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12 octobre 2005 —Poursuivant fidèlement sa chronique des avatars du JSF, l’hebdomadaire Defense News nous donne un texte intéressant, manifestement publié pour faire le point des travaux de la QDR-2005, ou autour de la QDR-2005, concernant le sort de ce programme d’avions de combat. Defense News publie des informations sur des analyses d’experts connus comme proches des milieux du Pentagone, et exprimant en général de façon officieuse les avis du Pentagone.
Il s’agit principalement d’appréciations et d’analyses de Loren Thompson, du Lexington Institute, effectivement très proche du Pentagone.
« A Pentagon tactical aircraft study being done for the Quadrennial Defense Review (QDR) likely will recommend fleetwide reductions that will lead to a cut in domestic F-35 Joint Strike Fighter (JSF) purchases, said Lexington Institute analyst Loren Thompson. The QDR team in the Office of Net Assessment “is likely to recommend a 30 percent cut in tactical air forces,” Thompson said.
» That would likely mean the Air Force would return to its earlier plans to buy about 400 F/A-22s Raptors and 1,000 F-35s. “In the case of the Navy, that cut could result in elimination of the carrier-based variant of the F-35,” he said. »
La réduction des commandes du JSF, — dans tous les cas des commandes qui avaient été théoriquement prévues initialement, — est confirmée avec quelques nuances par un autre expert, Richard Aboulafia, du Teal Group, autre proche du Pentagone (« The Teal Group, which tracks the military aviation industry, also says JSF cuts are coming. It believes the Air Force purchase will drop to about 1,200 »). Que Thompson et Aboulafia soient d’accord sur la perspective de réduction de cette importance (l’Air Force envisageait au départ d’acquérir autour de 1.800 exemplaires du JSF) semble indiquer que cette perspective est fondée. On peut effectivement envisager qu’il s’agit là d’une action classique d’“information officieuse” lancée par le Pentagone, utilisant pour cela des relais extérieurs à ses structures officielles pour lancer l’information et mesurer les réactions sans être lié à une décision formelle.
Le reste de l’article semble être une prise en compte de la décision de réduction, comme si celle-ci était effectivement prise, puisqu’on y lit un débat sur l’évolution du coût du JSF en fonction de ces réductions. D’une façon générale, cette question est présentée d’une façon très optimiste : la réduction des commandes n’amènera pas une augmentation significative du coût unitaire de l’appareil, les alliés n’ont rien à craindre, — car c’est effectivement aux coopérants non-américains que s’adressent ces constats rassurants puisqu’il s’agit de verrouiller à tout prix, non leur participation au programme mais leurs commandes. (« Teal’s Richard Aboulafia said the JSF fly-away price tag needs to be about $45 million to be competitive. Initially, the export plane was planned to cost $30 million to $40 million in fiscal 1994 dollars. [...] Despite cuts, Aboulafia added, the JSF program would survive. “With 1,000 for the Air Force, and as long as the Marines keep their 400 or 500 planes, that should make for a manageable program,” he said, “providing the exports come through. »)
Bien entendu, ces affirmations rassurantes sont fondées sur les hypothèses les plus irréalistes possibles, si l’on se réfère simplement au bon sens de l’expérience à cet égard, voire à la simple réalité actuelle. (Faire partir le raisonnement d’un prix prévu en 1994 de $30-$40 millions et conclure in fine qu’il devrait se situer autour de $45 millions, c’est dissimuler qu’il n’est plus aujourd’hui réaliste de situer la réflexion et la planification dans ces eaux. Les coûts réels ont évolué et il est plus juste de dire que le prix théorique du JSF, s’il était vendu aujourd’hui dans les conditions initiales des commandes maximales [autour de 2.800 exemplaires], se situerait entre $65 et $90 millions. Cette tendance a toutes les chances de se renforcer, évidemment d’autant plus en fonction des réductions de production. L’article cité rend compte de l’avis d’un chercheur du Congressional Reserarch Service : les réductions envisagées « “could devastate a program that has made affordability a key pillar. As numbers drop, unit prices would rise.” Christopher Bolkcom, aviation analyst for the Congressional Research Service (CRS), said major domestic cuts could boost the cost per fighter past the $100 million cited in the current SAR, a number that includes research, development and construction costs. »)
Les manoeuvres ont donc commencé pour faire avaler aux coopérants étrangers les nouvelles d’une réduction quasiment acquise du volume du programme JSF. La tâche ne va pas être facile car le climat est exécrable et ces pays sont déjà fortement prévenus contre les Américains, à cause des restrictions considérables au niveau des technologies et des faiblesses des marchés de compensation conclus. Désormais, ces pays vont se trouver plongés dans le tourbillon des réductions et d’une situation d’instabilité chronique du programme, avec la tâche complexe de distinguer la réalité de son évolution dans la jungle de la bureaucratie du Pentagone.
Comme on l’a déjà envisagé, l’événement en cours est que le JSF n’est plus la priorité de personne alors que toute son apparente puissance était fondée jusqu’ici sur la réputation qui lui était faite de “programme intouchable” à cause de son caractère international. Comme toujours, la réalité confirme que tout ce qui est non-américain n’a aucune importance pour la bureaucratie de Washington. La réalité du programme JSF est qu’à part le Marine Corps dont l’influence est très faible, les grands services, l’USAF et la Navy, se désintéressent du programme, voire lui sont hostiles. (Cas de l’USAF, qui pourrait bien manipuler la production du JSF en fonction de sa politique vis-à-vis du programme F/A-22. Comme on le lit d’ailleurs dans le commentaire de Thompson, l’USAF est décidée à verrouiller la commande de F/A-22 au niveau de 400 unités, en attendant mieux, notamment de revenir dans les prochaines années au volume initial du programme de 750 exemplaires. C’est le JSF qui payera en partie cela, en budget qui lui sera ôté et peut-être en retard qui lui sera imposé.)
Le programme JSF a perdu toutes ses protections et se retrouve seul, “sans domicile fixe” si l’on veut, dans un environnement très hostile et budgétairement très contraint. On pourrait dire qu’il a atteint une certaine vérité après avoir évolué depuis son origine dans le virtualisme.