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12 août 2005 — Pour suivre fort opportunément le texte “Faits & Commentaires” d’hier, voici un nouveau commentaire de William S. Lind, publié hier, sur le même sujet. Lind poursuit le rapport de la réunion à laquelle il a assisté (le Modern War Symposium, convoqué fin juillet par le colonel Mike Wyly, ancien du Corps des Marines). Il développe cette réflexion, qu’il semble complètement épouser, sur l’idée d’une évolution vers une structure en “milices” pour fournir les capacités de défense des USA face à la guerre de quatrième génération (4GW).
Les précisions techniques sont intéressantes mais il ne s’agit pas, nous semble-t-il, de l’essentiel. Lind précise que le séminaire auquel il a assisté n’est certainement pas complet, qu’il n’en connaît pas encore toutes les conclusions (celles de certains groupes de travail qu’il n’a pas suivis), enfin que le sujet révolutionnaire de la réforme militaire fondamentale n’est certainement pas épuisé.
Lui-même, Lind, reste très vague sur le statut de la puissance militaire actuelle des USA (le Pentagone, qui centralise les forces armées) dans le cadre nouveau envisagé. Par contre, il précise que les milices qui constituent l’idée de base de cette réforme révolutionnaire doivent être dotées d’une direction générale (évitant les dangers de la centralisation type-Pentagone) :
« Another typical militia weakness is doctrinal stagnation. To counter this, the militia would have its own General Staff, made up of the kind of ''military dinks'' who have been into military history and war games since they were kids. The General Staff would oversee doctrine, training and the regular round of free-play exercises. »
Plus encore, Lind apporte des précisions sur ce que devraient être les rapports entre les milices et Washington, siège du pouvoir central, marquant une distance certaine avec l’exécutif au nom d’une appréciation fortement critique de l’actuelle politique de cet exécutif: « This thought led to one last innovation: the militia’s General Staff would report to Congress, not the Executive Branch, except for those units which were mobilized, where the General Staff would report to the mobilizing authority (often a state governor). Congress will be generous to local militia units, because they will be made up of voters. But that was not our motive. Rather, we feared that if the militia came under the Executive Branch, it would promptly move to destroy it because it hates anything that does not give more power to Big Brother. All a President would have to do is turn the militia over to the Pentagon or DHS; either would delight in putting the knife into something that was bottom-up instead of top-down. That’s exactly what the Bush Justice Department did to the country’s most promising community policing program, the Police Corps. »
Mais l’essentiel est sans aucun doute l’idée politique fondamentale qui baigne cette réflexion. La principale question que pose le projet Lind/milices ne concerne rien de moins que la légitimité de l’actuel gouvernement central des USA. Cela est implicite tout au long des explications techniques qui nous sont données. Cela devient quasiment explicite sur la fin du texte. C’est sans aucun doute l’aspect le plus intéressant du texte de William S. Lind.
« If the militia idea is on the right track, it would reinforce rather than undermine the qualities of a true republic. That in turn means it could strike directly at the origin of 4GW, the state’s crisis of legitimacy. Of course, it also means that everyone in Washington will see it as a threat, because Washington is united in its pursuit of the national security state and the total power it offers to the center. And that, in turn, is at least part of the origin of the state’s legitimacy crisis. »
Effectivement, la question centrale est bien entendu celle de la légitimité. Pour Lind, la guerre de quatrième génération, qui est une sorte d’insurrection à la fois anarchique et globalisée, est le signe direct de la crise de la légitimité de l’État. Cette crise a lieu parce que l’autorité de l’État s’effondre, parce que la souveraineté nationale est battue en brèche, parce que l’autorité politique de type régalien est quasiment pulvérisée sous la pression des puissances économiques, notamment représentées par les groupes de pression, la corruption, les réseaux transnationaux et ainsi de suite.
Avec cette idée des milices, qui rapproche la puissance de sécurité nationale du berceau de la véritable légitimité (pour le cas américain), Lind estime qu’il y aurait une re-légitimation de l’ l’État (dans ce cas, l’État constitutif de l’Union). Cette re-légitimation serait elle-même, en se répandant, le moyen le plus efficace de lutter contre la guerre de quatrième génération puisqu’elle attaquerait la cause même de cette guerre.
Idée révolutionnaire sans aucun doute, — à la fois d’un point de vue temporel et d’un point de vue structurel : d’un point de vue temporel parce qu’elle met en cause la structure anarchisante de la puissance centrale américaniste, principale force de déstructuration du monde aujourd’hui ; d’un point de vue structurel parce qu’elle met en cause le mouvement général de déstructuration qu’on nomme en général “globalisation”.
Il sera intéressant de voir le destin de cette idée aux Etats-Unis, à l’heure où le bloc de la bureaucratie de sécurité nationale, bras séculier central du mouvement de désordre actuel, est frappé d’une crise sans précédent. Lind comprend parfaitement la difficulté de la tâche, comme le montre sa conclusion: « Like the original, I suspect this Gordian knot may end up getting cut rather than unraveled. » Le nœud gordien devra être tranché parce qu’il ne peut être dénoué. L’acte devra être brutal.