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10964 septembre 2006 — Attachons-nous à cette nouvelle parue dans le Sunday Times d’hier, concernant les projets d’Hillary Clinton : « Friends of Hillary hint she may pull out of presidential race. »
L’article est du genre torturé. Tantôt, c’est l’impression que Hillary renoncerait, tantôt c’est l’impression contraire. Son mari la pousse, et cela est certainement dans le caractère de Bill Clinton : après avoir été roi, devenir “faiseur de roi” en s’attirant la reconnaissance d’une épouse qu’il a soumise à bien des tourments ; l’amabilité naturelle du caractère de l’ex-Président le pousse effectivement à soutenir les ambitions de son épouse, sans la moindre jalousie. (« On one subject, Clinton’s friends are united. They all believe that Bill, her closest adviser, wants her to go for it. »)
Il y a bien entendu de la “cuisine électorale” dans ces considérations. L’article du quotidien britannique observe ceci:
« A recent poll for Time magazine showed that 53% of the electorate said they had a favourable impression of Clinton and only 44% viewed her negatively, figures that President George W Bush can only dream of at the moment. Even so, 53% of independent voters said they would not vote for her.
» “The prospect of a Hillary for President campaign has put much of the Democratic establishment in a bind,” Time concluded. “The early line is that Hillary would be unstoppable in a Democratic primary but unelectable in a general election.”
» The solution, insiders say, is for Clinton to take over as Senate minority leader in 2009 from the lacklustre Harry Reid, senator for Nevada. One well-respected blog, The Washington Note, recently claimed that Reid privately told Clinton the job was hers if she gave up her presidential ambitions.
» Reid’s office denied it, but the claim made its way into the Los Angeles Times where it was suggested she would make a “superlative Senate leader” while keeping her options open for the 2012 presidential race. »
Mais l’essentiel est bien entendu dans ce qui serait peut-être la cause centrale d’une éventuelle décision de ne pas se présenter. C’est dans tous les cas ce que nous percevons de cet autre extrait:
« …The former first lady longs to return to the White House with husband Bill as consort. Only last week she told television viewers America would be led by a woman one day. “Stay tuned,” she said.
» First, however, she has to win the election. Some Democratic party elders — the American equivalent of the Tories’ “men in grey suits” — say Clinton may back out of the race of her own volition.
» “I would not be surprised if she were to decide that the best contribution she can make to her country is to forget about being president and become a consensus-maker in the Senate,” said a leading Democratic party insider. “She believes there is no trust between the two political sides and that we can’t function as a democracy without it.” »
La phrase soulignée en gras fait moins partie de l’apparat habituel des arguments de communication politique que d’une réalité américaniste qui commence à être pleinement réalisée: le blocage du système.
On connaît Hillary Clinton. Il y a beaucoup à dire et à redire sur le personnage politique. La sénatrice Hillary Clinton a déçu nombre de ses soutiens libéraux (progressistes) américains en évoluant dans certains domaines vers une droite pure et dure, partisane au bout du compte d’une “guerre contre la terreur” musclée, jugeant qu’on n’en fait pas assez en Irak (“Quand on fait une guerre, on la fait bien et à fond”), se proclamant à l’occasion protectionniste et isolationniste conformément au populisme populaire courant aux USA (affaires de la gestion de certains ports US par une société de Doubaï). Pour faire bref, on dira que Hillary Clinton se montre, comme les autres, une politicienne retorse, peu regardante sur les engagements et beaucoup plus sur les investissements électoraux, ne craignant pas les contradictions arrangeantes, ferme jusqu’à l’hystérie sur les questions de sécurité nationale comme tout bon soldat du système et ainsi de suite.
Sa personnalité, on la connaît également. Dure, féroce, rendant coup pour coup, — là aussi, conforme à l’archétype washingtonien; ne manquant pas de courage dans les situations difficiles, sachant rengorger sa fierté quand c’est son intérêt politique. Hillary n’a pas aisément froid aux yeux. Elle ne fait pas de cadeau. Elle ne laisse pas passer une proie à bonne portée.
