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934Le discours de Cheney à Vilnius a été comparé à celui de Churchill à Fulton, en mars 1946. C’est faire bien de l’honneur à Cheney. Passons.
Quant au discours de Churchill à Fulton, lui aussi a été soumis aux caprices d’une Histoire qui aime bien se raconter le passé en fonction du présent.
Aujourd’hui, le discours de Churchill est classiquement présenté de cette façon (ces quelques mots empruntés à une dépêche de l’Agence Novosti en reprennent l’interprétation ultra-classique et universelle) : « Speaking at Westminster College in the southern U.S. town on March 5, 1946, Churchill, by that time no longer British prime minister, famously claimed: “From Stettin in the Baltic to Trieste in the Adriatic, an iron curtain has descended across the Continent. Behind that line lie all the capitals of the ancient states of Central and Eastern Europe.” He highlighted the Soviet sphere of influence, and called for new unity in Europe to counter the Soviet threat. »
Pour mieux apprécier la réalité de la chose, nous proposons un court extrait du livre de l’historien britannique John Charmley Grand Alliance, — présentation d’autant plus intéressée que nous achevons une version française de ce livre remarquable, que nous mettrons prochainement en vente sur une extension à venir de notre site.
« Dans tous les commentaires de ses admirateurs qui suivirent, le discours que Churchill prononça dans ce gymnase bondé dans l’après-midi du 5 mars reçut l’accueil qu’un tel texte aussi polémique méritait. Ce fut un heureux hasard que la procession ouvrant la cérémonie ait eu lieu aux accents de How Firm a Foundation, parce que le thème du message du grand homme était bien sûr que la relation “spéciale” entre Anglais et Américains constituait la plus sûre fondation pour la paix dans le monde, face aux menaces de guerre et de tyrannie. Bien que ce soit la phrase « un rideau de fer s’est refermé en travers du continent » qui retint l’attention des historiens, les contemporains furent aussi, si pas plus, frappés par ce qui était en fait le thème central du discours : le besoin de poursuivre les “relations spéciales”. Au moment où il termina commença la controverse à propos de ce que Churchill désigna comme « le discours le plus important de sa carrière ».
» Le St-Louis Globe-Democrat, qui admirait le « franc-parler » de Churchill et marquait son accord avec lui sur le fait que « la Russie est une menace pour le monde », s’intéressa au thème de l’alliance anglo-américaine et commenta justement que « les anglophobes dénonceraient sûrement ce discours comme une nouvelle tentative de l’Angleterre d’utiliser à son profit la puissance de l’Amérique ». Ce fut le cas. Quand Churchill vint à New York pour recevoir une distinction honorifique à Columbia University, des étudiants manifestèrent avec des pancartes portant les inscriptions : « Nous en avons eu assez !! “Winnie” veut toujours plus de guerres ! » et « la politique conservatrice de Churchill continue d’interdire la liberté à la Palestine et à l’Irlande ». Le Boston Globe ne s’éloigna pas de cette tendance, affirmant que Churchill voulait que l’Amérique « devint le suppôt d’un colonialisme en train de s’effondrer et, inévitablement, de tous ses défenseurs, d’Afrique du Nord à la Mer de Chine ». Le Chicago Sun, toujours anti-anglais, se moqua de Churchill comme d’un combattant pour « un monde qui n’existe plus » et il proclama avec virulence que, « suivre les références offertes par ce grand mais aveugle aristocrate conduirait vers la guerre la plus terrible ». Les premières réactions du Congrès furent « fortement critiques » à l’égard de la proposition d’une alliance militaire, et c’est sans aucun doute cela, en même temps que des commentaires défavorables de parlementaires travaillistes, qui poussa Truman et Bevin à nier avoir pris connaissance préalable du texte et leur permit de réserver leurs commentaires. Mais c’est un journal de Memphis, le Commercial Appeal, qui distingua la réelle signification de ce qui arrivait :
» “Pris pour ce qu’ils sont, la dénonciation et l’avertissement de Churchill pourraient juste être une manifestation virile et prophétique de plus d’un homme d’État dont l’antipathie pour le communisme est connue … Considérés à la lumière des événements actuels, ils représentent une pièce importante d’un édifice en train de prendre forme — l’esquisse d’un affrontement avec la réalité d’où l’apaisement est résolument écarté.” »
Mis en ligne le 7 mai 2006 à 13H24