Tous en scène pour 2008…

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Tous en scène pour 2008…


5 avril 2006 — Hier, le commentateur américain Jim Lobe faisait paraître une chronique d’analyse sur l’évolution des forces politiques à Washington. L’essentiel de l’analyse porte sur l’effacement, que Lobe semble juger désormais inéluctable et en partie d’ores et déjà accompli, de l’influence extrémiste du mouvement néo-conservateur. En un sens, il rejoint l’analyse de base de Francis Fukuyama lorsque celui-ci annonce que la “fin des neocons” est déjà là (After the neocons, titre de son dernier livre) ; mais on a vu (notre F&C du 22 mars) que Fukuyama pousse l’analyse plus loin en mettant en évidence le risque d’une Amérique devenant isolationniste, avec des tendances radicalistes nouvelles (au niveau de l’étiquette), avec notamment le “nationalisme populiste” d’Hillary Clinton, qui vaudrait largement celui des neocons.

Précision de Fukuyama, dans The Independent du 26 mars: « He [Fukuyama] despairs of American politicians. “As Iraq becomes seen as more and more of a failure,” it will push the Republican base back towards isolationism, while Hillary Clinton's populist nationalism in opposing the takeover of US ports by an Arab company, he winces, is “terrible.” »

Nous allons tenter de réunir les deux analyses, — celle de Lobe et celle de Fukuyama, — pour proposer une perspective américaine.

Lobe fait justement remarquer que le déclin de l’influence des neocons a commencé immédiatement après la “victoire” à Bagdad, en avril 2003.

« In fact, the hawks' decline dates back to late 2003, when it became clear that Cheney and Rumsfeld and their neoconservative subordinates, then-Deputy Defense Secretary Paul Wolfowitz, Undersecretary for Policy Douglas Feith, had totally failed to anticipate, let alone prepare for, a Sunni-based insurgency that has gone from strength to strength.

» Except for a brief period from Bush's November 2004 reelection and very early in 2005 — a period in which they had hoped that Powell's departure and the president's soaring pro-democracy Inaugural Address signaled a resurgence of their power — the hawks have steadily lost power to the realists led by Rice, whose neoconservative rhetoric, like the president's, has masked the shift back to the more cautious approach of Bush's father. »

C’est le dernier point qui nous arrête dans l’analyse de Lobe. Le radicalisme neocon aurait laissé place à une sorte de “néo-réalisme” représenté par Rice et ses adjoints Zoellick (ex-représentant US aux négociations commerciales) et Nicholas Burns (ex-ambassadeur des USA à l’OTAN). Lobe affirme que leur “rhétorique néo-conservatrice” dissimule un véritable réalisme. Nous ne pensons pas que le point essentiel soit là (encore que des rencontres récentes avec Zoellick et Burns, et aussi avec Rice, n’ont pas laissé à certains diplomates européens l’impression d’une diplomatie US devenue modérée). Il nous semble que cette présentation d’une évolution raisonnée (et raisonnable) est infondée. Nous croyons fermement que la réalité est plutôt qu’entre-temps s’est imposé ce fait fondamental : avec le désastre irakien, la mise en évidence des limites pathétiques de la puissance militaire US sur laquelle s’appuyait toute la politique (?) néoconservatrice.

Autrement dit, le “néo-réalisme” de Rice & compagnie n’est qu’une adaptation piteuse et accélérée à une situation désastreuse par rapport au statut et aux prétentions américanistes. L’esprit n’a nullement changé, et nous ne voyons nullement cela comme un retour à la modération (d’ailleurs toute relative) de la période 1989-1993 de Bush père. On colmate les brèches, on fait bonne figure, mais rien, ni de l’obsession guerrière, ni de la vaniteuse suffisance américaniste, ni de la brutalité des exigences, n’a disparu.

Au contraire, — et c’est là que l’analyse de Fukuyama a son poids, — on constate un durcissement et une radicalisation générale chez ceux qu’on pouvait considérer comme réservés du temps des neocons : du républicain John McCaine aux démocrates de Hillary Clinton à Joseph Biden, sans parler des démocrates super-faucons type Lieberman. Cela se traduit en pratique par une paranoïa sécuritaire, une surenchère dans le protectionnisme agressif et, comme le voit Fukuyama, une évolution bien possible vers une position d’isolationnisme belliciste.

On pourrait dire que les neocons, idiots utiles dont on se débarrasse comme d’un kleenex, ont fait leur temps. L’extrémisme neocon, bruyamment maquillé et fardé derrière d’autres étiquettes plus avantageuses, est, lui, devenu le courant de la pensée mainstream.

Voilà la route vers 2008…

Ce qui nous paraît résumer la situation se retrouve en quatre (cinq) points généraux:

• GW Bush est discrédité, non pour avoir lancé l’aventure irakienne mais pour l’avoir ratée. D’ailleurs, de McCaine à Hillary, et d’ailleurs également, du candidat démocrate de 2004 John Kerry, on n’entend qu’un seul cri : il faut plus d’hommes en Irak pour écraser la vermine “insurrectionnelle”.

• Actuellement, la politique extérieure US est en roues libres, avec toujours la même rhétorique agressive, la même pompe et la même vanité, mais une position de complète paralysie quant aux moyens disponibles. Pour que la “pensée” stratégique en soit à vaticiner sur la possibilité de premières frappes stratégiques nucléaires contre… la Russie et la Chine, comme au bon vieux temps, il faut que cette pensée soit à la fois désespérée de l’absence de moyens militaires intermédiaires et toujours aussi déconnectée de la réalité par une hubris absolument pathologique, et par son virtualisme suffisamment rôdé pour mettre tout cela en musique. (Autre parole judicieuse de Fukuyama : « I think that the United States needs to reconnect to the world. One of my biggest concerns is what's going to happen in terms of the backlash that the war is going to generate. That's what people ought to focus on. »)

• Le Congrès a retrouvé toute sa verdeur irresponsable d’antan pour en rajouter par louches entières, sur l’hyper-sécurité, la protection de tous les secrets amassés aux USA, le micromanagement des sommes colossales du gâchis pentagonesque, les appels à la mobilisation de forces supplémentaires et de dizaines de $milliards en plus pour le Pentagone, et ainsi de suite. Irresponsabilité totale, avec l’agressivité remplaçant la trouille initiale post-9/11, qui profite du champ laissé libre par l’effondrement du système belliciste de GW & compagnie.

• En avant pour 2008, avec l’escale intermédiaire de novembre 2006 qui, si elle donne une majorité aux démocrates au Congrès, débouchera sur deux années de torture généralisée de l’administration GW, avec GW lui-même mis sur le grill de diverses procédures (censure, voire menaces d’impeachment, etc.). L’Amérique est enfermée dans une démagogie extrémiste sans frein, dans une paralysie politique qui se donne l’illusion d’exister grâce au théâtre virtualiste. On voit mal ce qui pourrait seulement la modérer et freiner la pose généralisée de verrous indestructibles sur les rares portes encore entr’ouvertes de la Forteresse Amérique.

• En commentaire final : que la plupart des gens chic d’Occident, particulièrement en Europe, suivent cela avec fascination n’empêche pas le néant d’être désespérément vide. Voilà un bon procès-verbal de notre temps historique.

Pendant ce temps-là, Rice continuera à voyager… (Elle se déplace beaucoup.) Peut-être trouvera-t-elle un mari. Cela ferait un happy end de circonstance.