Compagnons d’armes — Rubrique Journal, de defensa Volume 21 n°09 du 25 janvier 2006

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Compagnons d’armes : les remarques du général Nigel Aylwin-Foster (britannique) sur ses amis américains

Nous publions un extrait de la rubrique Journal de l’édition du 25 janvier 2006 de la Lettre d’Analyse de defensa. Nous revenons sur l’article de Military Review du général Nigel Aylwin-Foster, qui est une appréciation (très) critique du comportement des soldats américains en Irak. (Le texte intégral de l’article peut-être trouvé sur le site de la revue, extrait du numéro de novembre décembre 2005.)

Les appréciations de Aylwin-Foster contribuent évidemment à expliquer les revers américains en Irak, avec l’incapacité US de contrôler la situation, de rétablir une certaine stabilité dans le pays, etc. L’importance des remarques psychologiques dans le jugement de Aylwin Foster doit être notée.

Compagnons d’armes


Les jugements abrupts du général Nigel Aylwin-Foster, cet “insufferable British snob”, sur le soldat U.S. en campagne

Retour d'Irak (après plus d'un an passé là-bas, jusqu'en novembre 2004), depuis adjoint au chef de la force européenne en Bosnie, le général Nigel Aylwin-Foster, de l'armée britannique, a pris la plume pour décrire le comportement de ses compagnons d'armes américains au combat. Il a publié cela dans Military Review, revue de l'U.S. Army, — pour que nul n'en ignore. Quant à l'U.S. Army et Military Review, il n'est pas question de ne pas être beau joueur, — et l'on a publié... Aylwin-Foster n'a pas chipoté. Il a trempé sa plume dans le venin de la réalité. On doute qu'il pourrait trouver des mots plus sévères, pour ce qui concerne le jugement objectif, s'il s'agissait pour lui de juger ses adversaires. Le jugement général de Aylwin-Foster paraît sans appel, quant à l'efficacité générale des troupes américaines, et cela d'une façon qui n'autorise aucun espoir d'amélioration. Le problème n'est pas au niveau de l'équipement, des tactiques, des décisions, etc.; le problème est au niveau des comportements, des perceptions, des psychologies. Les réactions américaines ont été discrètes ou retenues mais on ne doute pas qu'il y en aura, sur le terme et sur le fond, et qu'elles seront très vives. Interrogé par le Guardian, le colonel William Darley, rédacteur en chef de Military Review, a expliqué: « This [Brig Aylwin-Foster] is a highly regarded expert in this area who is providing a candid critique. It is certainly not uninformed ... It is a professional discussion and a professional critique among professionals about what needs to be done. What he says is authoritative and a useful point of perspective whether you agree with it or not. » Une réaction plus significative et, à notre sens, plus proche de la réalité américaniste, est celle du colonel Kevin Benson, directeur de l'école des études militaires de l'U.S. Army. Interrogé sur les jugements du Britannique, Benson déclare au Washington Post que Aylwin-Foster est un « insufferable British snob » (un “insupportable snob britt”). Puis il se reprend et dit, avec tout son calme retrouvé: « [My] remark had been made in the heat of the moment. I applaud the brigadier for starting the debate. It is a debate that must go on and I myself am writing a response. » Nous lirons le colonel Benson avec intérêt.


Une typologie qui n'étonnera personne: “Plus ça change (technologiquement), plus c'est la même chose (psychologiquement)”, — et l'Amérique est irrémédiablement différente de nous

Le texte d'Aylwin-Foster est d'un réel intérêt, à côté des circonstances éventuellement polémiques. Cet intérêt tient, comme on l'a déjà noté, au fait que l'analyse porte sur un comportement et sur une psychologie et non sur des circonstances extérieures. Aylwin-Foster ne nous dit pas: les Américains ont fait des erreurs en Irak, ils se battent mal; il n'est pas loin de nous dire, il nous dit in fine: faits comme ils sont faits, les Américains ne peuvent pas agir autrement que ce qu'ils font, c'est-à-dire se battre mal et faire des erreurs. La critique d'Aylwin-Foster porte sur plusieurs points qui renvoient à des spécificités psychologiques et culturelles américanistes; il s'agit donc d'une critique qui va bien au-delà d'un comportement militaire. * « American soldiers were almost unfailingly courteous and considerate. But at times their cultural insensitivity, almost certainly inadvertent, arguably amounted to institutional racism ». La critique est claire et renvoie à la psychologie américaniste: les sentiments sont bons ainsi que le comportement, tant que l'interlocuteur et les circonstances sont conformes aux stéréotypes américanistes (“stéréotypes” étant pris dans son sens le plus large, concernant aussi bien l'aspect culturel, idéologique, psychologique, etc.). Dès que les comportements et les psychologies sont différents, l'appréciation des soldats américains va de l'incompréhension au mépris et prive l'interlocuteur de toutes les sortes possibles de considération. En d'autres mots, qui n'est pas Américain selon les stéréotypes... En d'autres mots également: plus que de “racisme institutionnalisé”, nous parlerions de “suprématisme institutionnalisé”, parce qu'il s'agit évidemment d'un racisme avec une affirmation de sa propre supériorité (le mot “institutionnalisé” est fort bien choisi et important). * Le conformisme est total et aggravé des considérations d'intérêts de hiérarchie et de la nécessité idéologique de l'optimisme propre à l'américanisme. Tout cela est archi-connu et dévastateur puisque cela mène aux erreurs d'évaluation, aux mensonges dans les rapports et ainsi de suite. « The US army is imbued with an unparalleled sense of patriotism, duty, passion and talent. Yet it seemed weighed down by bureaucracy, a stiflingly hierarchical outlook [...] [T]he American army's laudable “can-do” approach paradoxically led to [...a] damaging optimism. Such an ethos, is unhelpful if it discourages junior commanders from reporting unwelcome news up the chain of command » * On retrouve, multipliés par les capacités technologiques, les pressions bureaucratiques et l'aveuglement d'un conformisme sans exemple, la traditionnelle stratégie US qui est de rechercher moins la victoire sur l'ennemi, avec toutes les subtilités éventuelles que cela implique (surtout dans une guerre de cette sorte), que la destruction aveugle de l'ennemi, ou ce qui est supposé être l'ennemi (y compris les civils qui sont dans le chemin). Leur but est donc « to kill or capture all terrorists and insurgents: they saw military destruction of the enemy as a strategic goal in its own right ». * Autre trait classique de l'américanisme: la certitude d'être moralement juste, excluant toute mise en question de toutes les conséquences des actions américanistes: qui est juste à l'origine ne peut engendrer que des actes et des conséquences eux-mêmes justes. A l'inverse, tout acte porté contre les Américains, qui leur semble injuste ou injustifié, est perçu comme inacceptable et entraîne des réactions disproportionnées. C'est ce « pervasive sense of righteousness or moral outrage » qui a entraîné l'attaque contre Fallujah à la suite de la liquidation de quatre Américains, avec des destructions considérables, une attaque contre la population, et des conséquences désastreuses. * Et ainsi de suite... Aylwin-Foster nous décrit la plus mauvaise armée du monde en train de se battre dans un autre univers, de faire une autre guerre, contre d'autres adversaires, que tout ce qu'on trouve en Irak, — tout cela d'une façon exacerbée par la puissance de feu et la technologie. Les résultats désastreux, on les connaît. Aylwin-Foster décrit une psychologie qui n'a rien de commun avec celle du reste du monde, y compris celle des cousins britanniques. On comprend que l'armée britannique ne soit pas à la fête d'avoir à coopérer avec ces Martiens.