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10 septembre 2005 — Sans trop de commentaires, à part notre habituel persiflage, — d’abord, dans l’ordre chronologique, quelques lignes de réflexion sur une dépêche d’AFP du 6 septembre, nous donnant quelques échos de déclarations du « chef de la politique extérieure et de sécurité européenne », Javier Solana. Les échos viennent de Chine, où Solana était en visite du 5 au 7 septembre. Solana n’a pas pu éviter le sujet: il est obligé de répondre à des questions sur la non-levée de l’embargo des armes européennes vers la Chine.
(Cela, d’autant plus qu’il en a effectivement parlé avec les Chinois, — voir plus loin.)
Quelques citations de Solana avec quelques mots d’appréciation.
• Énigmatique : « Both sides are looking for the right time -- this an agreement which is part of yesterday and not part of tomorrow. [...] We want to resolve it. We think that it's part of history, but we have to find the manner and the moment when this can be done. » En d’autres termes: cette disposition est complètement dépassée, elle n’a plus aucune raison d’être, elle appartient à hier et non à demain, — pourtant il importe de trouver la manière et le moment de la supprimer, et ce n’est encore ni aujourd’hui ni demain, — et ce sera peut-être après-demain si les choses se passent bien et si l’attention de Washington reste centrée sur les marigots de Louisiane. Logique surprenante, qui mériterait une exploration plus minutieuse : vous avez quelque chose qui concerne deux parties, dont les deux parties s’entendent pour juger qu’elle ne vaut plus tripette et qu’elle les embarrasse en plus d’être inutile, et pourtant il faut attendre manière et moment adéquats pour la liquider.
• Paradoxal : « The embargo's removal would not impact the current trade of weapons at all. » Tout le monde s’accorde à peu près sur cette idée, puisque l’embargo est en général aisément tourné. (Par ailleurs, on sait que le principal fournisseur à la Chine de systèmes assimilables à l’armement est, du côté occidental, Israël ; et que les USA ne sont pas les derniers à tourner leur propre politique à cet égard.) En d’autres termes, cet embargo est non seulement dépassé mais il n’a aucune valeur pratique, il n’a aucune importance, il compte pour du beurre. Cette absence de substance est la clef de son succès polémique et politique. L’embargo est devenu simplement un test de volonté politique dans une époque où la politique se caractérise par l’attention portée à l’évitement systématique de tout ce qui ressemble à de la substance, dans le domaine où s’exerce le sujet ; mais l’époque est diabolique et fait retrouver de la substance à ces phénomènes, par des biais ; si l’embargo n’a aucune substance dans ce sur quoi il porte (les armes), il en retrouve pour ce qui est des relations entre l’Europe et les USA.
• Dilatoire, sans beaucoup de panache, justement à propos des USA bien entendu. Les journalistes interrogent Solana sur les pressions américaines: ont-elles joué un rôle? Ont-elles été déterminantes? Solana donne une réponse effectivement à peine dilatoire, et qui constitue une grossière déformation de la réalité connue de tous : « The EU does not make any decision according to the demands of others. » Tout le monde sait que l’UE a passé le printemps dernier à tenter d’expliquer à l’administration GW et au Congrès US le peu d’importance de la levée de l’embargo. Une mission de lobbying a été envoyée pour cela. Le débat n’a donc été qu’entre les institutions européennes et le Congrès des États-Unis, comme si celui-ci avait été un membre pivot de l’UE qu’il fallait convaincre. Bien entendu, l’UE a capitulé, avec l’aide des Britanniques qui sont toujours présents lorsqu’il s’agit de capituler, et d’une bonne majorité d’États-membres, séduits par cette perspective effectivement aguichante. Cette piètre aventure de peu d’importance est une bonne mesure de l’absence de politique européenne, et de l’ignorance pour ce qu’on nommerait la “dignité européenne” chez ceux qui, en général, recommandent de voter “oui” aux divers référendums sur l’Europe.
Là-dessus, nous changeons de registre, abandonnons l’amertume des commentaires européens et passons aux réalités.
