qui contredira directement certains accords secrets US-UK. Que feront les Britanniques ?)
Un point intéressant est que tout cela vienne de BAE, pourtant complètement acquis à l’américanisation. Cela signifie-t-il que même l’américanisation est dure à supporter? Les gémissements de Turner sur l’affaiblissement de la base technologique britannique ont quelque chose de surréaliste lorsqu’on en connaît l’historique, avec BAE en première ligne.
Les choses allant vite ces temps-ci, il est possible que nous ayons tout de même des nouvelles avant longtemps pour ce qui concerne les rapports USA-UK de coopération des armements. L’alternative est de se soumettre ou de se démettre ; les Britanniques se soumettent depuis des décennies ; ce que nous signalent ces gémissements, c’est une fatigue certaine de l’exercice.
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