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8355 février 2004 — Des indications ont été publiées dans la presse, concernant un rapport officiel du Pentagone sur le comportement de l’armée américaine durant la guerre contre l’Irak. (L’expression “guerre contre l’Irak” doit être prise avec précaution. Le rapport a été commandé et réalisé l’année dernière. Il incorpore des enseignements de l’“après-guerre”, après la chute du régime Saddam Hussein, signifiant justement que cette période fait partie de la guerre, sorte de “continuation de la guerre par d’autres moyens”. Le rapport est donc nécessairement incomplet puisque cet “après-guerre” se poursuit ; il est pourtant alimenté par un volume important de sources, ce qui lui donne sans aucun doute un réel crédit : « It draws on interviews with 2300 people, 68,000 photographs and nearly 120,000 documents. »)
Il faut aussi observer que le rapport a été commandé par le général Eric Shinseki, avant son départ des fonctions de chef d’état-major de l’U.S. Army, en juin 2003. Shinseki s’était violemment heurté avec le secrétaire à la défense Rumsfeld et il était adversaire d’une trop grande confiance faite aux technologies avancées, au contraire de Rumsfeld. Le rapport lui donne entièrement raison.
Comme il était logique d’attendre, le rapport présente une image beaucoup moins optimiste du fonctionnement de l’armée américaine que celle qui a accompagné, du côté officiel, la progression sur le terrain entre le 19 mars et le 10 avril 2003.
« United States forces were plagued by supply shortages, radios that could not reach far-flung troops and virtually no reliable intelligence on how Saddam Hussein would defend Baghdad. While it is well known that many army units ran low on fuel and water as fast-moving armoured forces raced towards the Iraqi capital, the study offers vivid new details of a supply system nearing collapse.
» Tank engines sat on warehouse shelves in Kuwait with no truck drivers to carry them north. Broken-down trucks were scavenged for usable parts and left by the roadside. Artillery units cannibalised parts from captured Iraqi guns to keep their howitzers operating. In most cases, soldiers improvised solutions to keep the offensive rolling. »
Ce texte confirme plusieurs tendances, éventuellement en en accentuant les enseignements.
• La première, c’est la faiblesse structurelle de l’armée américaine. C’est un paradoxe qui en dit long sur l’ampleur du gaspillage du budget du DoD que de voir l’absence de pièces de rechange, les problèmes de communication impliquant la défectuosité des matériels, etc, parmi les principaux défauts révélés par la brève campagne de mars-avril, l’effet de ces défauts pouvant aller jusqu’à une complète paralysie dans certains cas. L’explication avancée lors de la campagne pour certains des cas qui furent constatés alors (une petite partie par rapport à ceux qu’expose le rapport), — la rapidité de cette offensive et l’étirement des lignes de communication, — n’est qu’en partie satisfaisante : la rapidité de l’offensive a posé un problème dans la mesure de la lourdeur et de l’ampleur des équipements américains. Cela implique simplement que les forces armées américaines se dotent de structures et d’équipements dont elles ne sont pas capables d’assurer le bon fonctionnement lors de l’application de tactiques (offensive-éclair) pour lesquelles elles sont pourtant spécifiquement conçues.
• Les faiblesses sont considérables au niveau de la guerre psychologique, que ce soit le renseignement, la propagande auprès de l’ennemi, etc. C’est là un autre paradoxe : l’armée américaine ne jure que par la “guerre de l’information” et c’est pourtant dans ce domaine qu’elle montre les plus grandes faiblesses. Un corollaire est la mise en évidence de faiblesses dues à la trop grande centralisation vers les centres de commandement (« While divisional commanders could communicate with one another, the study says, officers at lower levels often could not. Units separated by long distances found their radios suddenly out of range, leaving troops to improvise solutions by using mobile phones or secure email messaging. »)
• Enfin, il y a l’habituel conflit autour de l’utilisation des technologies avancées, qui est le fondement de la réforme derrière laquelle Rumsfeld court depuis trois ans. Le rapport montre que ces technologies posent autant de problèmes qu’elles prétendent en résoudre et que la solution se trouve au niveau des improvisations des soldats.
« For the most part, the study praises the army's combat operations and the ability of soldiers and commanders to adapt to rapidly changing battlefield conditions. (...)
» The forces' reliance on high-tech surveillance satellites and aircraft could be countered by decoys and the imaginative disguise of weaponry; more powerful warheads for rocket-propelled grenades, already effective against helicopters and light vehicles such as Humvees, could offset American armour. »
• Ce dernier point (ci-dessus) met en évidence un autre chapitre du rapport, qui concerne les énormes difficultés rencontrées par l’U.S. Army dans la soi-disant après-guerre. On découvre, — on redécouvre en réalité que des guérillas armées de systèmes rudimentaires peuvent mettre en grandes difficultés les forces armées US hyper-sophistiquées. (« Also, US forces could be drawn into a protracted, costly urban war more effectively than they were by the Iraqis, and they are vulnerable to classic weapons of insurgency, such as car bombs. »)
Le rapport met donc en évidence que ces “nouvelles” guerres basées sur les hautes technologies et l’information, présentées comme des éléments révolutionnaires du côté du Pentagone, retrouvent très vite les enseignements les plus classiques du monde. Les hautes technologies sont vulnérables, la “guerre de l’information” ne marche pas, les soldats doivent s’adapter, une guérilla habile peut mettre en échec ces forces armées si sophistiquées. Le plus inquiétant est que ces mêmes enseignements sont, du côté US, tirés depuis des décennies à propos du fonctionnement des forces armées (ce sont exactement les mêmes problèmes qu’ont rencontrés ces forces au Viet-nâm, en 1965-72), et aucune amélioration n’est apportée. Il s’agit évidemment de défauts fondamentaux, qui renvoient à la psychologie et à la conception du monde américaines.
Le proverbe favori de cette sorte de situation, d’ailleurs régulièrement ressorti depuis que les “révolutions technologiques ” ne cessent de se succéder les unes aux autres, c’est-à-dire depuis un bon gros demi-siècle, — ce proverbe s’énonce comme suit : “Plus ça change, plus c’est la même chose”.