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162122 mai 2002 – La chronique de James Carroll, dans le Boston Globe, nous a déjà permis de rencontrer, à plus d'une reprise, un des commentateurs américains les plus talentueux. Celle du 21 mai, « America the Fearfull » (jeu de mots attristé sur le titre de la célèbre ballade, « America the Beautiful »), justifie ce commentaire plein d'estime. Carroll est de ces rares analystes qui, en quelques lignes, vont au coeur du problème américain, de la crise américaine. Car tout ce bruit, n'est-ce pas, n'est pas le signe d'une Grande Guerre contre la Terreur à la mesure des planificateurs du Pentagone et de la philosophie postmoderniste de GW mais le bruit de rien d'autre et de rien moins que la Grande Crise américaine.
« The more powerful the United States becomes, the more frightened we are. » Qui ne se souvient, en lisant le texte de Carroll, de la phrase fameuse de F.D. Roosevelt, le 5 mars 1933, dans le discours de son inauguration, devant un pays qui s'effondrait dans la panique de la Grande Dépression : « Ce dont nous devons le plus avoir peur, c'est de la peur elle-même. » On observera que la grande Dépression valait bien la peur contre laquelle FDR s'élevait. Aujourd'hui la peur américaine a complètement dépassé sa soi-disant cause et devient le coeur de la crise, et la soi-disant cause de la peur est évoquée plus pour être instrumentalisée, manipulée, etc., que pour expliquer cette peur. Cela conduit très précisément à la question posée d'une pathologie psychologique, — nommez-là paranoïa si vous voulez, ou n'importe quoi d'autre. Elle a la particularité, avec l'Amérique, d'être la pathologie d'une psychologie individuelle (il n'y a pas de psychologie collective spontanée dans ce pays défini par l'individualisme) répandue désormais d'une manière très puissante et efficace par la communication et touchant d'une même façon la plupart des psychologies individuelles liées par un conformisme très puissant. Le résultat est confondant. Carroll écrit ceci :
« We are like a nation that has had a psychological break and is descending into rank paranoia. The destruction of the twin towers shows that there are things to be afraid of, but our government's mad responses are making us more vulnerable to such things, not less. »
Ainsi se déroule un processus semblable à celui de la Grande Dépression. A partir du ''Mardi noir'' d'octobre 1929, l'Amérique avait peu à peu glissé, non dans une crise économique, mais dans une crise psychologique qui entraînait la crise économique (vous avez de plus en plus peur, vous prenez de plus de plus de précautions, de moins en moins de risques, vous cessez d'acheter, d'emprunter pour acheter, de produire pour appréhender les commandes et ainsi de suite ; la production s'effondre et le reste suit). Ce qui fait ressembler la Grande Dépression à la crise actuelle, c'est effectivement la crise psychologique. Là s'arrête la similitude.
... Au contraire, ce qui différencie la crise actuelle de celle de 1929-33, c'est que la crise de la psychologie touche, aujourd'hui, d'abord la direction, et se répand ensuite vers le public grâce aux moyens de la communication. (En 1933, au contraire, la direction de l'équipe FDR/New Deal apporta avec elle, en 1933, un exceptionnel volontarisme qu'elle sut communiquer à la population. Ce fut le seul apport réel de l'équipe FDR mais, dans les circonstances, il fut fondamental.) Carroll voit bien ce phénomène, au-delà des manigances et des manoeuvres washingtoniennes qui existent réellement mais qui ne sont qu'accessoires, lorsqu'il écrit à propos des dirigeants américains :
« But it may be worse than that. The shape of their dread is useful to them in these ways, but, also, like the mentally disturbed, they seem convinced that any danger they imagine is real. Our nation is being led by men and women who are at the mercy of their fears. That they work hard to keep the American people afraid might seem to suggest that they want merely to deflect any second-guessing about the course they have set, but in fact our fear reinforces theirs.
» Fear has become Washington's absolute and is shaping its every response to the future. America is being led by cowards. »
Cette différence entre 1929-33 et aujourd'hui est très importante. Elle explique que la crise de la Grande Dépression de 1929-33, malgré sa gravité formidable qui faillit anéantir le pays, est tout de même moins grave que la crise américaine actuelle. Nombre de dirigeants européens sont totalement pathétiques, à commencer par Tony Blair bien sûr, lorsqu'ils entendent ''raccommoder'' les relations transatlantiques, comme si celles-ci avaient été contrariées par une politique donnée, critiquable mais rationnelle. Ils ont en face d'eux des dirigeants américains touchés par une pathologie grave. La démarche de ces dirigeants européens ressort d'un autre monde que celui où se déroule aujourd'hui la tragi-comédie, de plus en plus tragique cela va sans dire, des relations entre les USA et l'Europe.
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