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18 septembre 2005 — Il arrive qu’un coin du voile soit levé, souvent par inadvertance ou indifférence, parfois par maladresse, parfois par légèreté — parfois même par provocation? C’est le cas (le coin du voile levé) avec l’affaire de Tony Blair vilipendant la BBC pour sa couverture soi-disant “anti-américaine” de Katrina, pour l’oreille complaisante de Rupert Murdoch. (Quant à la raison : inadvertance ou indifférence, maladresse, légèreté, sadisme ou provocation, la question reste ouverte.)
L’incident? Selon The Observer : « Tony Blair has denounced the BBC's coverage of Hurricane Katrina as 'full of hatred of America' and 'gloating' at the country's plight, it was reported yesterday. Blair allegedly made the remarks privately to Rupert Murdoch, chairman and chief executive of News Corporation, which owns the rival Sky News. » Plus loin, The Observer donne des précisions qui permettent de mesurer le caractère extraordinaire de cette intervention de Murdoch : « Murdoch, a long-standing critic of the BBC, was addressing the Clinton Global Initiative conference in New York. Chuckling, he said: “I probably shouldn't be telling you this” before recounting a recent conversation with Blair. He said the Prime Minister was in New Delhi when he criticised BBC coverage of the catastrophe in New Orleans: “He said it was just full of hatred of America and gloating at our troubles.” »
(Dans le reste de son article, The Observer cite surtout des journalistes ou proches de la BBC, qui réfutent les accusations d’anti-américanisme lancées par Blair contre la BBC, pour la couverture de Katrina.)
The Independent d’aujourd’hui a, pour sa part, un solide ensemble de textes sur l’incident, mais surtout sur ses ramifications dans le passé. (Pour une version complète du texte, cliquer sur ce lien)
La même version de l’incident par The Independent met en évidence le caractère étonnant de l’intervention de Murdoch (« In an extraordinary disclosure that will acutely embarrass Mr Blair, the world's most powerful media mogul revealed details of a private conversation that took place in New York on Thursday. »). Elle nous renforce accessoirement dans la nécessité de nous interroger sur les motifs, ou simplement la cause de l’intervention de Murdoch qui met dans l’embarras le plus grand un homme qui, à son poste de Premier ministre du Royaume-Uni, lui est fort utile. Nous pencherions, peut-être nous-mêmes par goût de la provocation, pour une explication passant notamment par la provocation, en gardant l’indifférence en seconde explication : c’est à mesure de l’estime que Murdoch doit porter à la conscience morale du Premier ministre britannique.
Dans un autre article qui prend prétexte de cet incident pour en proposer les ramifications, The Independent lève son coin du voile à lui sur le personnage de Tony Blair et ses rapports avec Murdoch :
« It may have been a throwaway remark during a private conversation with Rupert Murdoch, but what Tony Blair said about the BBC's coverage of Hurricane Katrina speaks volumes about where the Prime Minister's loyalties lie.
» Not with the publicly funded BBC, an old established corporation that has served Great Britain through peace and war — obviously.
» There are, rather, two transatlantic special relationships that have dominated Tony Blair's 11-year leadership of the Labour Party. One is with the US government; the other is with the naturalised US citizen Rupert Murdoch. »
Cette affaire doit d’abord nous rappeler que le New Labour (Blair, Brown, Mandelson, etc.) est sans aucun doute, au Royaume Uni, l’ensemble politique le mieux pénétré et le plus manipulé par les réseaux d’influence américains, — plus même que les conservateurs. On pourrait même avancer que l’arrivée du New Labour (l’élimination, au milieu des années 1990, de la vieille structure et direction du parti travailliste traditionnel, son remplacement par les “jeunes loups” type-Blair, admirateurs de Clinton et partisans de la communication) est finalement une création entièrement américaniste, directement ou par l’influence, pour éliminer une force d’éventuel freinage, pourtant bien tiède, (*) de la politique pro-américaine du Royaume-Uni. (Pour avoir une documentation sur la chose, il faut relire un texte détaillé du magazine Wake-Up, texte présent sur ce site.)
The Independent, qui estime manifestement tenir, avec cette affaire, un méchant baton contre Blair et (surtout) Murdoch, enchaîne avec des révélations d’un passé plutôt trouble, du temps de la formation du New Labour: « In one comment — that the BBC reports illustrated it is “full of hatred of America” — the Prime Minister managed simultaneously to tell Murdoch something that he wanted to hear, send out a message of succour to his friend George Bush, and whack the BBC. Again.
