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6470C'est assez rare pour être souligné : voilà un discours officiel qui mérite d'être lu et relu tant il a de significations profondes. Il s'agit du discours de Donald Rumsfeld, le 10 septembre 2001 au Pentagone. Un tel discours pourrait avoir été prononcé par Mao à la veille de la révolution culturelle, ou par Gorbatchev sur le point de lancer sa glasnost. Les références à la guerre froide ne manquent d'ailleurs pas dans le discours de Rumsfeld : la bureaucratie monstrueuse du Pentagone est une sorte de dinosaure rescapé de la guerre froide, et une structure aussi archaïque et paralysante que la bureaucratie de l'Union Soviétique à la veille de la chute de l'empire soviétique.
L'intervention de Rumsfeld implique qu'hors des pressions politiques, des pesanteurs qu'il représente, des choix qu'il a faits, l'homme est capable de porter un regard lucide sur la réalité qu'il doit affronter. Le discours tranche avec les habituelles mélopées politically correct, entendues quotidiennement sur les conseils des conseillers en communication. Nous serions tentés, dans un premier mouvement, de lui accorder une importance similaire à celle du fameux discours du 16 janvier 1961 du président Eisenhower, sur le complexe militaro-industriel. Rumsfeld juge, et c'est une image assez audacieuse pour être soulignée, que le monstre bureaucratique du Pentagone est une menace aujourd'hui aussi grave pour les USA que l'était hier l'Union Soviétique (les trois premiers paragraphes du discours sont à cet égard dignes de la mémoire, tant pour décrire la bureaucratie que pour décrire son emprise sur les États-Unis autant que sur le reste du monde).
D'ores et déjà, et avec la possibilité d'ajouter des réflexions supplémentaires selon les retombées de ce discours, on propose quelques remarques sur les significations immédiates qu'on peut lui accorder :
• Le travail de réforme entrepris par Rumsfeld est titanesque. Il se heurte à des résistances énormes. La façon dont Rumsfeld dépeint le monstre bureaucratique montre en effet que la situation est très grave et qu'elle constitue un formidable obstacle à sa mission de réformer le Pentagone.
• Le même argument doit être développé inversement : le discours montre que Rumsfeld s'engage à fond dans la réforme, malgré les difficultés énormes, et, par conséquent, les risques considérables (on n'ose dire : la certitude, mais on y pense) d'un échec. Rumsfeld joue son va-tout, éventuellement sa carrière ministérielle (mais, à 69 ans, c'est sans doute un souci mineur). Il indique qu'il se battra jusqu'au bout pour tenter de faire aboutir sa réforme. Il montre un courage assez rare dans le monde politique actuel, car son discours n'est pas seulement théorique et sans lendemain : c'est aussi un discours de déclaration de guerre, d'une guerre bien réelle où Rumsfeld s'engage.
• On doit désormais, de façon officielle pourrait-on dire, nuancer toutes les promesses et prévisions qui nous sont présentées par les Américains en matière militaire de l'hypothèque énorme que fait peser cette bureaucratie sur tous les projets qu'elle entreprend. Cela vaut essentiellement pour les entreprises de coopération internationale. Les pays étrangers qui s'engagent dans le programme JSF devraient y réfléchir à deux fois lorsqu'ils évaluent les promesses de coût, de délais et autres, qui sont faites par la bureaucratie du Pentagone. Le secrétaire àla défense des États-Unis leur a indiqués par avance la confiance qu'il faut accorder à ces promesses.
• Plus encore : ce discours venu du coeur du système doit être lu par tous les exégèses et zélotes de l'“empire américain”. Il est une description intéressante des pesanteurs et des menaces terribles que ce système fait peser sur ceux qui en sont les comptables autant que sur ceux qui lui sont soumis. Il est la description technique et fidèle d'un aspect majeur de la crise de notre civilisation.
Que dire de plus, sinon saluer cette attitude assez rare aujourd'hui : un ministre — et quel ministre ! — exposant la réalité des vices et des monstruosités du département dont il a la charge, sans fioritures, sans langue de bois, sans rien du tout sinon le souci de la vérité. On termine donc en souhaitant bonne chance à Donald Rumsfeld, sans aucune ironie mais, malheureusement, avec un scepticisme inévitable.
En post-scriptum pour faire une conclusion, nous nous contentons de citer les premiers paragraphes de ce discours. Ils sont à méditer à l'ombre du lendemain, — du 11 septembre et de tout ce qui a suivi.
« The topic today is an adversary that poses a threat, a serious threat, to the security of the United States of America. This adversary is one of the world's last bastions of central planning. It governs by dictating five-year plans. From a single capital, it attempts to impose its demands across time zones, continents, oceans and beyond. With brutal consistency, it stifles free thought and crushes new ideas. It disrupts the defense of the United States and places the lives of men and women in uniform at risk.
» Perhaps this adversary sounds like the former Soviet Union, but that enemy is gone: our foes are more subtle and implacable today. You may think I'm describing one of the last decrepit dictators of the world. But their day, too, is almost past, and they cannot match the strength and size of this adversary.
» The adversary's closer to home. It's the Pentagon bureaucracy. Not the people, but the processes. Not the civilians, but the systems. Not the men and women in uniform, but the uniformity of thought and action that we too often impose on them.
» In this building, despite this era of scarce resources taxed by mounting threats, money disappears into duplicative duties and bloated bureaucracy—not because of greed, but gridlock. Innovation is stifled—not by ill intent but by institutional inertia. »