Il n’est pas facile d’être l’ami favori et très influent de Washington

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Il n’est pas facile d’être l’ami favori et très influent de Washington


13 octobre 2005 — Les capacités d’influence d’Israël sur la politique américaine sont souvent dénoncées comme un complot, particulièrement dans la période actuelle où l’influence du Likoud de Sharon est perçue comme considérable et relayée par le groupe des “néo-conservateurs”. (Avec le bémol que l’influence des “neocons” est tout de même largement sur le déclin.) Ce thème nourrit aussi bien l’anti-sionisme que l’antisémitisme. A la lumière des avatars des rapports au niveau de la sécurité nationale et de la crise israélo-américaine dans ce domaine, nous continuons à affirmer plus que jamais qu’il y a bien des arguments objectifs pour que ces thèses, hors de toute passion polémique, soient très largement révisées sinon simplement contredites.

Notre appréciation est depuis longtemps qu’Israël, malgré son influence bien réelle par le biais des juifs américains et de son lobby à Washington, est plus le prisonnier de Washington que le contraire. Grâce aux chausse-trappes du système de l’américanisme, Israël est paradoxalement prisonnier de son influence qui lui interdit toute autre option que l’alignement sur Washington. Depuis les années 1980, par le biais de diverses décisions et l’évolution du personnel dirigeant, la direction bureaucratique israélienne est devenue un appendice du Pentagone et du complexe militaro-industriel US. Il nous semble que les derniers développements de la querelle stratégique israélo-américaine sur les ventes d’armes israéliennes à la Chine confirment cette appréciation, en soulignant l’humiliation à laquelle sont soumis les Israéliens pour ne pas avoir obtempéré assez vite aux consignes du Pentagone.

Cet extrait d’un article de Haaretz du 12 octobre résume cette situation d’humiliation sans précédent des Israéliens :

« The United States is continuing to delay Israel's participation in its F-35 Joint Strike Fighter (JSF) program, despite the resolution of the crisis in the security ties between the two countries, and despite the personnel changes at the Defense Ministry.

» The Americans have agreed to renew the activities of a series of committees on security and strategic cooperation that ceased to convene during the crisis period, but the ban on Israel's participation in the JSF program will remain in effect until the Knesset passes new legislation relating to security exports, in keeping with a U.S. demand.

» Defense Minister Shaul Mofaz will travel to Washington next month and is expected to ask his U.S. counterpart, Donald Rumsfeld, to remove the remaining barrier affecting the security ties between the two countries. The newly appointed director general of the Defense Ministry, Kobi Toran, will also visit the United States next month, at the head of an Israeli delegation to talks in the framework of the Joint Political-Military Group (JPMG) and the Joint Security Assistance Planning Group (JSAPG). A third forum, the Defense Program Advisory Group (DPAG), will convene at a still undetermined date.

» The three security groups, along with the strategic-political dialogue that will also be renewed next month, serve as the institutionalized channels for consultations between the United States and Israel on regional issues, such as Iran, Iraq, Syria, non-conventional threats and stability in the Arab states.

» The U.S. suspended the activities of these groups as a means of pressuring Israel over the China arms deal affair, which ended in an Israeli undertaking to respect U.S. concerns regarding China's military build-up and the resignation of former Defense Ministry director general Amos Yaron. »

Il n’y a pas eu de “négociations” entre Américains et Israéliens. Il y a eu capitulation importante des Israéliens, — mais, semble-t-il, pas assez complète et assez rapide. Les Israéliens ont cédé sur des domaines importants aux injonctions des Américains:

• La suspension des contacts indépendants avec les Chinois pour les ventes d’armes.

• La démission du directeur général du ministère de la défense Amos Yaron, dont David Feith (alors n°3 du Pentagone) avait annoncé fin 2004 que le Pentagone “aurait sa tête” (Yaron, avant son départ, était tranquillement présenté par la presse israélienne comme “blacklisted” au Pentagone.)

Cette capitulation est jugée trop partielle. Il faut la compléter rapidement. Il reste l’engagement du Parlement israélien. Les Américains se seront alors installés en maîtres au cœur de trois domaines essentiels de la sécurité nationale israélienne : la politique de sécurité nationale, le personnel dirigeant et le processus démocratique, ou désigné comme tel, pour entériner l’action du corps exécutif. Ils auront montré aux Israéliens de quelle capacité de décision et d’indépendance ces derniers disposent dans leur propre direction.

