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28 juin 2005 — Il est temps de cesser de plaisanter avec le JSF et de surveiller un peu plus sérieusement les transferts de technologie de ce programme hautement secret vers les alliés qui coopèrent, déclare le lieutenant général Jeffrey Kohler, directeur de la Defense Security Cooperation Agency. Il parle d’un composant du JSF, mineur, non couvert par le secret, pas particulièrement d’une technologie très avancée, qui est fabriqué par une société européenne dont on vient de s’apercevoir, — horreur, — qu’elle l’exporte également vers la Chine. Conclusion : oui, il y a des composants du JSF qui sont fabriqués par les Européens, qui sont également livrés aux Chinois.
Le surréalisme du cas est traité avec le plus grand sérieux et semble établir une nouvelle règle : tout ce qui est destiné au JSF, y compris un bouton de culotte bien placé et d’une jolie couleur, y compris la caoutchouc d’un pneu, y compris sans doute l’air qui pénètre dans les réacteurs du JSF et dont il se pourrait bien qu’on les retrouvât sous d’autres cieux, particulièrement chinois (vous imaginez?), tout cela signifie une grave menace portée contre la puissance technologique américaine si aucune mesure draconienne de protection n'est prise.
Selon Defense News de cette semaine, voici l’affaire résumée :
« The board is being used in the U.S.-led JSF by a European company that is offering the same part to China, said Lt. Gen. Jeffrey Kohler, director of the Defense Security Cooperation Agency. “It’s a non-descript circuit board,” not top secret, not even particularly high-tech, Kohler said. He would not name the company, and said U.S. officials had not yet decided how to handle the matter.
» But the general says it is evidence that technologies used in American weapons could find their way to China through partnerships with European companies. “We don’t see all of the safeguards in place to prevent that from happening,” he said »
Bien : les Américains ne sont pas absolument obsédés par tout ce qui compose le JSF, ils ne veulent pas être soupçonnés à cet égard d’un caractère obsessionnel. Mais ils entendent bien surveiller tout cela, avoir leur mot à dire, réguler, investiguer, contrôler, peser, calculer, et cela, bien entendu, dans toutes les sociétés européennes impliquées dans le programme JSF: « [U.S. officials] want to know more about European companies’ business dealings with China ».
L’article remarque, timidement et avec une grande capacité au maniement de l’euphémisme, que la nouvelle ne va pas remplir d’une joie ineffable les sociétés européennes concernées: « More restrictions would not be welcome news to non-U.S. companies that say the United States is already being too stingy with technology and information — a complaint raised by several JSF partners that have spent or will spend billions on the program. »
Mais Kohler ne vient rien entendre de tout cela. Pour lui, au contraire, le transfert de technologies marche jusqu’ici parfaitement vers les partenaires non-Américains, — voire même un peu laxiste. Ces derniers n’ont pas à se plaindre. Au contraire, ils sont gâtés. Il ne faudrait pas croire que le programme JSF est un truc où tout le monde vient se servir et empocher, quasiment pour rien, tous les secrets formidables que les Américains ont mis des années à développer.
« Kohler said the partner companies are getting the information they need to do their assigned work. “What do they want us to do — turn over the blueprints, the stealth technology or the radar we’ve been working on for the last 10 years? We don’t need to,” he said.
» The JSF program is not meant to be a stealth technology seminar, Kohler said. “The JSF program is a program where we are working with eight other allies to build an incredibly capable, technologically advanced aircraft,” he said. “The U.S. has made 10 times the investment into JSF [as its partners]. I think there are limits to what we should share.” »
D’ailleurs, ajoute Kohler, toutes ces plaintes contre l’absence de transfert de technologies viennent des seuls industriels, dont on sait qu’on ne peut compter sur eux, qu’ils sont insatiables: « I don’t hear that from the government. I only hear it from industry. » (Ce qui amène aussitôt des protestations furieuses, notamment d’une source britannique du MoD : « The British government has two main issues over JSF production: work share and technology transfer. They may not be aired in the media — the British prefer diplomacy and bilateral talks — but behind closed doors, the concerns are real and strongly voiced. »)
Le reste de ce texte est à l’avenant, absolument aussi complètement détaché de la réalité, avec des arguments aussi complètement centrés sur les seuls intérêts d’un Amérique rêvée et faith-based qu’on puisse imaginer. Ainsi le JSF est-il présenté comme un avion de combat que les USA ont la magnanimité de vouloir bien vendre à quelques pays-Zoulou de la périphérie, lesquels n’auront donc besoin que du manuel d’emploi (en anglo-américain, pas en zoulou). Il s’agit donc d’un achat, comme on dit, sur étagère, et nullement d’une coopération, d’un partage de quoi que ce soi, — des connaissances, des technologies, etc.: « Kohler said the program is designed to let partner countries benefit by buying an advanced fighter jet, not by adding new technology to local firms’ product lines.
» “This is a plane that’s been integrated as no plane ever has before,” he said. “It’s a key node in network-centric warfare. It absorbs information. The pilot could be doing his mission and the plane is doing other missions.” »
La preuve de cette conception même est que Kohler annonce que le JSF pour les non-US sera le même que celui pour les Américains. C’est dire si les non-US n’auront rien à dire qu’à suivre les ordres américains, avec peut-être l’autorisation de dévisser tel boulon numéroté selon les normes de l’USAF (NDLR : il nous semble qu’il n’y a pas de boulon sur le JSF, — remarque inadéquate).
Post-Scriptum : les industriels US commencent à s’inquiéter de cette propension extraordinaire du DoD à tout restreindre, tout classer secret, tout classer off limit, y compris les cieux où évoluera le JSF. (Parole plein de bon sens de Joel Johnson, vice president de Aerospace Industries Association, qui représente les firmes US: « The problem is that we are controlling too much and not focusing our attention on the things we ought to be controlling. »)
Le JSF, messeigneurs les commentateurs des “valeurs communes” et évidemment transatlantiques, est exactement conforme à ce que l’on attendait.