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21 février 2006 — Que fait la France dans l’affaire iranienne? Le ministre des affaires étrangères, le méridional et sympathique Douste-Blazy, vient de déclarer que l’Iran poursuit un développement nucléaire qui conduit à penser qu’il développe un programme militaire nucléaire. Cette affirmation cartésienne est une marque d’activisme plus qu’une marque de politique. Dans le domaine de l’activisme diplomatique, la France est remarquablement en pointe dans la crise iranienne. Elle ne propose pas de mesures militaires, comme rêve de faire Washington, parce qu’elle prend garde au sens de la mesure dont elle est naturellement habitée. Mais elle suit une route qui est la route générale de la diplomatie transatlantique à la sauce américaniste, « le nez sur le guidon » selon l’expression d’une source diplomatique, — ce qui laisse à penser.
La politique française est par conséquent un petit mystère (au sens où l’entendait Malraux dans sa phrase fameuse où il évoquait « l’homme et son misérable petit tas de secrets »). La France pousse dans une direction qui ressemble de plus en plus à une impasse ; certes, l’impasse est peut-être inévitable, mais il n’est pas inévitable que la France paraisse en porter la responsabilité principale. On présentera en contraste de la déclaration presque (on ne peut pas trop lui demander) belliqueuse de Douste, le résultat de la rencontre Blair-Merkel tel qu’il a été perçu : tout faire pour faire triompher la diplomatie. Résultat des courses : aujourd’hui, la France paraît aussi fermée à une approche subtile et habile que Britanniques (un comble!) et Allemands paraissent lui être ouverts. On objectera, de façon très cartésienne : mais la position française n’a pas varié, elle reste complètement ouverte à la diplomatie. On observera, de façon plus imaginative, que l’époque virtualiste de la communication n’a que faire de la rigueur cartésienne des diplomates du Quai. L’image est là et c’est ce qui compte : au « France toughens stance on Iran's atom program » (titre du NYT du 17 février) répond le « Europeans reaffirm diplomacy with Iran » (titre de l’IHT du 17 février sur la rencontre Blair-Merkel). Est-ce bien habile ? L’image de l’Europe n’est plus dans la France et inversement, et sur un argument qu’on jugera pour le moins contestable, et pour le pire complètement maladroit.
Comment débrouiller l’écheveau français? Selon nous, il y a trois arguments possibles pour la France, résumés par des constats, qui définissent chacun trois politiques possibles, — à faire ou à ne pas faire…
• Le respect absolu des traités. La tradition diplomatique française recommande un respect presque aveugle des traités. Si l’Iran fait du militaire ou va dans cette direction de faire du militaire avec son nucléaire, il viole le traité de non-prolifération. Donc, l’Iran doit être contraint à ne pas faire de militaire, préventivement s’il le fautr. C’est une politique rationnelle et éthiquement juste, quoique un peu abusive. C’est aussi une politique sans nuances dans un monde qui recommence à en avoir (la crise iranienne n’est pas du tout la crise irakienne.) Les Français croient toujours qu’ils sont dans une crise d’épreuve de force qui demande de la fermeté alors qu’on se trouve dans une crise incontrôlable qui demande de l’habileté.
• L’ “apaisement” des USA (selon le terme US “apeasment”) : ne pas se retrouver isolée comme pendant la guerre contre l’Irak. Ce n’est pas une politique glorieuse ; reste à voir si elle est utile et efficace, ce qui la rendrait tout juste raisonnable et surtout très laborieuse. Cette option s’appuie notamment sur le fait que la France a ignoré un grand événement fondamental des dernières années : c’est elle qui a remporté la guerre d’Irak. Elle l’a fait en s’opposant avec succès aux USA à l’ONU. Le résultat de la guerre ayant été ce qu’on sait, la victoire conceptuelle de la France est complète. Que cela soit pour une occurrence malheureuse n’est pas de la faute de la France. Gâcher tout cela par une laborieuse politique d’ “apaisement” en se tenant du côté américaniste au moment où Washington est bien plus isolé qu’on croit serait d’une médiocrité rare et d’une maladresse complète. On doit espérer que ce n’est pas le cas.