En contrepartie, il y a pour l’instant la participation à un programme d’avions de combat en passe de devenir un programme de seconde zone au Pentagone, promis à être retardé, à coûter de plus en plus cher et ainsi de suite ; un programme d’ores et déjà utilisé comme un moyen de pression et de chantage des Américains sur les alliés ; un programme qui sera un moyen au service des Américains de contrôler l’évolution et l’action de la puissance de ces alliés au niveau des opérations, lorsque et si le JSF est un jour en service.

(Le jugement sur le F-35/JSF, lorsqu’on arrive au niveau du journaliste responsable, semble être réduit à l’imagerie d’Épinal, laquelle s’appuie sur la fascination de l’américanisme. Le titre de Haaretz est significatif : « U.S. keeping Israel out of prestigious fighter plane program. » Le mot “prestigious” dit tout de la sujétion à l’image dans laquelle se trouvent les commentateurs de telles nouvelles. Le JSF est une catastrophe industrielle et économique sans précédent, un moyen de pression grossier des USA sur les autres, un moyen de rançonner les participants étrangers, etc. Il ne subsiste de tout cela que le mot “prestigious”, au nom duquel il importe d’accepter des humiliations nationales.)

Avec le JSF et le cas israélien, on a rarement vu une situation si perverse. Pour Israël, il s’agit de devoir accepter une humiliation de la dimension qu’on décrit pour participer à une entreprise qui permettra aux Américains d’accroître leur contrôle sur les Israéliens, et, éventuellement, de leur infliger des humiliations supplémentaires.

Au-delà, peut-on expliquer le comportement israélien par la contrepartie à l’aide américaine et au soutien stratégique des Etats-Unis? Bien entendu, cela fait partie du raisonnement des réalistes auxquels on ne la fait pas. L’argument est aveugle et grossier. L’aide US, on l’a vu à d’autres époques, pourrait être obtenue dans des conditions plus avantageuses pour Israël : c’est la direction israélienne qui, depuis vingt ans, depuis qu’elle est proche du Pentagone, se met dans la position de devoir dépendre des conditions de plus en plus draconiennes qui accompagnent cette aide. Quant à l’aide stratégique d’une armée qui a installé un désordre extraordinaire dans la région et est incapable de contrôler l’Irak jusqu’à se trouver au bord de la défaite, il y aurait certes beaucoup à dire. Contre ce raisonnement de sujétion, il y a simplement l’option de l’indépendance et de la souveraineté (nous l’avons évoquée lors du voyage de Sharon à Paris).

Tout cela ne peut être jugé sainement que si le personnel de direction, notamment aux niveaux bureaucratiques intermédiaires, est lui-même indépendant et dégagé de tout lien vis-à-vis des Etats-Unis. Ce n’est pas le cas. Continuer à considérer la participation au JSF comme une nécessité nationale justifiant les humiliations en cours montre parfaitement l’état d’esprit du personnel qui recommande de telles décisions.

Sur un terme un peu (à peine) plus long, nous pensons que ces rapports entre les USA et Israël, ayant atteint le degré d’humiliation (pour Israël) où on les voit, avec les USA sur une pente de déclin, ne peuvent conduire qu’à une crise à cause des effets publics insupportables qu’ils donneront (on le verra peut-être lorsque la Kenesseth sera “obligée” de voter selon les vœux de Donald Rumsfeld). Nous proposons à nouveau cette conclusion d’un récent F&C sur l’“accord” Washington-Israël. Elle nous paraît toujours valable.

« Du “scotch usagé” pour raccommoder Washington et Israël? Sans le moindre doute. La pression des événements extérieurs (le désengagement israélien des colonies) explique la capitulation israélienne, avec le besoin du soutien américain. Un accord acquis dans de telles circonstances n’a aucune chance de durer. Son indignité même en indique les limites, qui s’imposeront très vite. L’intransigeance et la brutalité américaines, le mépris pour la souveraineté d’autrui (celle d’Israël dans ce cas), conduiront au renchérissement des exigences et ne laisseront aux Israéliens d’autre choix que de réagir d’une façon antagoniste. La crise, qui n’est qu’écartée et qui est prête à renaître, le fera dans des circonstances d’autant plus difficiles que cet accord a été présenté comme un engagement et comme un nouvel état d’esprit, et que chacun des deux partenaires dénoncera alors le comportement de l’autre à la lumière de l’interprétation qu’il fera de cet “état d’esprit” et non en raison d’arguments techniques. Les différences d’interprétation mesureront la distance qui sépare désormais Washington (le Pentagone) et Israël, et l’on constatera qu’elle est grande. »


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