L’avion qui savait tout faire, du charleston à Sinatra

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L’avion qui savait tout faire, du charleston à Sinatra

23 août 2005 — Richard Aboulafia a de nouveau frappé. Notre analyste est déjà célèbre pour sa formule « Le JSF pourrait faire à l'industrie européenne ce que le F-16 a presque réussi: la détruire. ». Il la ressort, de cinq ans en cinq ans, laissant au condamné à mort (l’industrie européenne) le temps de fumer encore quelques bonnes cigarettes du condamné à mort. Sa nouvelle formule, c’est: « It’s really an all-singing and all-dancing plane. »

Sait-on de quoi il parle? Bravo : c’est bien du JSF qu’il s’agit. Le JSF qui n’existe pas peut donc d’ores et déjà tout faire et l’on s’aperçoit qu’il peut encore plus que ça, — danser tout ce qu’on veut, y compris le charleston comme Philippe Clay, lorsqu’il avait 30 ans, à Cannes au Carlton (« Fallait, fallait m’voir danser le charleston ») ; chanter comme personne, c’est-à-dire comme “Old’ Blue Eyes” ressuscité et chantant “My Way”, mais dans sa nouvelle version désormais sur toutes les bouches (“My JSF’s Way”).

Cette introduction ludique pour signaler un article fameux de Defense News, ce 22 août, annonçant des capacités jusqu’ici inconnues du JSF. Aboulafia exulte. Le Corps des Marines, qui est la seule arme US encore intéressée à la survie du JSF, vient de laisser entendre, avec l’aide bénévole de Lockheed Martin, que les capacités potentielles du JSF sont telles qu’en fait, cet avion-miracle pourrait être l’“arme absolue” contre l’“arme absolue” : le JSF pourrait avoir raison des IED (Improvised Explosive Devices), nom un peu plus civilisé pour désigner ces vilaines voitures-kamikaze et autres bombes posées sur les routes, qui tiennent en échec la puissance américaine en Irak. C’est du moins ce que nos esprits agiles sont conduits à conclure.

Après une annonce, avec l’aide bénévole de Lockheed Martin, sur les mirifiques qualités potentielles (dont l’essentielle qu’on vous annonce — souligné en gras par nous) de l’avion qui n’existe pas mais qui sait déjà tout faire, …

« The U.S. Marine Corps wants its F-35 Joint Strike Fighter (JSF) to be more than an affordable replacement for the Harrier close-air-support plane; it wants the next-generation aircraft to jam the cell phones that trigger roadside bombs.

» “For about the past six months, the Marines have been coming to us and asking if there was anything the JSF could do to support the guys on the ground, to shut down a communications system,” said David Jeffreys, a program manager with F-35 maker Lockheed Martin. »

... Vient la confirmation que nous attendions tous, que nous sommes priés d’aller chercher à la fin de ce paragraphe ci-après cité (souligné par nous en gras): « The JSF is slated to be produced in the thousands for the U.S. Air Force, Navy, Marines and the British Royal Navy, and to be offered to other countries as well. The plane’s potential as a digital killer blurs the traditional line between platforms that collect aerial electronic intelligence and those that act on it. A plane that drops precision munitions may also sever analog and digital links in an enemy network: between troops, between anti-aircraft missiles and their guidance radar, between an insurgent’s cell phone and a roadside bomb. »

Suit un long développement sur les fantastiques capacités électroniques, informatiques et ainsi de suite, — développement sans grand intérêt, c’est toujours la même chose. Il en ressort qu’il n’y a jamais eu merveille comparable au JSF, qu’il est encore mieux que ses géniteurs, qu’Aboulafia avait accompagnés jusqu’au bénitier, l’avaient annoncé.

Conclusion : le JSF va vraiment très mal… (On le savait déjà.)

On s’en aperçoit d’ailleurs, outre ce que tout le monde sait, à certains signes dans la suite de l’article. On comprend que la présentation exaltée des capacités de guerre électronique du JSF sous le sponsoring du Corps des Marines et de Lockheed Martin, a pour but de nous faire gober l’idée que, puisque le JSF peut tout faire et encore plus, une version de guerre électronique (EW) de l’avion est une initiative toute indiquée pour tous les services. (On ne parle pas des acheteurs étrangers : ceux-là, ils sont d’accord pour tout par définition puisqu’ils sont là pour ça, ce n’est même pas la peine de leur demander puisque Lockheed Martin parle pour eux : « “We have discussed electronic attack with every customer, and every single one of them said, ‘We want more of that,’. ” said Jeffreys, who manages JSF upgrades for Lockheed Martin. »)

Deux paragraphes nous indiquent pourtant les réticences, malgré la forme flatteuse adoptée pour l’USAF, des deux principaux acheteurs du JSF :

« The Air Force, which abandoned tactical electronic warfare when it retired its EF-111s a decade ago, may soon add an electronic warfare suite to its B-52 bombers. But officials say they are taking a good look at the EW and intelligence-surveillance-reconnaissance capabilities of the JSF and the F/A-22.

» The Navy seems less interested in the do-it-all bandwagon. The service is developing and in 2009 will field an electronic-attack version of its F/A-18F Super Hornet, the so-called Growler. It takes a dedicated plane to do the job, said James Smith, who is leading the Navy’s E/A-18G analysis and integration team. »

D’autre part, et ce n’est pas rien, le “do-it-all bandwagon” (n’y a-t-il pas une certaine ironie dans cette expression de Defense News qui fait son boulot de promo du JSF/Aboulafia mais n’y croit pas trop?) devra tenir compte du fait que la première version de la merveille qui doit sortir du “UAS Road Map” sera justement une version de guerre électronique du J-UCAS, qui est annoncée en grande fanfare pour d’ici 2010, ce qui contribuera un peu mieux et un peu plus vite à gober l’avion qui savait tout faire. Pour rappel :

«[The J-UCAS] would perform a range of missions now flown by human crews in rapidly aging but critical airframes. This includes close-in electronic suppression of enemy air defenses, a dangerous task now flown by EA-6B Prowler aircraft. The roadmap envisions this mission being handled by unmanned craft by the end of this decade. »