Iran : Bolton (et l’Amérique) entre en piste

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Iran : Bolton (et l’Amérique) entre en piste


6 mars 2006 — L’ambassadeur américain à L’ONU, John Bolton, se signale par des confidences et déclarations diverses sur l’Iran. C’est de bonne guerre, — façon de parler, — au moment où la question du nucléaire iranienne est transmise de l’IAEA vers l’ONU. Ce n’est pas une surprise non plus : Bolton est égal à lui-même, plus que jamais prophète d’une attaque contre l’Iran.

Lors de deux interventions, Bolton a évoqué la possibilité d’une attaque contre l’Iran :

• D’abord en présence d’une délégation parlementaire britannique à Washington. L’un de ses membres a rapporté cette déclaration de Bolton: « They [The Iranians] must know everything is on the table and they must understand what that means. We can hit different points along the line. You only have to take out one part of their nuclear operation to take the whole thing down. »

• Ensuite, lors d’une conférence du lobby qui soutient Israël à Washington, le fameux IAPAC (American-Israel public affairs committee). Bolton : « The longer we wait to confront the threat Iran poses, the harder and more intractable it will become to solve ... we must be prepared to rely on comprehensive solutions and use all the tools at our disposal to stop the threat that the Iranian regime poses. »

Ces deux déclarations sont notamment rapportées par un article du Guardian d’aujourd’hui, qui donne à cette occasion une courte mais utile description des positions à l’intérieur de l’administration, au travers des impressions recueillies par la délégation britannique. Il semble qu’on y trouve des positions très contrastées, qui laissent prévoir beaucoup de désordre, de surenchères, de pressions diverses autour des débats de l’ONU.

« Yesterday the US secretary of state, Condoleezza Rice, said: “Nobody has said that we have to rush immediately to sanctions of some kind.”

» However the parliamentary foreign affairs committee, visiting Washington last week, encountered sharply different views within the Bush administration. The most hawkish came from Mr Bolton. According to Eric Illsley, a Labour committee member, the envoy told the MPs: “They must know everything is on the table and they must understand what that means. We can hit different points along the line. You only have to take out one part of their nuclear operation to take the whole thing down.”

» It is unusual for an administration official to go into detail about possible military action against Iran. To produce significant amounts of enriched uranium, Iran would have to set up a self-sustaining cycle of processes. Mr Bolton appeared to be suggesting that cycle could be hit at its most vulnerable point.

» The CIA appears to be the most sceptical about a military solution and shares the state department's position, say British MPs, in suggesting gradually stepping up pressure on the Iranians.

» The Pentagon position was described, by the committee chairman, Mike Gapes, as throwing a demand for a militarily enforced embargo into the security council “like a hand grenade — and see what happens”. »

On ajoutera une précision qui vient du magazine Time, qui concerne ce qui serait un projet d’intervention de l’administration à l’ONU. Comme on ne manque pas de le rappeler, il y a une réminiscence de la situation avant l’invasion de l’Irak: « According to Time magazine, the US plans to present the security council with evidence that Iran is designing a crude nuclear bomb, like the one dropped on Nagasaki in 1945. The evidence will be in the form of blueprints that the US said were found on a laptop belonging to an Iranian nuclear engineer, and obtained by the CIA in 2004. However, any such presentation will bring back memories of a similar briefing in February 2003 in which Colin Powell, then US secretary of state, laid out evidence of Iraqi weapons of mass destruction, which proved not to exist. »

Les circonstances évoluent pour une rapide dramatisation de la situation. Les Américains, jusqu’ici plutôt en retrait derrière les Européens, vont faire leur réapparition sur le devant de la scène. Toujours la même position, notamment avec l’affirmation des maximalistes type-Bolton, qui expriment toujours la même position extrémiste popularisée par les néo-conservateurs. Les alliés européens, cette fois avec les trois grands pays européens (Allemagne, France, UK) sur une ligne approximativement semblable, vont se retrouver confrontés à l’habituelle poussée extrémiste américaine.

Certains éléments doivent pourtant être mis en évidence, comme étant des éléments inédits qui font de cette crise quelque chose de très différent de celle de l’Irak.

• Il y a des positions beaucoup moins radicales chez les Européens. Chez les Britanniques, la prudence est beaucoup plus grande sur le fond que du temps de la crise irakienne. Un facteur important est la position d’autorité de Tony Blair, quasiment vidée de sa substance après trois ans d’avatars post-irakiens. A 28% d’opinions favorables, Blair est obligé de se référer à Dieu pour justifier sa politique.

• La position de la France est aussi une inconnue : restera-t-elle très dure (contre les Iraniens) ou évoluera-t-elle selon les prises de position américaines?

• Les autres acteurs permanents du Conseil de Sécurité (Russie et Chine) vont jouer un rôle important. Il n’est pas sûr que la dernière offensive diplomatique de GW vers l’Inde les ait mis, tous les deux, en de meilleures dispositions vis-à-vis de Washington. Plus que jamais, les deux puissances tiendront un rôle ambigu, éventuellement de soutien indirect aux Iraniens.

• Ce que nous rapporte l’article est une situation intérieure, à Washington, extrêmement complexe et proche du désordre. Il n’y a pas de ligne politique claire. Aucune surprise à avoir : en présence d’un pouvoir intrinsèquement faible (GW n’a jamais eu aucune autorité) et dans un processus d’affaiblissement constant (popularité de GW en baisse constante), la fragmentation des centres de puissance et leur autonomie plus grande caractérisent une évolution naturelle vers l’élaboration de positions politiques indépendantes, selon les intérêts de ces centres.

• Le point central, majeur, fondamental, c’est la perte de puissance des USA. En cela, la situation actuelle est radicalement différente de ce qu’elle était avec la crise irakienne. Le fait pèse militairement, diplomatiquement et politiquement sur la crise ; il pèse aussi sur les psychologies qui déterminent les décisions, et c’est le point important à retenir.

• …Pour autant, cela ne supprime en rien l’attitude unilatéraliste, marquée par des décisions irréfléchies et une attitude arrogante, de la partie américaine. Si l’on veut, la psychologie basique de l’américanisme reste de facto celle de sa propre supériorité, parce que c’est la normalité structurelle de cette psychologie. Confrontée à la réalité d’une puissance en déclin, et d’ailleurs éprouvant chaque jour son déclin dans le chaos irakien, l’attitude est porteuse de nombreuses possibilités d’accidents. L’acteur américain est, de loin, le plus instable dans cette crise.

Ce tableau rapide montre que nous sommes plus que jamais dans une crise multipolaire. L’ONU va en être le prochain champ de manœuvres. Il nous apparaît très probable que la crise va perdre, à cette occasion, le caractère de linéarité qu’elle a eu jusqu’ici, — parce que le moment devient décisif ; parce que les acteurs sont plus nombreux, avec une égalité institutionnelle de fait ; parce que l’acteur américain, jusqu’ici en retrait, va se manifester désormais sans frein.


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