Quant à son ambition présidentielle, c’est manifestement, dans son cas encore bien plus que dans celui de tous ses concurrents, le but et l’essence même de sa vie politique. C’est à la fois une ambition naturelle pour une carrière politique de haut vol, un accomplissement qui n’est pas sans la douceur d’une revanche intime (vis-à-vis de son mari), un défi (la première femme présidente) et une revanche nationale et publique (l’ancienne femme du président Clinton qui fut soumise à un traitement souvent proche de l’ignominie par ses adversaires politiques et qui dut vivre l’humiliation d’une frasque minable de son mari transformée en crise nationale). Hillary a constitué un “trésor de guerre” en donations, — $33 millions, — pour sa réélection de novembre à New York (garantie dans un fauteuil, comme sénatrice de New York) qui lui permettrait de lancer d’ores et déjà une campagne présidentielle de très haut vol. Elle aurait des soutiens considérables, y compris celui qu’on a déjà signalé de Bill, inestimable (« He is a gigantic asset. He is probably the most popular politician in the world »). Rien, absolument rien ne s’oppose à sa candidature en 2008, tout l’y invite.
C’est avec ce portrait à l’esprit et les conditions décrites qu’il faut mesurer la possibilité de son abstention en 2008, qu’il faut envisager une signification justement à mesure pour la comprendre. Si Hillary doute et s’interroge sur sa candidature, comme signalé dans l’article, on doit considérer l’argument avancé comme très sérieux.
« She believes there is no trust between the two political sides and that we can’t function as a democracy without it »? Cela signifie que Hillary Clinton juge très difficile dans les conditions actuelles la possibilité “objective” de parvenir à la fonction présidentielle d’une façon utile. (Parlant de la “possibilité objective”, nous entendons la possibilité de parvenir à cette fonction par la voie démocratique, — non du point de vue de la “vertu” qui embarrasse continuellement ce mot, mais du point de vue du mécanisme politique.) Cela signifie encore, — avançons sur la voie de l’interprétation, — que les politiciens les plus roués, les plus habiles et les plus forts, à Washington, s’interrogent à propos des capacités du système à tenir son rôle.
Nous n’avançons pas ici l’hypothèse du complot, du “coup d’Etat”, etc., par exemple pour empêcher la bonne marche constitutionnelle des choses, — sans pour autant l’écarter, — simplement, ne la considérant pas. Nous envisageons ici un aspect qu’on pourrait qualifier de “fiche technique” du système, suggérant qu’une femme politique comme Hillary considère qu’il est bloqué pour l’instant. (“Fiche technique”? Le fonctionnement des institutions, le poids des crises et politiques en cours, le climat politique d’affrontement, etc.) Cela donne une bonne mesure, à notre sens, de la crise très profonde où se trouve plongé le système, dans ses mécanismes mêmes, dans son fonctionnement fondamental.
Le système a besoin de ce fonctionnement technique qui permet de faire tourner la boutique dans le bon sens et à la satisfaction de toutes les factions et centres d’influence ; qui établit une certaine égalité des prébendes, des occasions d’affirmation ; qui organise mécaniquement le renouvellement du personnel, qui donne sa chance à tous les soldats du système ; qui noue les fidélités, les alliances et donne les moyens d’exercer les pressions qu’il faut pour maintenir la cohésion. Le système a besoin de cette apparence technique de la démocratie pour soutenir l’argument publicitaire de la démocratie américaniste, — rayon vertu cette fois. Il ne peut souffrir le simple soupçon de la dictature, de l’arbitraire, de l’anarchie politique hors de ses propres règles. Du point de vue technique, le système a besoin d’ordre et de conformation quasiment “bourgeoise” à la vertu démocratique. Ce n’est pas une question de “démocratie”, c’est une question de bonne marche technique.
Il semble qu’il n’y ait plus tout cela, en aussi bon ordre et de manière satisfaisante. Dès lors, tous les excès et tous les accidents sont possibles. Il n’est pas exclu, par exemple, que Hillary Clinton hésite à se lancer sur la voie triomphale de la présidence par simple souci pour sa sécurité. Rien n’est exclu ; et il est ainsi acquis que le système est, vraiment, dans une crise profonde.
Dans les hypothèses envisagées, il y a celle-ci: Hillary passe la main pour 2008 et sera là pour 2012, — sous-entendu: lorsque le système sera réparé. Cela, c’est de l’optimisme béat, une sorte d’American dream à la sauce postmoderniste. (Bien entendu, c’est aussi de la salade électoraliste: “lorsque le système sera réparé”, — sous-entendu: grâce aux bons soins de Hillary Clinton elle-même, présidant majestueusement aux destinées du Sénat des Etats-Unis.)