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4 décembre 2005 — Il y a cette phrase qui est significative, qui est de Reuters, du 2 décembre: « “It's very clear they want European governments to stop pushing on this,” said a European diplomat, who had contact with U.S. officials over the handling of the scandals. “They were stuck on the defensive for weeks, but suddenly the line has toughened up incredibly,” the diplomat said. »
La même information est reprise dans The Observer de ce matin: « An unnamed European diplomat who had contact with US officials over the handling of the scandals told Reuters yesterday: “It's very clear they want European governments to stop pushing on this... They were stuck on the defensive for weeks, but suddenly the line has toughened up incredibly.” »
Les Européens, après deux tiers de siècle d’amour fidèle et passionné, comprennent-ils le tiers du quart de la psychologie américaniste? Croire que l’administration GW a été mis “sur la défensive” entre le 2 novembre (article du Washington Post) et début décembre (arrivée de la lettre de Straw à Condi Rice) relève de l’illusion du coeur, pas du simple et utile bon sens. La réalité est que les Américains ne se sont pas intéressés au problème, se contenant de refuser tout commentaire (ni confirmation, ni démenti). Leur psychologie extrêmement cloisonnée et conformiste les conduit à se concentrer sur un seul problème, et quasi-exclusivement sur l’aspect américaniste/washingtonien du problème. La crise à Washington, aujourd’hui, est celle de l’Irak, de l’effondrement du crédit de l’administration, et les questions autour de la torture et des prétendus écarts de la CIA ne sont considérées prioritairement qu’en fonction de leur aspect washingtonien.
La lettre de Straw a changé cela, dans tous les cas pour un certain laps de temps, parce que, à partir d’une certaine pression, Washington s’aperçoit que les alliés existent, et notamment les Européens. Cela est d’autant plus explicable que Straw s’est adressé à Rice en tant que représentant de l’Europe. Une décision a été rapidement prise de déléguer Rice qui devra réciter sa leçon aux Européens: pas question d’accepter la moindre remarque. Les axes de la position US, qui sera un simple et sévère rappel à l’ordre, devraient être les suivants:
• Washington respecte les lois nationales et les lois internationales, on dirait “par définition”. Point final sur ce chapitre, qu’on a déjà abordé hier, avec notamment quelques sophismes de dimension: « [L]es USA ont besoin de ‘prisons secrètes’ pour lutter contre la terreur qui menace toute la civilisation, or “US actions are in compliance with US law and international conventions[and] US law prohibits secret prisons on US territory”, par conséquent on installera ces ‘prisons secrètes’ hors du territoire US, notamment chez les amis européens. »
• Pour ce qui est de la souveraineté nationale des pays européens, totalement bafouée dans cette affaire, on s’attend à cet “argument” massif, selon The Observer d’aujourd’hui : Rice « is expected to make a public statement today stressing that the US does not violate allies' sovereignty »
• Il est probable que Rice dira aux alliés que les USA agissent pour le bien des autres, qu’ils font ce qu’ils font parce qu’il faut le faire et que c’est une bonne chose (on peut juger chaque jour de l’efficacité exceptionnelle de ces actions) ; on peut même penser qu’elle conseillera à l’un ou l’autre de faire comme les USA, que les USA sont prêts à les conseiller, peut-être même à leur prêter les locaux de la CIA, — par exemple les “black sites” installés dans des pays de l’UE, non? C’est ce qu’on pourrait comprendre de ce que nous dit le Daily Telegraph de ce matin : « “Rice isn't going to be making any apologies and we don't expect any acknowledgement that the camps existed,” a senior European official told the Sunday Telegraph. “But she will emphasise that we need intelligence to save lives and that America and Europe are in this together. She will also urge European governments to help put this message across.” »
Il est absurde d’attendre des échanges rationnels et diplomatiques de cette visite. L’administration GW est confinée dans sa bulle virtualiste, particulièrement pour ce qui regarde l’Irak et la “guerre contre la terreur”, à l’image de la position et de la psychologie de son président. Personne, ni en Europe ni à Washington, n’a fait un sérieux effort pour tenter de la crever. L’administration GW Bush répète que ce qu’elle dit qui est, existe effectivement. L’administration GW a construit un monde virtualiste et elle invite fermement les autres à y participer, et à se conformer à ses règles. Le reste n’importe pas. Les Européens vont donc être invités à avaler les couleuvres habituelles, à manger leur chapeau et à répondre à Rice par des sourires (tout de même un peu crispés).
A moins qu’il y ait des heurts? Tout peut arriver dans ce monde en folie.
La bonne chose, dans cette affaire rocambolesque et surréaliste, est son caractère extrême dans le rocambolesque et le surréalisme. L’administration GW a proscrit absolument la réalité comme argument de débat. C’est un peu dur pour des dirigeants européens qui, depuis, quinze jours, étalent leurs rodomontades devant leurs mandants et leurs députés en disant qu’ils n’admettront pas les activités de la CIA si celles-ci sont confirmées, — tout cela parce qu’ils pensaient qu’ils recevraient en cadeau un démenti ferme de Rice concernant ces activités, démenti qu’ils sont toujours prêts à croire “at face value” comme dit Solana, un démenti qui les déchargerait du choix terrifiant entre une attitude ferme et une capitulation. (Par exemple et puisque Rice vient avec la ferme intention de ne rien démentir et même de se féliciter des activités US en tous genres, que va dire le ministre néerlandais des affaires étrangères Bot, qui veut des explications US sur deux vols récents de la CIA ayant transité par Schipol-Amsterdam et qui a promis à ses députés que la Hollande refuserait de participer aux opérations en Afghanistan s’il n’y a pas, au sein de l’OTAN, un accord écrit proscrivant les mauvais traitements des prisonniers?)
Et puis, il y a les jokers dont nous rappelons à chaque occasion la présence et le caractère insaisissable et incontrôlable : les élus du “peuple européen”, les ONG humanitaires, les journalistes quand ils font leur travail, etc. Dernière gâterie en date: l’initiative intéressante de ACLU aux USA, assignant en justice la CIA : « A US civil rights groups says it is taking the CIA to court to stop the transportation of terror suspects to countries outside US legal authority. The American Civil Liberties Union (ACLU) says the intelligence agency has broken both US and international law. It is acting for a man allegedly flown to a secret CIA prison in Afghanistan. »
Le feuilleton continue...