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18 avril 2006 — Nous avons déjà spéculé à deux occasions, le 29 mars et le 17 avril à propos de l’attitude de Prodi vis-à-vis du JSF. Il apparaît, selon un article de Defense News du 17 avril que le problème a été posé au niveau politique, juste après les élections des 9 et 10 avril.
Nous publions ci-après une part substantielle de la nouvelle (qui nous est signalée par ailleurs par un lecteur et qui figure dans sa version complète dans le “Forum” de notre rubrique “Bloc-Notes”, le 17 avril): « Italy’s newly elected, center-left government is set to add its voice to the chorus of complaints from Joint Strike Fighter (JSF) partners, with one policy-maker calling for Rome to cancel purchase plans regardless of whether technology sharing with the United States improves.
» Giovanni Urbani, aerospace spokesman for the Democratic Left, part of the new governing coalition, said April 11 that Italy should buy the strike-version of the Eurofighter Typhoon instead of the JSF as part of a move toward greater European industrial cooperation. Italy already is introducing Typhoons into service, but had planned to buy JSFs as well.
Urbani was speaking the day after Italy’s center-left coalition, led by Romano Prodi, narrowly beat Prime Minister Silvio Berlusconi’s incumbent center-right government in a general election.
(...)
» ...Members of the new administration have said they wish Finmeccanica to continue focusing on both the United States and Europe, but they want to give a political underpinning to European cooperation. A catchphrase has emerged: “The U.S. is an opportunity, Europe is a destiny.”
» That makes Italy’s membership in the JSF program a hot topic. Italy became a second-level partner in 2002, investing $1 billion in the System Development and Demonstration (SDD) phase. A Lockheed Martin presentation in Rome in March indicated that $800 million in work has been contracted by or committed to Italian firms to date.
» A senior Italian defense source said that broke down as $180 million in contracts in the SDD phase, plus $677 million in work “assigned” on the Low Rate Initial Production phase. Italian center-left Sen. Lorenzo Forcieri — who is tipped to take a senior defense role in the new government — did not call for a pullout, but said Italy would need to “reconsider” its partnership on JSF if work share and technology transfer for Italian firms did not pick up.
Policy planner Urbani did not want to wait. “I propose we pull out of acquiring the JSF and look at the third-tranche Eurofighter instead, thus boosting a European production line,” [Urbani] said. “I also wonder if a European nation requires such an overtly offensive aircraft as the JSF.”
» Italy will be required this year to confirm its entry into the Production, Sustainment and Follow-on phase of the JSF program. An Italian retreat from the JSF program would little affect the ultimate cost of the fighter jets, said Richard Aboulafia, vice president and aviation expert of the U.S.-based Teal Group. “No one JSF export partner would have that kind of effect, except the Brits,” Aboulafia said. But he said such a withdrawal would undermine the program’s prestige and confidence.
“It was a major breakthrough to get a partner like Italy,” a Southern European country tied to the Eurofighter combat jet program, he said. “Of course, we don’t know if Italy will follow through, or if this is just a negotiating tactic,” he said. “In the absence of concrete information, it appears that the partners are keeping the faith.”
» Tom Burbage, Lockheed Martin executive vice president and manager of JSF Program Integration, said, “Italy’s industry and defense strategy are deeply invested in JSF, and the country is a key international partner in the program. We have no indication that there has been any erosion of support for JSF in Italy.” »
Le même problème est abordé d’une façon plus théorique et beaucoup plus rapidement dans Aviation Week & Space Technology (AW&ST) du 17 avril également. Il s’agit du constat du problème spécifique soulevé par l’arrivée du nouveau gouvernement et de la pression qui s’exerce d’ores et déjà pour qu’une décision soit prise. Le calendrier conduit effectivement à faire de l’engagement dans le JSF un des premiers problèmes politico-militaires que la nouvelle coalition devra traiter.
AW&ST : « One area where there is pressure on Italian political leaders to map their plan is the country's participation in the U.S.-led F-35 Joint Strike Fighter program. The government basically has until June to make up its mind, since intense negotiations with the U.S. about involvement in the production and sustainment phase of the project loom in the second half of the year. »
Le caractère politique du JSF ne cesse d’être davantage mis en évidence. Il y a une remarquable constance du renforcement de l’attention portée sur l’aspect de plus en plus chaotique du programme dans cette année cruciale pour lui, un enchaînement des points d’attention passant d’un pays à l’autre. Ce phénomène contribue à maintenir et à faire grandir l’attention et la pression publique et médiatique, et politique par conséquent, sur cette affaire. A chaque occasion, aucun des cas nationaux venus en lumière n’est résolu. Le programme JSF évolue vers un énorme contentieux entre l’Europe et les Etats-Unis, et un contentieux entre les soi-disant meilleurs alliés européens de Washington et Washington. Après le Royaume-Uni, c’est l’Italie. A la fin mai, ce sera la Norvège, qui doit décider de son maintien dans le programme ou de son départ du programme le 1er juin.