• La perception du fait de souveraineté nationale est une autre façon de voir la crise iranienne. La perception de sa souveraineté nationale, ce serait celle de l’Iran face à un problème majeur de sécurité nationale. La France devrait s’intéresser à cette façon de voir parce que, pour la France, la réaffirmation constante du principe de la souveraineté nationale est la clef de voûte naturelle de sa politique extérieure. Dans le cas iranien : si une affirmation de souveraineté nationale justifiée se heurte à un traité, c’est le traité qui doit être réexaminé car il n’est pas loin de l’état de chiffon de papier. Quant au nucléaire dans ce contexte, la France a peut-être oublié qu’elle développa son nucléaire d’abord pour affirmer son indépendance nationale, c’est-à-dire sa souveraineté nationale. Si l’Iran est réduit et humilié, c’est le principe de souveraineté nationale, donc la France au bout du compte, qui en souffrira. La crise iranienne devrait être appréciée aussi et d’abord de ce point de vue.
(N’avons-nous pas oublié la menace (iranienne)? Tout cela n’a pas grand sens lorsque l’affaire est débarrassée des habituels anathèmes. Nul n’ignore que l’Iran des mollahs est un État beaucoup plus responsable qu’on ne croit. Nul n’ignore qu’une arme nucléaire iranienne ne ferait qu’apporter, comme l’observait justement Patrick Buchanan le 15 août 2005, une situation d’équivalence nucléaire (entre l’Iran et Israël), exactement comme, durant la Guerre froide, nous eûmes un équilibre nucléaire qui nous évita la guerre nucléaire. Bref, si l’on veut parler de menace nucléaire, nous nous permettrons de balancer quelque peu, voire, à certains moments de plus en plus certains, de détourner les yeux vers un autre horizon, sur notre Ouest.)
Certaines sources estiment que les Français n’en sont pas encore venus à réaliser que cette crise mérite une politique spécifique, et que cette attention doit être fondée sur des principes politiques plutôt que sur des évaluations techniques. Pour l’instant, disent ces sources, les Français suivent surtout une approche technique, déterminée par les estimations des spécialistes, qui sont nécessairement pessimistes et alarmistes et qui renvoient au seul impératif technique disant que le développement nucléaire militaire est interdit.
On peut rappeler ceci, qui illustre cette hypothèse extrait de notre Bloc Notes du 21 janvier, rapportant une réponse du Haut Représentant européen Javier Solana à une question sur la crise irakienne : « Solana, lui, dit au questionneur, en roulant des yeux sans doute terribles, qu’il ne peut pas discuter de ce sujet de l’Iran avec lui parce qu’il a “a lot, a lot, a lot, a lot of informations…” Il parle certes des informations ‘classified’ qui arrivent sur la situation de l’Iran, sur son programme nucléaire, sur ses intentions belliqueuses, etc.
» Discutant après, en privé, de cette information, on observait effectivement que les dirigeants occidentaux en sont aujourd’hui, dans la crise iranienne qui vient de connaître un rebondissement, au stade d’un flot ininterrompu d’informations venu de différentes directions. Toutes tendent, selon l’habituel réflexe bureaucratique, à pousser dans le sens de l’alarmisme. Aucune ne fournit d’indications simples et fondamentales sur la situation de l’Iran. (Par exemple, quand Simon Jenkins écrit le 11 janvier 2006 [dans le Guardian] : “I would sleep happier if there were no Iranian bomb but a swamp of hypocrisy separates me from overly protesting it. Iran is a proud country that sits between nuclear Pakistan and India to its east, a nuclear Russia to its north and a nuclear Israel to its west. Adjacent Afghanistan and Iraq are occupied at will by a nuclear America, which backed Saddam Hussein in his 1980 invasion of Iran. How can we say such a country has “no right” to nuclear defence?”) »
On comprend que l’incertitude française est aussi, surtout, la conséquence de divers facteurs assez éloignés de la crise iranienne, notamment les débats intérieurs dont chacun connaît la teneur et n’ignore rien de l’immense intérêt. La France avance “en roues libres”, enfoncée dans ses jérémiades diverses sur son archaïsme, son passéisme, son inadaptation au brillant monde moderniste qui l’entoure et dont nous avons chaque jour une preuve vibrante de plus. Patience, donc. Peut-être découvrira-t-elle un jour qu’il y a une crise en cours avec l’Iran, qui mérite autre chose que la comptabilité cartésienne des évaluations techniques, conformée à la rigueur rationnelle de textes vieux de plusieurs décennies.
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