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3 septembre 2005 — Parmi d’autres sans doute auxquels nous n’avons pas encore eu le temps d’avoir accès, le texte de Reuters (disponible sur CommonDreams.org) reprenant diverses réactions dans le monde aux événements américains est très caractéristique. Méthode habituelle des agences : on collecte dans un certain nombre de pays des avis du type “non autorisé” — des citoyens interrogés de façon impromptue — pour tenter de donner l’impression générale du reste du monde (the Rest Of the World, ou ROW) sur les événements. L’impression ressortie de ce texte est étonnante, elle parle à notre intuition en confirmant notre raison. Elle va à l’essentiel (souligné par nous en gras) : « The world has watched amazed as the planet's only superpower struggles with the aftermath of Hurricane Katrina, with some saying the chaos has exposed flaws and deep divisions in American society. »
Reuters a même trouvé des officiels disant des choses intéressantes, à côté des incroyables palinodies de la plupart d’entre eux, incapables en ces heures si graves d’exposer enfin un jugement honnête sur ces événements. C’est le cas du Luxembourgeois Jean Asselborn, ministre des affaires étrangères, — ce petit pays à la réputation d’ennui bien surfaite, le Luxembourg, est une pépinière d’hommes solides et lucides à l’image de son Premier ministre Jean-Claude Juncker, n’hésitant jamais à dire les choses que les gouvernements voisins osent à peine penser tout bas, s’il est confirmé qu’ils pensent tout bas. A une réunion de l’Union européenne, à Newport, au Pays de Galles, Jean Asselborn a déclaré: « You see in this example that even in the 21st century you need the state, a good functioning state, and I hope that for all these people, these poor people, that the Americans will do their best. ».
Comme cinglante critique “diplomatique” de l’administration GW, on ne fait pas mieux. Il faut croire que la tragédie de “Katrina” est la plus formidable affirmation de la nécessité d’un gouvernement de bien public pour la société, fondé sur une perception régalienne de la direction de la société ; la nécessité d’un gouvernement qui assure la cohésion sociale et donne le sens de l’unité et de la solidarité en même temps qu’il tente d’assurer l’efficacité de l’action collective. Ce sont des décennies et des tonnes de propagande virtualiste en faveur de l’individualisme irresponsable qui sont balayées par les flots déchaînés du Golfe du Mexique. La nature fait bien son travail.
C’est effectivement dans ce sens que nombre des réactions vont à l’essentiel dans les leçons à tirer presque dans l’immédiat, sans trop s’embarrasser des considérations humanitaires et de solidarité qui vont de soi : “Katrina” expose la monstruosité du système américaniste, et la profondeur exceptionnelle de sa crise. Ce sont des paroles de dignité et d’humanité qui résonnent de cette façon. Nous en donnons trois exemples extraits de l’article, dont deux nous viennent, heureuse circonstance, de ce “monde extérieur” auquel la civilisation du système monstrueux entend imposer sa loi en l’assortissant de leçons de vertu, — et le troisième, non moins heureuse circonstance, du pays qui s’est aveuglément soumis au système.
• « “I am absolutely disgusted. After the tsunami our people, even the ones who lost everything, wanted to help the others who were suffering,” Sajeewa Chinthaka, 36, [said] as he watched a cricket match in Colombo, Sri Lanka. “Not a single tourist caught in the tsunami was mugged. Now with all this happening in the U.S. we can easily see where the civilized part of the world's population is.” »
• Une employée sud-coréenne du siège sud-coréen d’une firme multinationale dirigée par un Américain nous dit simplement que “Katrina” n’est, après tout, peut-être pas un accident… (On notera la précaution du témoin, voulant garder l’anonymat parce que son patron est Américain, et l’on comprendra quelle sorte d’humanité nous est imposée aujourd’hui.) « “Maybe it was punishment for what it did to Iraq, which has a man-made disaster, not a natural disaster,” said the woman, who did not want to be named as she has an American manager. “A lot of the people I work with think this way. We spoke about it just the other day,” she said. »
• David Fordham, 33 ans, est un anesthésiste d’un hôpital londonien et nous dit qu’il a vécu en Amérique, et qu’il n’est pas vraiment étonné: « Maybe they just thought they could sit it out and everything would be okay. » Effectivement, c’est leur méthode nihiliste puisque c’est celle qu’ils employèrent en Irak: conquérir le pays, s’asseoir et attendre que tout se mette en place dans l’ordre américaniste. Le marché libre fera le reste.
Observons encore que même un journal français, parisien comme on ne peut plus puisqu’il s’agit de Libération, ose une remarque ironique qui, une semaine plus tôt, eût été un sacrilège puisqu’elle implique que Ben Laden est un être humain comme vous et moi : « A modern metropolis sinking in water and into anarchy — it is a really cruel spectacle for a champion of security like Bush,” France's left-leaning Liberation newspaper said. (Al Qaeda leader Osama) “bin Laden, nice and dry in his hideaway, must be killing himself laughing.” »
Il y a effectivement une étrange atmosphère dans ces remarques, une atmosphère qui marque la transmutation immédiate de la perception de la tragédie vers le contexte qui importe, — une épreuve de vérité pour le système, dans laquelle le système sombre aussitôt, plus sûrement que La Nouvelle Orléans, dans l’incompétence criminelle et le ridicule ; et une épreuve de vérité imposée par quelque chose au-delà de la raison et des lois mécaniques de la nature, par la puissance et la logique d’une Histoire répondant à des impulsions transcendantales bien plus qu’à la volonté des hommes.
De là, la sensation universelle que le système est aujourd’hui face à son heure de vérité. “Katrina” expose la profondeur presque maléfique (voir ce que nous dit la Sud-Coréenne) des travers du système, qui semble avoir été fabriqué pour le malheur de l’humanité et pour la destruction de la civilisation, avec l’habituelle ruse (le ruse suprême du Mal est de se faire passer pour le Bien). La remarque du très grand écrivain américain Gore Vidal, prémonitoire dans son interview du “Monde” publiée le 1er septembre (mais réalisée bien entendu avant “Katrina”), alors qu’il prend la précaution ironique de se déclarer athée pour ne pas se trouver dans la même galère que GW (« Oh oui ! un pur athée. Un athée born again... »). Vidal répond à propos de la religion en Amérique mais il est entendu, pour nous, que, dans le cas américaniste, la religion n’est qu’un instrument hystérique du système et vraiment rien d’autre:
« C'est l'œuvre du diable. Il n'y a peut-être pas de bon Dieu, mais il y a sûrement un diable et sa passion dominante, c'est la religion des fondamentalistes protestants. Je crois que mon pays commence, à de nombreux égards, à ressembler à une théocratie. Par le biais de la télévision, les évangélistes lèvent des fonds considérables qu'ils investissent ensuite pour faire élire des obscurantistes attardés. Comme il n'y a pas de système d'éducation publique, la grande majorité de mes concitoyens est d'une ignorance à faire peur. Ils ne savent pas où est l'Irak. Ils prennent tout ce que le gouvernement leur dit pour parole d'Evangile. Bon sang, n'importe quel pays normal se serait révolté contre cette guerre ! Mais nous sommes un pays anormal, gouverné par des experts en publicité mensongère. »
Conclusion : s’il fallait “Katrina” pour changer cela, eh bien “Katrina” pourrait être ce “bien pour un mal” qu’on doit espérer.