Leur étrange après-guerre...

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Leur étrange après-guerre...


10 juillet 2005 — A cause des circonstances nées de la communication (du phénomène qui trouve sa place dans l’ensemble plus vaste que nous nommons “virtualisme”), il existe de plus en plus, dans nombre de situations ouvertes, des courants autonomes qui semblent cohabiter tout en étant très différents jusqu’à être contradictoires, et sans lien d’influence active entre eux, pour caractériser cette situation. C’est le cas particulièrement en Iran, où ces deux situations sont les suivantes :

• D’une part la “guerre américaine”, très intense, qui semble une situation bloquée à l’image de la situation des forces armées américaines. Cette même situation est celle qui nourrit l’évolution terroriste, notamment le fait avancé par certains, — et notamment par le gouvernement irakien lui-même, — que l’Irak a remplacé l’Afghanistan comme base centrale du terrorisme. Cette affirmation, qui constitue une condamnation indirecte très forte de l’action américaine (attaque de l’Irak puis tactique développée par les Américains), met évidemment en cause toute la stratégie américaine depuis le 11 septembre 2001. Cette vision de la situation en Irak, qui semble être autonome et former un ensemble cohérent, est particulièrement noire et pessimiste. C’est sur cette vision que s’appuient les derniers développements en Amérique, la chute de popularité de GW Bush, la situation washingtonnienne pathétique, etc. Cette évolution devrait s’accentuer si la thèse de l’Irak devenu centre du terrorisme international depuis sa “libération” par les Américains gagnent du crédit.

La déclaration du gouvernement irakien à ce propos (dépèche AP du 9 juillet): « Islamic extremists have been using Iraq as a planning center for attacks around the world since losing Afghanistan as their base in 2001, the government's chief spokesman said Friday.

» Speaking about Thursday's blasts in London that killed more than 50 people, Laith Kubba said “we don't know exactly who carried out these acts but it is clear that these networks used to be in Afghanistan and now they work in Iraq.”

» The spokesman said that insurgents in Iraq and those who carried out the London attacks “are from the same network. There are different groups in the world, but they all follow the same school.” »


• D’autre part, une sorte de “vie autonome” du gouvernement irakien s’est développée. Ce gouvernement tente de s’extirper du désordre actuel, et il le fait nécessairement, objectivement dirait-on, contre la présence américaine et la politique américaine dans la région. Cette évolution pousse évidemment, selon la logique géopolitique (situations respectives des deux pays après l’élimination de Saddam, ennemi de l’Iran) et la logique politique (victoire chiite aux élections de janvier), à un rapprochement entre l’Irak et l’Iran. L’évolution a été marquée spectaculairement par les derniers contacts diplomatiques cette semaine, notamment au niveau militaire. Selon des sources diplomatiques à Bagdad, ces contacts avaient été présentés de façon très générale et très vague aux Américains, notamment le volet défense, et la précision des accords a été pour les Américains une surprise complète. « Comme d’habitude, explique une de ces sources, les Américains pêchent par leurs défauts bien connus: suffisance, lorsqu’ils croient tenir suffisamment les Irakiens pour n’avoir pas à suivre de près les activités du gouvernement, incapacité de se concentrer sur plus d’un domaine et, pour l’instant, c’est la lutte contre l’insurrection intérieure qui les mobilise »

Les contacts entre l’Irak et l’Iran, avec la visite du ministre de la défense irakien à Teheran, se sont conclus jeudi 7 juillet, tandis qu’une nouvelle visite irakienne est annoncée pour la semaine prochaine: « Former foes Iran and Iraq said on Thursday they would sign a military cooperation agreement which will include Iranian help in training Iraq's armed forces, despite likely U.S. opposition. The agreement marks a breakthrough in relations between the two countries who fought a bitter 1980-1988 war and comes in spite of repeated U.S. accusations that Shi'ite Muslim Iran has undermined security in Iraq since Saddam Hussein's fall in 2003. “It's a new chapter in our relations with Iraq. We will start wide defence cooperations,” Iranian Defence Minister Admiral Ali Shamkhani told a joint news conference with visiting Iraqi counterpart Saadoun al-Dulaimi. “We're going to form some committees which will be involved in mine clearance, identifying those missing from the war and also ... to help train, rebuild and modernise the Iraqi army.” Iran last year offered to train Iraqi border guards, but Iraq frostily declined the offer. Relations between the two countries have steadily improved since Iraq's Shi'ite majority sealed its political dominace in elections earlier this year. A large Iraqi government delegation, headed by Prime Minister Ibrahim al-Jaafari will visit Tehran next week. »


Cette évolution n’est pas en soi surprenante dans la logique qui s’est développée. Elle marque combien l’intervention américaine, essentiellement par sa forme qui implique le rejet de toute intégration dans le pays, de tout respect pour sa souveraineté, représente un “accident” extérieur que la nature et la force des choses rejettent. Les dirigeants irakiens, même compromis avec les Américains, même tenus par eux, savent parfaitement que le jeu de la coopération complète avec les USA n’a aucun sens. Ils savent que les Américains sont en Irak pour des motifs “techniques” (pétrole, bases en Irak) précis, pour des motifs politiques vagues, virtualistes, sans perspectives pour l’Irak. Pour les questions “techniques”, même si l’actuel gouvernement irakien peut difficilement s’y opposer, le succès est loin d’être évident pour les Américains (notamment à cause de l’activité de la subversion) ; plus tard on verra, et les Américains pourraient connaître des déboires. Pour les questions politiques, par contre, le gouvernement irakien a beaucoup plus de latitude qu’il ne pouvait imaginer, devant des Américains sans idée précise de ce qu’ils doivent et peuvent faire, ignorant complètement les données définissant la situation du pays et de la région, suivant très mal et à peine les déroulements de l’évolution de cette politique.

Le rapprochement irako-iranien est donc dans la nature des choses. Les Irakiens ont déjà donné aux Iraniens l’assurance qu’il n’y aurait pas d’attaque contre l’Iran à partir de leur sol. (Comment peuvent-ils donner cette assurance puisque les Américains font ce qu’ils veulent? Au contraire d’un atout américain, cette ambiguïté pourrait conduire à ces incidents où les relations entre Américains et le gouvernement irakien se tendraient fortement. Il ne faut plus exclure un scénario extrême où l’on irait, en Irak même, à une alliance “objective” entre l’actuel gouvernement irakien et une partie des insurgés, avec le soutien tacite des Iraniens, contre les Américains “occupants”. La suffisance américaine dans la planification est telle que cette possibilité est totalement absente des hypothèses prospectives des Américains.

Pour terminer, la cerise sur le gâteau serait la montée de l’affrontement général entre Américains et Iraniens, sur un champ plus vaste que les rapports Iran-Irak, alors que le rapprochement Iran-gouvernement irakien se serait poursuivi jusqu’à une quasi-alliance. La cause concrète fondamentale de ces diverses manœuvres et perspectives, la cause qui autorise ces manœuvres et ces perspectives tient dans la démonstration faite des limites dramatiques de la puissance et de l’efficacité militaires américaines.