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84328 octobre 2005 — Il n’est difficile pour personne de distinguer combien le retrait volontaire de Harriet Miers comme membre désigné (par le président américain) de la Cour Suprême US représente un terrible coup pour GW Bush. De même est-il du domaine de l’évidence que cette semaine, pour prendre un laps de temps symbolique, est la pire qu’ait vécu la présidence Bush. Le mot si souvent employé ces derniers temps pour caractériser la position de GW n’a jamais été plus à propos: la Maison-Blanche est en crise, et la crise s’aggrave rapidement.
C’est l’idée que nous suggère le quotidien The Guardian de ce matin: « White House crisis grows as Miers quits. » Quelques observations du Guardian:
« The embarrassing rejection of the president's former personal lawyer and White House counsel, despite his enthusiastic backing, helped make this week probably the most miserable of his five years in office.
» It could well get even worse today, when a special prosecutor is expected to conclude a 22-month investigation into a White House intelligence leak. Mr Bush's political strategist, Karl Rove, and the vice-president's chief of staff, Lewis Libby, have been implicated in the leak and risk indictment.
» This week also witnessed the 2,000th American death in Iraq, and the president's personal ratings dropped to 37%. In such conditions the withdrawal of an increasingly controversial court nominee appeared aimed at stopping the haemorrhage of support among conservatives. “I am concerned that the confirmation process presents a burden for the White House and our staff that is not in the best interest of the country,” Ms Miers said in her withdrawal letter. »
Dans des conditions normales, avec des acteurs normaux, on pourrait penser que le départ de Miers est une bonne mesure (d’ailleurs à l’initiative de Miers elle-même) et une mesure devenue nécessaire, — si l’on veut, une erreur réparée. Pas avec GW qui est un homme d’attitudes entières et affectées par manque de substance, pas dans l’atmosphère washingtonienne où les sentiments primaires et les poses dominent, — à défaut de substance, là aussi.
GW est affreusement humilié par ce départ et se perçoit lui-même, par conséquent, comme très affaibli et affreusement vulnérable. La droite extrême de sa base populaire est perçue comme renforcée parce que c’est elle, directement ou indirectement, qui a obtenu le départ de Miers. La présidence va s’en trouver d’autant plus la prisonnière et les tendances radicales à Washington d’autant plus renforcées alors qu’elles semblaient perdre de leur influence ces derniers mois. Le climat politicien de Washington va s’en trouver considérablement durci et aggravé. Plutôt qu’un climat d’urgence nationale dans une capitale qui a perdu le sens des intérêts collectifs, on parlerait d’un climat naissant d’une curée lancée contre la présidence.
Enfin, last but sans doute not least, les effets du scandale Plame-Miller ont de fortes chances d’emporter Karl Rove (ou, dans tous les cas, de prolonger l’enquête contre lui, le paralysant d’autant). GW serait alors privé, littéralement, de “son cerveau” (c’est le surnom qu’on donne en général à Rove, et la place qu’on lui assigne dans l’administration, d’être “le cerveau” de GW Bush). Sans Rove, GW serait encore plus isolé, encore plus pressé, avec l’obligation théorique de réagir avec d’autant plus de force et de vigueur, et éventuellement d’habileté (sans parler de la sagesse nécessaire, qu’on n’ose mentionner) à son infortune et aux forces qui l’accablent. Il est dans tous les cas particulièrement mal en point pour pouvoir le faire. Le phénomène pourrait ressembler à celui d’une “spirale des crises”, lorsque les crises s’enchaînent les unes sur les autres et s’alimentent les unes aux autres, et le font d’autant plus et d’autant plus vite que celui qui s’affaiblit a moins de capacité pour y résister et pour les contrôler, que chacun de ses actes défensifs alimente cette dynamique destructrice.
La question désormais est celle de la capacité de GW Bush à résister à cet enchaînement, dans un climat et une situation où des accusateurs peuvent se lever de tous les horizons et dans tous les azimuts. Le problème plus général est considérable. La crise n’est pas celle du Watergate, où un homme était le centre du scandale et attirait sur lui, comme un paratonnerre, toutes les foudres d’une crise plus circonstancielle que conjoncturelle (la vraie crise vint après le départ de Nixon, avec les auditions du Congrès sur les activités de la CIA dans les années 1960, avec la chute de Saïgon en 1975, etc). Aujourd’hui, GW n’est qu’un pion, un composant d’un tout qui est le système engagé dans les remous d’une situation extrême et incontrôlable. La question n’est pas de savoir si GW tiendra ou pas mais de s’interroger sur ce qui se passera dans l’éventualité où il céderait d’une façon ou d’une autre (où il serait mis en cause personnellement jusqu’à perdre tout crédit et toute autorité, où il songerait à démissionner, etc.)
(Le point extrême d’une mise en cause personnelle de GW Bush n’est pas à écarter. Mercredi soir, le bruit courait que le Procureur spécial Fitzgerald avait en main une vingtaine de mises en accusation, dont celle de GW Bush, dans le scandale Plame-Miller. Les mêmes rumeurs faisaient état de l’intervention de GW devant deux tribunaux pour écarter ces mises en accusation, sans succès, et aussi de ses tentatives infructueuses d’écarter Fitzgerald de son poste. Enfin, on mentionnait encore la mise en accusation de l’Attorney General Gonzales pour tentative d’obstruction de la justice. Rumeurs, rumeurs ? Sans doute, sans doute, — surtout, illustration d’un paysage de crise profonde.)