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19 novembre 2005 — La question soulevée par l’arrivée inattendue (pour l’extérieur) sur la scène politique israélienne du nouveau chef du parti travailliste Amir Peretz est celle du “retour au réel” d’Israël.
“Retour au réel” pour Israël signifierait échapper à l’obsession sécuritaire qui n’a cessé depuis vingt ans, à l’avantage de la politique américaniste dont ce pays est (depuis vingt ans également) le plus fidèle et aveugle serviteur, d’influer sur toutes les décisions et politiques d’Israël. Cela signifierait également échapper à l’“exceptionnalisme” israélien qui condamne ce pays, en échange d’avantages qui semblent exorbitants mais qui sont tout juste douteux, d’échapper à l’obligation d’une politique uniquement mesurée à l’aune du passé ou des intérêts stratégiques américains.
Le programme de Peretz, son centre d’intérêt, la polémique qu’il veut porter au cœur des prochaines élections que son arrivée a précipitées sont marqués par un stupéfiant changement de sujet, d’orientation, de perception du monde, de mentalité par rapport au courant de la politique israélienne, engoncée dans quelques stéréotypes incroyablement contraignants. La question de la sécurité d’Israël par rapport aux Palestiniens (et au terrorisme dans une moindre mesure) est brutalement remplacée dans la préoccupation centrale, selon la vision et la perception de Peretz et de son courant, par la question du problème de la globalisation et de ses effets sur les structures, la société et la population israéliennes. C’est un changement si considérable qu’on se demande, — 1) par quel miracle de la grande Histoire dissimulée la chose est survenue, et 2) si le changement peut effectivement être confirmé, au moins par la tonalité du débat et le débat au cœur des élections, sans parler du résultat des élections.
Un aperçu de la tendance révolutionnaire représentée par Peretz et les préoccupations de Peretz est donné dans un article du Daily Telegraph : « With elections due early next year, Mr Peretz's supporters say poverty is going to be the crucial issue.
» “The big, big debate is going to be the socio-economic one,” said Yuli Tami, the MP who masterminded Mr Peretz's unexpected victory in the Labour leadership election two weeks ago. “The main line would be free market, yes, but brutal capitalism, no.” By brutal capitalism she meant economic reforms passed by the government of Ariel Sharon and overseen by Benjamin Netanyahu, his finance minister at the time.
» They included tax cuts paid for by massive reductions in welfare spending, and the privatisation of nationally-owned assets that shook up the traditional workforce. The welfare cuts were so brutal — 20 per cent in some categories — that they led to a legal challenge at the supreme court, led by the Association for Civil Rights in Israel. The group argued that Mr Sharon was failing to provide the quality of life expected by Israel's Basic Law, its de facto constitution. The court's verdict is imminent.
» The reforms led to a healthy increase in Israel's economic growth from 1.3 per cent in 2003 to four per cent this year, but they came at the cost of growing income disparity and, most importantly, a surge in the poverty level. The National Insurance Institute said poor families exceeded 20 per cent of the population for the first time last year and child poverty surged to 33 per cent compared to 23 per cent in 1998. »
Tout cela nous renforce dans la découverte qu’avec Peretz, Israël apparaît brusquement débarrassé de son “exceptionnalisme” artificiel qui le met actuellement hors des normes socio-politiques pour en faire un représentant intouchable du militarisme moralisateur américaniste. “Retour au réel”, sans aucun doute, et au réel de la globalisation et de son agression déstructurante.
Quoi qu’il en soit de la fortune de cette orientation radicalement nouvelle, quatre remarques peuvent être proposées, qu’elles soient d’ores et déjà présentes dans la réalité ou qu’elles soient du domaine de l’hypothèse:
• C’est un événement extraordinaire que la situation ait évolué au point qu’un tel renversement des priorités soit proposé aux électeurs. Il mesure une certaine fragilité de la structure militaro-sécuritaire qui oriente en général le débat “politique” en Israël.
• Si Peretz gagnait ces élections et se trouvait en position de diriger un gouvernement, il s’agirait d’une hypothèque nouvelle et considérable qui serait posée sur le grand courant politique général qu’on désigne comme la globalisation ou/et l’américanisation.
• Pour le complexe militaro-industriel US avec ses ramifications transnationales, — dont la main-mise du Pentagone sur la politique israélienne est l’une des principales, — ce serait un formidable problème stratégique.
• … En effet, une telle hypothèse qui est envisagée pour l’instant sur le seul plan intérieur, aurait nécessairement des implications sur la politique extérieure et de sécurité, — évidemment dans le sens de la recherche d’une alternative modérée à la politique belliciste et maximaliste qui est actuellement suivie. Au-delà, ce serait la question de la souveraineté nationale d’Israël qui serait posée, cette souveraineté qui est aujourd’hui une simple arrière-boutique de la politique du Pentagone. Un tel bouleversement serait une crise stratégique de première dimension.
Parmi les hypothèses encore du domaine de la pure spéculation, celle qui concerne une victoire de Peretz peut être illustrée de façon imagée par la question de savoir s’il pourrait être une sorte de “Chavez israélien”. Si le problème israélien se présente différemment, notamment à cause d’une chape de plomb de propagande qui enveloppe tout ce qui concerne l’État juif et ses origines, il n’est pas différent fondamentalement de celui d’un État d’Amérique latine, d’une république bananière contrôlée par le système de l’américanisme ; pourquoi son éventuelle “révolte” (pour se débarrasser de la tutelle US) serait-elle différente?
L’origine de Peretz est un élément important pour éclairer psychologiquement le problème dont nous voulons esquisser les termes ici: un juif émigré du Mexique, justement un des grands pays d’Amérique Latine… En général, les origines géographiques (et les attitudes politiques et culturelles attachées à elles) des juifs immigrants qui jouent ensuite un rôle dans la vie politique d’Israël renforcent les politiques traditionnelles du pays (cas des juifs venus d’URSS, comme Nathan Charanski, qui ont renforcé le courant pro-américain, anti-soviétique puis anti-terroriste). Pour la première fois dans le cas israélien, cette origine géographique renforce une orientation très différente. C’est déjà une révolution psychologique dans la vie politique d’Israël et un événement révélateur du climat du pays qu’un tel personnage soit parvenu à la tête du parti travailliste.