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17 septembre 2005 — Le quotidien The Independent, qui a une tradition d’extrême sensibilité à la question de la crise climatique (global warming), publie le 16 septembre un article extrêmement alarmiste sur cette question, mais à partir de constats scientifiques précis. Le thème est clairement: nous sommes entrés dans la crise climatique, le climat a complètement basculé au travers d’un “processus vicieux” lié à la fonte des glaces arctiques qui alimente désormais de façon irréversible cette crise (« an irreversible phase of warming which will accelerate the loss of the polar sea ice that has helped to keep the climate stable for thousands of years. »)
The Independent observe :
« A record loss of sea ice in the Arctic this summer has convinced scientists that the northern hemisphere may have crossed a critical threshold beyond which the climate may never recover. Scientists fear that the Arctic has now entered an irreversible phase of warming which will accelerate the loss of the polar sea ice that has helped to keep the climate stable for thousands of years. They believe global warming is melting Arctic ice so rapidly that the region is beginning to absorb more heat from the sun, causing the ice to melt still further and so reinforcing a vicious cycle of melting and heating.
» The greatest fear is that the Arctic has reached a “tipping point” beyond which nothing can reverse the continual loss of sea ice and with it the massive land glaciers of Greenland, which will raise sea levels dramatically.
» Satellites monitoring the Arctic have found that the extent of the sea ice this August has reached its lowest monthly point on record, dipping an unprecedented 18.2 per cent below the long-term average. Experts believe that such a loss of Arctic sea ice in summer has not occurred in hundreds and possibly thousands of years. It is the fourth year in a row that the sea ice in August has fallen below the monthly downward trend — a clear sign that melting has accelerated.
» Scientists are now preparing to report a record loss of Arctic sea ice for September, when the surface area covered by the ice traditionally reaches its minimum extent at the end of the summer melting period. Sea ice naturally melts in summer and reforms in winter but for the first time on record this annual rebound did not occur last winter when the ice of the Arctic failed to recover significantly.
» Arctic specialists at the US National Snow and Ice Data Centre at Colorado University, who have documented the gradual loss of polar sea ice since 1978, believe that a more dramatic melt began about four years ago. In September 2002 the sea ice coverage of the Arctic reached its lowest level in recorded history. Such lows have normally been followed the next year by a rebound to more normal levels, but this did not occur in the summers of either 2003 or 2004. This summer has been even worse. The surface area covered by sea ice was at a record monthly minimum for each of the summer months — June, July and now August.
» Scientists analysing the latest satellite data for September — the traditional minimum extent for each summer — are preparing to announce a significant shift in the stability of the Arctic sea ice, the northern hemisphere's major “heat sink” that moderates climatic extremes. “The changes we've seen in the Arctic over the past few decades are nothing short of remarkable,” said Mark Serreze, one of the scientists at the Snow and Ice Data Centre who monitor Arctic sea ice. »
Comment interpréter cette annonce ?
• On peut débattre sur l’aspect scientifique de l’événement, notamment son interprétation (les données objectives étant ce qu’elles sont). Certains (une minorité sans doute) la contesteront dans sa globalité ; d’autres contesteront les effets du réchauffement climatique par rapport à l’événement annoncé. Tous reconnaîtront néanmoins que les facteurs s’accumulent pour faire penser que la crise climatique commence à entrer, ou est d’ores et déjà entrée dans sa phase active. Cette approche rationnelle n’est pas spectaculaire, et rejette d’ailleurs l’aspect spectaculaire ; pour autant, elle ne parvient pas à dissimuler la force et l’ampleur de l’événement tout en ne parvenant pas à en rendre compte de façon satisfaisante.
• On peut spéculer sur les effets politiques de l’événement, au sens le plus large du mot “politique”. Quels vont être les effets sur la marche globale de l’économie, sur les relations internationales ? Comment vont réagir les forces politiques, les nations et groupes de nations ? Quelles sortes de tensions va générer cette évolution de l’environnement ? Et ainsi de suite. Cette sorte de spéculation élargit sans aucun doute la vision avec l’intervention d’autres domaines que le strict domaine scientifique. Pour autant, elle se trouve devant un dilemme puisqu’elle ne parvient pas à rendre compte de l’ampleur de l’événement bien qu’elle la suggère de façon très appuyée.
• Ce sont des approches conventionnelles, compréhensibles voire estimables, mais qui nous paraissent plutôt faibles et de toutes les façons insuffisantes. Comme on l’a déjà observé, leur principale faiblesse est qu’elles ne parviennent que très difficilement à rendre compte de la grandeur de l’événement et, surtout, elles sont impuissantes à en saisir la substance.
• Une autre approche propose une vision historique différente, une vision historique qui se réfère à une perception de l’Histoire sortie du cadre conventionnel qu’on a de l’idée de l’Histoire. Cette approche poursuit et élargit la crise de l’ouragan Katrina aux USA dans ce qu’elle a eu aussitôt d’extraordinaire, — une crise qu’on peut qualifier de politique et peut-être même d’historique née quasi-instantanément d’un événement causé par la nature (on parle déjà d’une ère “post-Katrina”, comme dans cette citation du Guardian du 12 septembre, à propos de l’Irak : « Post-Katrina, the question is not whether the US will begin to withdraw — but when, how and, above all, with what damage. »).
• La nouvelle annoncée par The Independent nous annonce que nous sommes entrés dans une période historique sans précédent par une conjonction contradictoire extraordinaire : d’un côté, la puissance des développements humains fait penser, — et c’est même une croyance pour certains, — que l’homme est parvenu à la maîtrise de son environnement. D’autre part, des événements, de Katrina à cette annonce de The Independent, dans une conjonction symbolique par la proximité chronologique, nous montrent que l’homme perd tout contrôle de son environnement à cause d’une véritable “révolte” de cet environnement (les facteurs qui ont aidé à « to keep the climate stable for thousands of years » sont en train de disparaître), — “révolte” dont lui-même, l’homme, porte une grande part de responsabilité.
Nous atteignons un moment de l’Histoire où l’affrontement entre ces deux mondes atteint son paroxysme. Bien entendu, l’identité des “deux mondes”, qui n’ont rien à voir avec la Revue du même nom, rend cet affrontement complètement extraordinaire. Il s’agit de l’affrontement entre le monde créé par l’homme et le monde de la nature. L’un des signes les plus convaincants de l’ampleur et de l’originalité de la crise est justement l’existence de la crise, qui présuppose qu’il y a évidemment “deux mondes” à prétentions également universelles, et qui s’affrontent désormais ouvertement.