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20 décembre 2005 — Le marché est clair : l’USAF garde son F-22 (plus de F/A-22, l’USAF ayant abandonné la lettre “A”) si elle remplit, au moins pour 2006, sa mission promotionnelle qui est de faire croire qu’elle soutient à 100% le programme JSF. Le but n’en est pas moins clair: convaincre les coopérants non-US qu’il faut passer leurs commandes d’ici fin-2006.
Les pièces du puzzle qui nous conduisent à cette affirmation se mettent aisément en place. La bureaucratie ne se fatigue pas trop pour nous convaincre de son incontestable sincérité.
Notre fidèle Defense News nous signale ce 13 décembre que l’USAF fait le ménage. C’est-à-dire qu’elle update ses “informations” de relation publique pour les faire correspondre aux buts les plus urgents.
Voici les pièces du dossier, — nous allons ensuite vous présenter notre interprétation.
• Le F-22 Raptor: « The service now plans to purchase 183 of the [F-22] stealthy jets, enough to equip seven squadrons. This will allow F-35 maker Lockheed Martin to keep its sophisticated production line open long enough to avoid a gap before JSF production begins around the end of the decade. “It would be a very bad signal if our sole fifth-generation fighter line were not available to the president,” Moseley said. »
• Le JSF (ou F-35): « The Air Force intends to buy “more than 1,100” F-35s, [USAF Chief of Staff, General] Moseley said. Prototypes will likely fly in overseas exercises with allied forces next year, he added »
La signification de ces “informations” concernant le couple JSF/F-22 pourrait être décodée de cette façon:
• L’USAF a reçu certaines assurances concernant le F-22. Elles sont exposées de façon assez sibylline, parce que l’année 2006 devra être une année très restreinte, avec une dissimulation très active de la réalité (dans d’autres milieux, on nomme cela “mensonges”, — à chacun sa vérité). L’exemple de cette modestie dans l’information et le raisonnement se trouve dans l’affirmation qu’on se contentera de 183 exemplaires du F-22 et que cela permettra à Lockheed Martin de garder sa ligne de production de “chasseurs de la cinquième génération” ouverte (jusqu’en 2012-2013, avec le lancement de la production du JSF). Pour garder cette ligne “ouverte” selon les conceptions de l’Air Force, il faudra plus de 183 F-22. Mais on n’en saura plus qu’à la fin 2006, lorsque Lockheed Martin aura verrouillé toutes les commandes extérieures du JSF.
• En échange de ce soutien à venir pour le F-22, on demande à l’USAF de soutenir activement le JSF/F-35, dans tous les cas tout au long de l’année 2006. Il s’agit de rassurer les pays alliés dont on attend les commandes pour fin 2006; il s’agit de les convaincre que l’USAF est à 100% derrière le programme.
• Pour le JSF/F-35, le général Moseley parle de l’intention de l’USAF de commander « more than 1,100 » exemplaires. La présentation est optimiste (“plus de”). Il n’empêche : c’est la première fois que le chiffre de 1.100 est présenté officiellement comme base de la commande de l’USAF (jusqu’alors, et en se référant aux seules déclarations officielles de l’USAF, le chiffre-pivot était 1.700, ou “plus de 1.700”, la commande précise devant aller jusqu’à 1.743). La réduction d’un tiers de la commande USAF est désormais intégrée dans la présentation officielle de la programmation.
• Mais le plus intéressant se trouve dans la petite phrase glissée par Moseley : « [JSF] Prototypes will likely fly in overseas exercises with allied forces next year. » La description de la chose et son but sont évidents: il s’agit d’une tournée de promotion en soi-disant “live” du JSF dans les pays dont on attend une commande, pour exercer une pression pour cette commande. (On ne sera donc pas vraiment étonné si les prototypes du JSF participaient à des manœuvres OTAN, par exemple avec les Néerlandais, les Britanniques, les Danois, les Italiens, les Norvégiens…) C’est sur ce dernier point, qui va caractériser l’offensive de promotion du JSF/F-35 en 2006, que nous allons concentrer notre commentaire.
