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11 mars 2006 — L’affaire des ports US et de la société DPW (Dubaï Port World) s’achève en débâcle pour GW Bush, pour l’Amérique et pour les relations des USA avec les pays modérés du Moyen-Orient (du Golfe). L’écho considérable de l’affaire va en faire un tournant de la perception de l’évolution économique et stratégique en Occident.
Le 9 mars, DPW a annoncé qu’il renonçait à prendre en charge la gestion des ports US, comme il comptait le faire après le rachat de la firme britannique P&O qui assure cette gestion. Cette activité va être rétrocédée à une firme américaine, d’ailleurs sous la surveillance soupçonneuse des législateurs américains les plus acharnés. (Le sénateur démocrate de New York Charles Schumer: « If things are as they appear, this is a great victory for national security. But make no mistake, we are going to scrutinize this deal with a fine-tooth comb to make sure the separation between American port operators and Dubai Ports World is complete and security is tight as a drum. »)
Les réactions conjoncturelles, du côté des EAU, du monde arabe en général, voire des milieux financiers internationaux, mettent en évidence le sérieux de l’affaire. En voici un florilège. (Extraits d’un article de Defense News du 10 mars.)
• Ahmed el-Leithy, a ingénieur dans la construction à Doubaï: « They preach about a capitalist economy where everyone’s free to do as they wish, but now they’re just trying to come up with any excuse...to paint the country with terrorism. Dubai is the most pro-Western place in the Arab region. It is just ridiculous to assume the UAE is of any kind of security concern to the United States. »
• Ali Sadek, a ancien directeur du Fond Monétaire Arabe: « I have always argued that this was not an anti-Arab issue but rather a matter of domestic (U.S.) politics. But the perception, whether on the street or the corridors of power, is going to be that it is. »
• Un officiel impliqué dans le marché: « Do you think we are happy this morning? The mood is black, very, very black. »
• Robert Springborg, directeur du London Middle East Institute of the School of Oriental and African Studies: « It doesn’t matter whether it is a private investor or a public investor. This will affect investment[in the US] »
• Angus Blair, de Mena Financial (basé à Doubaï): « There already has been a drift away from U.S. assets by Arab investors. You may well have a further drift. »
L’impact économique et financier est probable. Le ministre de l’économie des Émirats avait averti la semaine dernière que l’affaire DPW pourrait accélérer un mouvement de désinvestissement et d’abandon d’investissements des pays du Golfe vers les USA. L’augmentation du prix du pétrole libère dans les pays du Golfe, chaque année, $130 milliards pour les investissements extérieurs.
Le moment est particulièrement délicat. L’affaire DPW-USA intervient alors que s’accumulent des motifs de tension et de suspicion à l’encontre des USA et du dollar. La prochaine ouverture de l’IOB à Téhéran est un de ces faits qui illustrent la tension de la période.
La direction washingtonienne est toute entière mobilisée pour tenter de réduire l’effet de la polémique. Le secrétaire au trésor Snow a déclaré à le CNBC : « [This] political furor [is] an isolated case. [The U.S. is still] open for business. . [...] I don’t view this as anything but an isolated incident. [...] We don’t want to be isolationist. We don’t want to turn our backs on the rest of the world. »
Arrêtons-nous à la déclaration de Snow. Elle est intéressante : toutes les dénégations faites correspondent à des soupçons et des critiques qui sont déjà dans les commentaires et les jugements. Il est intéressant que Snow déclare “nous ne voulons pas être des isolationnistes” alors qu’il aurait pu s’en tenir à un : “Nous ne voulons pas être des protectionnistes”.
C’est une confirmation symbolique de la substance politique de cette affaire, elle-même représentative du contenu politique des grandes évolutions actuelles zn matière économique et commerciale. Les aspects économique, commercial, financier, constituent l’apparence et le détonateur de la crise. Ils contribuent à marquer d’une façon plus affirmée une tendance déjà évidente, aux Etats-Unis comme ailleurs (“patriotisme économique”), qui relève plus d’une préoccupation nationale que d’une préoccupation purement économique.
Le même aspect politique est mis en évidence par une autre déclaration. Elle est surprenante d’abord par celui qui l’a faite. C’est le général Abizaid (cité par Jim Lobe) qui donne son avis sur cette question. Une déclaration si tranchante, — on est loin de la pure forme, — du général commandant Central Command (commandement US pour le Moyen-Orient, dont l’Irak et le Golfe) sur une affaire d’apparence purement économique est un fait singulier : « I am very dismayed by the emotional responses that some people have put on the table here in the United States that really comes down to Arab- and Muslim-bashing that was totally unnecessary. »
Il est manifeste qu’Azibaïd s’inquiète des retombées politiques et stratégiques sur les relations des USA avec les pays du Golfe, dont les Émirats qui sont une base arrière importante de Central Command. C’est un signe de plus de la dimension politique et stratégique qui est naturellement donnée à cette affaire.
Même si l'action du Congrès est perçue par certains comme une affaire de politique intérieure, ses caractères réels sont complètement politiques. Ce sont eux qui vont émerger et qui feront sentir leurs effets.
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