Il est remarquable que le retrait du programme soit la première mesure publiquement réclamée pour marquer l’évolution anti-atlantiste et pro-européenne du nouveau gouvernement. Ce n’est pas seulement la nécessité de la chronologie du programme mais également la marque de la politisation du programme.
(Lorsque l’Espagne avait voté à gauche, en mars 2004, c’est le retrait des troupes d’Irak qui avait joué ce rôle de premier éclat public et politique marquant un changement de l’attitude officielle de l’Espagne vis-à-vis de l’Amérique. Un problème semblable existe entre l’Italie et les USA. Il est à peine abordé. Les troupes italiennes sont déjà en train d’être retirées, “à-la-Berlusconi”, — sans trop le dire et en réaffirmant l’amitié avec les USA. Le retrait va se poursuivre, cette fois présenté pour ce qu’il est, selon le jugement déjà connu de Prodi sur la guerre en Irak qu’il s’agit d’une guerre illégale.)
La coalition Prodi a trouvé, pour la campagne électorale, une bonne formule pour résumer sa position européenne, dont nous pourrions proposer cette traduction : « L’Amérique est une opportunité, l’Europe est notre destin. » Il est singulier, c’est-à-dire remarquable, que cette formule hautement politique concerne en priorité la question du programme JSF, dans un pays où les questions des rapports avec les USA ont jusqu’ici figuré comme faisant partie des “affaires” qui vont de soi.
La formidable allégeance de l’Italie aux USA établie évidemment en 1945-50 est de type plutôt conjoncturel, contrairement à celle du Royaume-Uni et de l’Allemagne, qui est de type structurel. C’est-à-dire qu’elle fut toujours traitée, en Italie, en demi-teinte, sans organisation politico-militaire de type “frontiste” importante, sans engagement politique clairement affirmé, — “à l’italienne” si l’on veut, — alors qu’elle était absolument massive (l’Italie n’est pas pour rien le pays “fondateur” du réseau Gladio deuxième formule, de contrôle des démocraties occidentales par manipulations et pressions terroristes interposées). Cela permettait de garder un pied ici et l’autre là, à l’image de l’industrie aérospatiale italienne bien engagée des deux côtés ; cela permettait à l’Italie d’être un fidèle allié américain et un des pionniers pro-européens du continent.
Berlusconi et son bataclan abracadabrantesque ont changé tout cela. Cet affairiste publiciste pas vraiment antipathique et complètement apolitique, pour lequel seules les “valeurs” de communication avec le profit qui les accompagne comptent, a paradoxalement politisé la question du binôme allégeance transatlantique-affirmation européenne. Comme en toutes choses, il a fait grossier et dans la grosse ficelle. Son allégeance tonitruante au médiocre Bush tenait plus de la “comedia dell’arte” et de la caricature que de la servilité bon chic bon genre des pays sérieux et protestants du centre-Nord de l’Europe. Ses adversaires, élus sur un seul programme (“tous contre Berlusconi”), l’ont été au nom de cette politisation dont la réponse est nécessairement, pour eux, anti-américaine ; Berlusconi a suffisamment pressuré l’“opportunité” pour qu’on s’intéresse désormais au “destin”. L’engagement dans le programme JSF constitue le premier exercice pratique du phénomène. Ce n’est pas “techniquement” une surprise puisque cet engagement, de plus en plus massif (avec Berlusconi, on évoluait vers une Force Aérienne tout-JSF, à part la pincée d’Eurofighter du départ), est l’œuvre de Berlusconi. Politiquement, le paradoxe laisse sans voix (mais pas sans plume pour en écrire).
On a rarement autant constaté l’échec colossal du programme JSF. A partir du moment où le JSF est considéré du point de vue politique en Europe, à partir du moment où il est politisé, il est perdu en Europe parce que la vertu médiatique européenne ne supporte pas les allégeances trop visibles pour le bon peuple. Qu’il le soit très vite (cette année) ou plus tard (dans les années qui viennent), à mesure des avatars sans nombre qui vont s’empiler aux USA, ne change rien à l’affaire sinon pour l’aggraver. Le dernier paradoxe en date est bien que ce soit “il Cavaliere”, la créature la moins politique et la plus mercantile du monde, qui ait réussi a contrario l’opération. S’il y a peut-être un destin européen (c’est à voir), il y a certainement un destin des relations transatlantiques.