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77615 décembre 2005 — Inutile de s’étendre sur la situation de l’administration GW, alors que le même GW nous révèle des tas de choses dont nous ne nous doutions pas et qui nous stupéfient littéralement, — qu’il y a des tués civils en Irak, que les “preuves” de la culpabilité de Saddam sont bidon et ainsi de suite… Désormais, c’est le Congrès qu’il faut tenir à l’œil. Pouf pouf pouf, — la grosse machine hollywoodienne qui nous joue la vertu démocratique et washingtonienne, l’usine à gaz de Washington D.C., parangon d’efficacité et de good gouvernance, commence vraiment à peiner ; elle crache ses boulons, perd ses roues, dévisse ses vis et ainsi de suite…
La question ci-dessus pourrait donc être posée autrement, sur un mode plus tragique qui sied à la situation: le Congrès va-t-il tomber en panne?
Exemple en pointe : la Chambre des représentants et, à la Chambre, la puissante Commission des Forces Armées, qui (notamment) détermine le budget du Pentagone. (Il faut rappeler que nous traînons déjà, cette saison, le scandale DeLay, du nom de l’ex-chef de la majorité républicaine à cette même Chambre, démissionnaire…)
Le scandale Cunningham, loin d’être isolé, touche désormais dans ses ramifications le président de cette Commission, le très puissant Duncan Hunter. On signale principalement ici l’article de RAW Story qui le met en cause, mais tout a démarré avec un éditorial du San Diego Union tribune du 8 décembre.
La question est moins de savoir qui va démissionner, qui va être inculpé, etc. (Il y en aura d’autres.) La question est de savoir le temps que va mettre la paralysie pour s’emparer de la Chambre puis du Congrès.
Il est particulièrement important que les actuelles inculpations, accusations et suspicions de corruption touchent des parlementaires de la commission des Forces Armées. On en tire plusieurs enseignements importants :
• Cela signifie que, ces dernières années, le complexe militaro-industriel (CMI), en pleine activité depuis le 11 septembre 2001, a entrepris une vaste campagne pour verrouiller le soutien des parlementaires qui tiennent les clefs des décisions budgétaires qui le concernent. On parvient à des zones de corruption jusqu’ici inconnues lorsqu’on découvre que Cunningham est principalement impliqué dans des affaires de corruption concernant des “black programs” connectés notamment aux activités de la CIA. Cela signifie que les sous-commissions sur le renseignement, ces temples de l’information classifiée impliqués dans le contrôle des grands programmes secrets, sont complètement infectées par la corruption. (Les “black programs” concernent aussi bien les contrats des agences de renseignement comme la CIA que les programmes secrets des militaires. Le volume d’argent impliqué par ces programmes est mal connu mais il se situe certainement dans les montants des $40-$50 milliards par an.) Plus rien n’échappe aujourd’hui à la corruption qui se fait quasiment de façon directe, directement liée à l’intervention du parlementaire pour tel programme et à la commande effective de ce programme.
• Cette connexion directe entre le CMI et ceux qui, au Congrès, en assurent la gestion, présente tous les caractères de la certitude de l’impunité dans le chef des deux partenaires. C’est une indication précieuse : on ne prend plus de gants. Outre ce que ce fait peut nourrir de réflexions désabusées et catastrophées, il nous indique surtout que les acteurs de la chose ont perdu tout contact avec la réalité. (Cette sensation d’impunité est d’abord psychologique. La chose est également visible dans le comportement des corrompus: acheter une Rolls, une propriété et un yacht avec l'argent de la corruption, comme fit Cunningham, montre que nous avons affaire à des cervelles d'oiseau prises par l'ivresse de l'argent et de l'impunité. Tout cela nous indique que corrupteurs et corrompus de ce domaine ont perdu le sens de la mesure et s’abîment dans le virtualisme. C’est dangereux pour eux.)
