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29 juillet 2005 — Il y a vingt ans, le scandale dit de l’“Irangate” était sur le point d’éclater et de mettre à mal la fin de l’ère Reagan (cela fut le cas, effectivement, à partir de 1986). Les détails sont aujourd’hui nombreux et d’autres viennent d’être très récemment déclassifiés. Il s’agissait d’un montage compliqué destiné à obtenir illégalement (le Congrès ayant interdit cette aide) de l’argent pour aider les Contras financés par les Américains pour lutter contre le gouvernement sandiniste du Nicaragua. Il y avait des ventes illégales de missiles à l’Iran, des intermédiaires, des réseaux de drogues, d’armes, etc. Des officiels (John McFerlane puis l’amiral Pointdexter, directeurs successifs du NSC, le colonel Oliver North, également du NSC) étaient impliqués, mais aussi des personnes privées, allant d’anciens officiers (le général Singlaub), aux réseaux du révérend Moon ou, simplement, à des intermédiaires louches désireux de se faire de l’argent.
Aujourd’hui, les méthodes révélées par un récent (25 juillet) article de Seymour Hersh, du New Yorker, sur les actions de manipulation et de fraude de l’administration GW pour influencer les élections de janvier 2005 en Irak rappellent celles de l’affaire Iran-Contras et sont directement présentées comme telles. Ce n’est ni un hasard, ni une coïncidence.
Trois points définissent ces actions:
• Leur complète illégalité. Il semble que le point de départ de ces opérations, leur fondement soient bien: il faut lancer cette opération complètement en-dehors des structures légales. Ce n’est pas la condition du succès de l’opération, c’est la condition même de son existence.
• Les interférences entre le domaine privé (individus, organisations, US ou non-US) et le gouvernement sont systématiques. Cela permet notamment une circulation facile de l’argent et des opérations de manipulation. Ce point est évidemment complètement complémentaire du précédent.
• Le gouvernement n’agit pas d’une façon homogène. Chaque grande agence, chaque département a sa politique, les alliances se font et se défont. L’article de Hersh montre que le département d’État fut d’abord partie prenante, puis il fut laissé dans l’ignorance de l’opération conduite par une alliance ad hoc entre le Pentagone (DoD) et la CIA.
Ces révélations, et la référence de l’Irangate, nous rappellent opportunément qu’il y a là un phénomène de système. Depuis l’installation de Reagan, notamment avec des hommes comme Casey (directeur de la CIA 1981-86), qui avait été dans l’OSS en 1941-45 puis banquier à Wall Street, ce système d’action illégale, avec connexion privé-gouvernement et selon des “intérêts particuliers” à l’intérieur du gouvernement, fonctionne effectivement sous une forme structurelle de système. (Pour armer les moudjahiddines afghans contre les Soviétiques ou pour soutenir Solidarnosc en Pologne, Casey utilisa les mêmes méthodes: on voit ainsi que nous ne faisons pas nécessairement un jugement moral, puisqu’au moins le soutien de Solidarnosc n’est pas en général dénoncé comme une action moralement condamnable. Il s’agit bien d’une situation structurelle relevant du système, hors du facteur moral.)
Plus encore, il faut écarter l’idée du complot permanent, du montage minutieux s’appuyant sur ces méthodes illégales. Les révélations de Hersh, telles qu’elles sont présentées par WSWS.org le 26 juillet dans ces quelques paragraphes, où l’on voit comment le département d’État est écarté, ne montrent certainement pas une grande maîtrise du processus par les principaux acteurs, et même le contraire.
« State Department Warrick’s plan for support to Allawi was abruptly dropped in the early fall of 2004, Hersh claims, but was replaced by a covert program that was kept secret, not only from the Iraqi and American people, but from the State Department as well.
» Hersh writes: “former military and intelligence officials told me, the White House promulgated a highly classified Presidential ‘finding’ authorizing the CIA to provide money and other support covertly to political candidates in certain countries who, in the Administration’s view, were seeking to spread democracy. ‘The finding was general,’ a recently retired high-level CIA official told me. ‘But there’s no doubt that Baghdad was a stop on the way. The process is under the control of the CIA and the Defense Department.’”
» Hersh continues: “A former senior intelligence official told me, ‘The election clock was running down, and people were panicking. The polls showed that the Shi’ites were going to run off with the store. The Administration had to do something. How?’” »
“People were panicking”... “The administration had to do something”... Voilà le climat. Rien de contrôlé, rien de construit. Le système fonctionne dans l’illégalité, dans la division antagoniste, sans aucune référence au bien public ou à une vision régalienne des choses, — et dans la panique la plus complète. La description que nous faisons n’est donc pas celle d’une structure clandestine mise en place parce qu’elle est efficace, mais d’une structure existante, que personne ne songe à modifier, et qui ne marche pas, comme le reste. Le fait est que, depuis l’époque Reagan, le système américaniste a abandonné les derniers vestiges de ce qui pouvait encore faire illusion quant à sa structure d’État, en tant que structure régalienne dirigeant une nation dans le contexte de l’histoire. Il est devenu complètement l’extrême du processus dont les germes existaient dès l’origine: un pays non-historique, bâti en-dehors de l’Histoire (le nom de “nation” est inapproprié en quelque sorte), répondant à des équilibres nés d’intérêts particuliers et dirigé par un personnel qui a effectivement cette conception.
Le scandale du Watergate et ce qui suivit fut la dernière grande affaire américaine à mériter le nom de “scandale” (quelque chose d’exceptionnel, une « grave affaire qui émeut l’opinion publique » [selon le Robert] par son caractère hors normes et de transgressement de la loi et du bon usage). Il n’y a plus de scandale, désormais: ce qui faisait un scandale est devenu la norme. La chose fut installée par l’équipe Reagan dans la mesure où cette équipe appliquait la collusion privé-public, notamment annoncée par des réactions précises du Big Business, comme le ‘Manifeste Powell’. C’est le stade ultime du système, que l’épisode démocrate de Clinton n’a pas modifié d’un iota. Nous vivons depuis Reagan sous ce régime du “stade ultime” et GW ne fait qu’appliquer la chose, avec les maladresses, les erreurs là aussi systématiques et l’absence totale d’esprit critique par simple impossibilité de la critique pour sa propre action selon une démarche, un comportement et une tournure d’esprit idéologisée que nous codifions sous le terme de “virtualisme”.