D’abord, une courte visite aux USA, où Rice, revenue de son shopping à New York pendant qu’on mesurait l’ampleur du désastre de Katrina à La Nouvelle Orléans, est totalement tétanisée d’apprendre, comme l’explique “Defense News” et l’AFP le 9 septembre, qu’un « senior EU official said the move was inevitable over the long term ». (Le “senior EU official”, autre nom de code et mot de passe du brave Solana.)
Rice frappe donc à nouveau sur le clou, selon sa méthode préférée, comme si elle parlait à des attardés mentaux. Son discours est considérable de clarté et de finesse: il consiste à dire et à redire que les Européens ont donc bien compris ce que les Américains veulent, et qu’ils l’ont si bien compris qu’il faut le leur redire et le leur redire encore, et que le dialogue stratégique euro-USA vers une “compréhension commune” sur la matière de la Chine (i.e. : ce que les Américains veulent que les Européens fassent vis-à-vis de la Chine) a fait “beaucoup de progrès”, au point qu’il faut répéter et encore répéter que les Américains ne veulent pas de levée de l’embargo…
« Secretary of State Condoleezza Rice said she would discuss the matter with her European counterparts outside the U.N. General Assembly opening in New York next week. “I think we’ve made our views very clear about the potential lifting of the arms embargo against China,” Rice told a State Department news conference. “I think we’ve made it clear that we, after all, defend the Pacific and we believe very strongly that that needs to be understood by our European colleagues.”
(...)
« Rice said U.S. officials had made “a lot of progress” with their European counterparts in working toward a common strategic understanding of Asia, and discussions would continue. “I think we’ve gone quite a long way to a common understanding of why the lifting of the arms embargo is problematic for the United States,” she said. »
Le plus beau dans cette affaire est qu’il se passe effectivement quelque chose.
• La délégation européenne (Commission, Secrétariat), en Chine les 5-7 septembre, a parlé avec les Chinois, en plus des quotas de textile, de la question de l’embargo des armements européens vers la Chine.
• On a voulu faire plaisir aux Chinois, desquels on attend beaucoup dans divers domaines. On leur a dit que l’embargo est une relique d’une autre époque, d’ailleurs sans véritable valeur formelle. (Pourquoi le Parlement européen s’imagine-t-il qu’il doit donner son avis, éventuellement son feu vert à la levée de l’embargo ? La décision de l’embargo a été prise sans lui et ne dépend aucunement de lui. Les experts de l’ambassade US à Bruxelles s’entendent à expliquer aux euro-députés les fondements et le fonctionnement du Droit européen.)
• En d’autres mots, on a dit aux Chinois que la levée de l’embargo était inéluctable. Quand? ont alors demandé les Chinois, sur un ton énigmatique. Flottement chez les Européens. « Il semble bien, dit une de nos sources bien informées, qu’on ait dit finalement aux Chinois qu’on reviendrait sur la question dans un an. Dans tous les cas, ils l’ont entendu comme cela. Mais comment? Par quel biais? Lequel de l’État en charge de la présidence, [les Autrichiens puis les Finlandais en 2006,] aura le poids et la volonté de remettre cette question à l’ordre du jour, alors que les Américains taperont dessus avec leur grosse artillerie? Personne n’a de réponse… »
• Il n’empêche que les 25 ont approuvé les résultats de la visite européenne en Chine. C’est-à-dire qu’ils approuvent la perspective d’examiner, pour la décider certes, la levée de l’embargo en 2006. Mais ils ne savent pas plus que les négociateurs européens comment se fera la chose, et ils n’ignorent pas que Rice & compagnie vont à nouveau faire un ramdam de tous les diables. Pendant ce temps, les Chinois attendent, énigmatiques.
• La réalité de tout cela, c’est que l’Europe, — les institutions et l’Europe à 25, — ne cesse de montrer chaque jour un peu plus son désordre intérieur et l’impuissance qui en découle. Conclusion? Selon notre source : « Dans ce domaine comme dans tant d’autres, on va en revenir subrepticement aux contacts d’État à État, sans plus s’occuper des palinodies européennes. » Évidemment, il faudra expliquer cela aux Américains dans le cadre du “dialogue stratégique”.