• La machine américaniste est une machine certes complètement corrompue mais rationnelle, qui hait le désordre. Elle a ses règles, qu’il faut respecter sous peine d’alimenter le désordre. Ces règles font que la corruption est acceptable à condition de se tenir dans des limites définies par la loi (“les règles” en question, le règlement si vous voulez). Cela signifie enfin que la corruption, si elle devient un phénomène monstrueux et qui échappe à tout contrôle, sera frappée à mesure. L’application des règles, si nécessaire lorsqu’on fonctionne normalement, devient un facteur d’aggravation du désordre lorsque les acteurs perdent le sens commun et suscitent des sanctions qui, par leur importance et par leur nombre, menacent de paralyser la machinerie par élimination accélérée des “compétences” et de l’“expérience” (les guillemets sont là pour signaler la vastitude des domaines de compétence et d’expérience, de la connaissance technique et stratégique des programmes à la façon de faire circuler l’argent de la corruption sur ces programmes).
• Si Duncan Hunter est inquiété, comme l’article en suggère la possibilité, on risque d’aboutir à une connexion avec le scandale majeur Boeing-Druyun, qui touche les structures du Pentagone. On risque de réactiver les batailles internes, avec McCain en “chevalier blanc” pourfendeur de la corruption, ce qui est pour lui un excellent “positionnement” pour d’éventuelles ambitions présidentielles (il ne lâchera pas prise). On risque, là également, de déboucher sur une situation “out of control”. On peut mesurer, avec l’extrait ci-dessous de l’article de RAW Story, la cascade d’implications possible avec l’hypothèse défavorable sur le sort de Duncan Hunter. L’on voit que cela touche les parlementaires et le CMI, mais aussi l’administration et des dossiers aussi brûlants que la concurrence Boeing-EADS dans la commande mythique des cent ravitailleurs en vol de l’USAF :
« The Associated Press has previously confirmed that Hunter’s cabin is co-owned by Geren, a former Democratic Congressman from Texas. But no publication has yet revealed that the powerful House Armed Services Committee chair has been bunking with the chief procurement officer for a branch of the armed services.
» Boeing scandal vaulted Geren into Air Force position.
» Geren replaced former Air Force Secretary James Roche, who resigned following a procurement scandal involving an Air Force officer steering lucrative contracts to Boeing – a major Hunter contributor.
» Roche resigned days before Senator John McCain revealed internal Air Force e-mailswhich indicated that a deal to convert passenger planes into military refueling tankers and lease them from Boeing amounted to a “bailout” for Boeing. The Washington Post published excerpts on June 7, indicating that the White House had blacked out references to Congressional members who pressured the Pentagon to back the deal, which was ultimately scrapped.
» Scandals involving Boeing and the dubious tanker deal previously resulted in criminal conviction of two Boeing executives for illegally negotiating a job for an Air Force contracting officer who held sway over a multi-billion dollar contract sought by Boeing. Air Force acquisition official Darleen A. Druyun was also prosecuted and jailed. Geren has called Druyen’s actions “shameful.”
» This June, after the scandal had died down, Hunter quietly attached an amendment to the military budget that would have eliminated Airbus from bidding on a future tanker, leaving Boeing the only available contractor for a deal that could be worth billions of dollars. The Chicago Tribune, which revealed Hunter’s amendment, found his staunch support “especially noteworthy given Boeing’s recent troubles.”
» In short, President George W. Bush replaced an Air Force Secretary who resigned over a Boeing procurement scandal with a temporary stand-in whose hunting pal and cabin-mate is the powerful Congressman pushing the same deal on Boeing’s behalf. »
• Cerise sur le gâteau: Duncan Hunter doit jouer un rôle central dans l’affaire de la QDR 2005. Le Pentagone semble abandonner tout espoir d’accomplir la moindre réforme avec l’exercice, cette Himalaya de l’analyse réformiste débouchant sur l’accouchement grotesque d’une souris anémiée. Il passe la main au Congrès, particulièrement à la Commission des Forces Armées de la Chambre, qui travaille depuis plusieurs mois sur sa propre version de la QDR. Mais que devient cette Commission si Hunter est diminué par les attaques contre lui, voire inquiété?
• Au fait, Duncan Hunter est-il coupable? Question futile. Nous sommes dans un domaine où le mot “coupable” n’a plus guère de signification parce que le système n’offre guère d’alternative.
Comment conclure? (Faut-il conclure?) Bev Conover, éditeur et rédacteur-en-chef de OnLine Journal, s’exclame le 14 décembre, sur un ton désespéré : « What will it take to impeach the whole Bush regime? » En rigolant (il faut rester prudents), nous allons encore plus loin : « What will it take to impeach the whole United States of America? »