Une telle décision est extraordinaire mais pas sans précédent. Elle marque l’intensité de la pression que les Américains entendent imposer à leurs alliés pour obtenir les commandes avant fin 2006. Connaissant le désintérêt habituel des Américains pour les alliés, surtout à ce stade du développement d’un programme et alors que ces alliés n’y ont en théorie qu’une part peu importante, cette décision, cette attention portée aux alliés par le Pentagone signifie que le programme JSF est vraiment dans un très mauvais état. (La décision d’un possible déploiement outre-mer du JSF n’est pas originellement le fait de l’Air Force. Il s’agit du résultat de la demande faite par le Pentagone à l’USAF, pour que l’USAF trouve des initiatives de promotion du programme.)
La décision est extraordinaire parce qu’elle va réduire d’autant le temps disponible pour l’expérimentation durant l’année en cours, et donc retarder le développement du programme. Pour un programme qui connaît d’ores et déjà retards et difficultés, c’est un signe important. Il indique, toujours selon la vision à courte vue et la nécessité de relations publiques de faire croire à la bonne santé du programme, que le Pentagone a besoin tout de suite de soutiens extérieurs, quitte à encore compromettre le programme plus tard. Mais, “plus tard”, tout le monde n’en a cure plus ou moins et personne n’est capable de dire de quoi cela sera fait pour ce qui concerne le JSF. Dans tous les cas, cette absence de préoccupation pour le long terme implique le désintérêt fondamental de l’USAF pour le JSF : il ne s’agit pas de son programme central. (L’USAF n’aurait jamais pris une telle décision pour le F-22 il y a quatre ou cinq ans.)
L’interprétation qu’on donne de cette décision s’appuie sur un précédent qui présente nombre d’analogies: le programme F-111 (au départ TFX). En 1967, l’USAF décida de déployer un détachement de huit F-111A de pré-série au Viet-nâm (l’opération de déploiement fut désignée “Combat Lancer”). Le développement du F-111A n’était pas terminé, il s’en fallait de deux grosses années. Les F-111A de pré-série fut engagé dans les combats et trois avions furent perdus. “Combat Lancer” fut terminée au printemps 1968 et les F-111A restants rentrèrent aux USA, avec une bien mauvaise réputation confirmée (alors qu’en 1972, lors d’un nouveau déploiement au Viet-nâm, les F-111 se révélèrent excellents dans leur mission de pénétration aérienne).
L’opération n’avait bien entendu aucune nécessité militaire. Il s’agissait d’une opération de relations publiques, voulue par le cabinet du secrétaire à la défense McNamara, qui avait imposé le concept TFX (un chasseur commun USAF/Navy), et acceptée par l’USAF qui tenait au F-111 pour elle-même. Il s’agissait de prouver en combat la validité du “concept”. Les circonstances, avec les pertes subies, permirent aux adversaires du F-111 à l’intérieur du programme de renforcer décisivement leurs arguments d’une mise en cause des capacités opérationnelles de l’avion (mise en cause acceptable sur le moment et bien qu’elle se soit révélée infondée plus tard). Plus précisément, il s’agissait de la Navy, qui n’eut à partir de là plus d’obstacle sérieux pour abandonner sa version du F-111 (le F-111B) et se reporter sur son propre projet qu’elle développait en secret, le F-14 Tomcat.
L’analogie entre les projets de tournée du JSF et l’opération Combat Lancer porte sur l’aspect de relations publiques et nullement sur les opérations elles-mêmes, ni sur les circonstances. L’idée est de montrer l’extrapolation en service actif d’un avion qui n’est pas encore au stade du service actif, pour convaincre les uns et les autres qu’il peut y parvenir. Le saut est beaucoup plus radical dans le cas du JSF, la démonstration en sera beaucoup plus virtualiste.
Mais le plus important reste l’enseignement en termes de relations publiques de la situation du programme JSF. Cette initiative indique la perception, du côté du Pentagone de la très mauvaise réputation de l’état de programme. 2006 verra une bataille de relation publique sanglante, et pas inintéressante, autour du programme.