» The remark was uttered less than a week after the PR consultant Tim Allan leaked to The Times a transcript of indiscreet political remarks made by the BBC journalist John Humphrys. The Blair-supporting Times is, of course, owned by Murdoch. Allan used to work for BskyB, controlled by Murdoch, having gone into that job directly from Downing Street, where he was deputy to Alastair Campbell, Tony Blair's press adviser. The many threads connecting Murdoch and New Labour go back to the day Blair ascended to the party leadership in 1994. Before this, the picture was very different.
» Twenty years ago, Murdoch's journalists were banned from Labour Party press conferences, in solidarity with the printers and other employees sacked when Murdoch moved his operation to the its current headquarters in Wapping.
» It was party policy that a Labour government would break up the Murdoch operation by forcing him to sell at least one of his national daily papers. The only contact between the Labour leader Neil Kinnock and Murdoch's largest-selling daily, The Sun, was through libel writs.
» The paper retaliated by setting out to destroy Kinnock, ending with its famous boast, after the 1992 election, that “It was The Sun wot won it”. That all changed one day in 1994, when a car glided into Wapping taking Blair's advisers, Alastair Campbell and Peter Mandelson, to a secret meeting with the editor of The Sun. The following July, Blair and senior aides flew across the world and back to address an annual conference that Murdoch and his senior executives were holding at the Australian resort of Hayman Island.
» He had also struck up a friendship with the columnist Irwin Stelzer. Stelzer is so close to Murdoch that — as the political editor of The Spectator, Peter Oborne, memorably put it — he “stands in the same kind of relationship to Murdoch as Suslov did to Stalin”.
» Soon after one of Stelzer's many visits to Downing Street last year, Blair made the unexpected announcement that Britain would not sign up to the proposed EU constitution until the people had voted for it in a referendum. Stelzer has denied that he was sent by Murdoch to give Blair his marching orders. »
Les révélations de The Independent éclairent d’une façon révélatrice nombre d’aspects de la politique britannique ces dernières années. Nous ne sommes plus à l’ère des special relationships forgées et inaugurées par Churchill. Les conservateurs avaient mis en place, d’une façon indépendante, une politique d’alignement inconditionnel qui était le contraire de l’indépendance, — paradoxe bien britannique, et qui en dit long sur la psychologie britannique. Pour autant, on ne peut parler d’une corruption accomplie comme, semble-t-il, on puisse en avancer l’hypothèse pour le cas du New Labour.
Dans le schéma qu’expose The Independent, Murdoch, s’il agit pour lui, agit dans le sens d’une politique américaniste à laquelle il veut accrocher le New Labour, de la même façon qu’il agit aux Etats-Unis, où il a organisé son réseau de maîtrise de cette politique au travers de diverses entreprises de presse comme Fox News et des groupes idéologiques financés par lui comme les néo-conservateurs (leur organe de presse, le Weekly Standard, appartient à Murdoch). Cette situation générale est très possible aux USA où, depuis le début des années 1980, le secteur privé des affaires joue un rôle dirigeant dans un système politique qui a perdu toute substance politique. Plutôt que dire que Murdoch “travaille” pour la politique américaniste, notamment la politique belliciste actuelle, on dirait qu’il contrôle celle-ci en bonne partie et l’oriente dans le sens extrémiste qu’on voit.
(Par ailleurs, la publication d’une version non expurgée dans The mail on Sunday des mémoires d’un ancien assistant en communications de Blair (Lance Price, avec son livre The Spin Doctor's Diary) apporte d’autres révélations dans le sens de ce que nous dit The Independent. Lance Price affirme que Murdoch disposerait auprès de Blair d’un véritable “droit de veto” sur la décision de faire entrer le Royaume-Uni dans l’Europe : « Tony Blair promised Rupert Murdoch that he would be consulted on any change to Britain's policy towards Europe », selon The Independent.)
(*) Le Old Labour n’était pas moins pro-américain que le New Labour mais il ne suivait pas complètement la politique voulue par Washington, notamment au niveau des dépenses de défense (Londres achète beaucoup de systèmes américains) et de la politique de sécurité. Avec Blair, bien entendu, les Américains ont trouvé chaussure à leurs pieds dans ces domaines.
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