l’OTAN, son cœur et son esprit

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l’OTAN, son cœur et son esprit

8 septembre 2006 — Récemment, tel général canadien qui quittait son commandement en Afghanistan répondait à un journaliste, à propos de l’état de l’OTAN par rapport à la mission de l’OTAN (l’ISAF) en Afghanistan. Il mit en évidence son importance, de façon assez classique : “l’OTAN doit réussir parce qu’elle joue son existence” ; puis, off the record, il ajouta : “de toutes les façons, c’est fait, elle n’existe plus”. Ainsi vont les obsessions internes au sein de l’Organisation atlantique, avec parfois l’éclair de la vérité, off the record.

L’OTAN est engagée en Afghanistan. C’est sa première “vraie guerre”, si l’on compte, de façon assez justifiée, que le Kosovo (mars-juin 1999) est un conflit assez à part, sans combats terrestres, dans un cadre politique extrêmement resserré, qui interdisait un réel revers. La décision puis les modalités du déploiement de l’OTAN en Afghanistan ont été très difficiles, notamment avec les difficultés hollandaises. L’enjeu était clair : si l’OTAN n’était pas déployée en Afghanistan, — si les Hollandais contrecarraient trop gravement ce déploiement, c’en était fait de l’OTAN. (Willam Pfaff notait ceci à l’époque : « This time NATO is to take over [in Afghanistan]. That at least seems the idea being tried out. Whether the Dutch realize it or not, the future of both NATO and Afghanistan may be what their Parliament really will be debating. »)

Donc, si l’OTAN n’allait pas en Afghanistan, elle risquait de disparaître. Voilà l’OTAN en Afghanistan, et elle risque de disparaître, — si ce n’est déjà fait, selon certains. Dilemme postmoderne et américaniste.

L’OTAN est dans une curieuse et incertaine situation. Plus elle prend d’initiatives, plus elle s’élargit, plus son sort est en jeu. Elle semble suivre une “fuite en avant” sans fin, les observateurs et commentateurs surenchérissant constamment sur son destin, — de quitte ou double en quitte ou double, — chaque fois, il faut bien le dire, avec un “double” décevant. Dans ce cadre, on se demande si c’est une bonne idée qu’a eue le général britannique Richards d’annoncer que l’OTAN allait liquider les talibans en six mois. C’est cela ou, d’après Richards, s’aliéner les populations afghanes, qui seraient pour l’instant dans l’expectative. (C’est cela ou bien l’OTAN a perdu son pari, c’est-à-dire “la guerre”?)

Selon USA Today :

« NATO's commander here has set a six-month deadline to reverse a Taliban insurgency terrorizing southern Afghanistan or risk alienating Afghans undecided about whom to support.

» British army Lt. Gen. David Richards said his troops must prove to Afghans in the south that the fundamentalist Islamic militia won't be able to undermine the democratically elected Afghan government or stop efforts to rebuild the shattered country. »

Depuis, l’OTAN a laissé annoncer, ou disons a suggéré une grande victoire sur les talibans (200 talibans tués au cours de l’opération Méduse). Parallèlement, et comme si ceci expliquait cela, les commentateurs observaient une détérioration de la situation, notamment dans les populations locales. Il n’y a strictement aucune raison de croire à la lettre les comptes-rendus de victoire suggérés aux journalistes bien pensants par l’OTAN, et pas mal de raisons de croire qu’ils n’ont aucun rapport avec la réalité. Ce sont là les nouvelles habitudes de l’information dans les temps postmodernes, post-9/11, et l’OTAN doit vivre avec. (Elle a largement contribué à l’établissement de ces nouvelles règles avec la façon dont la guerre du Kosovo fut présentée par elle-même, la fiction, le “narrative” que nous servit l’OTAN en guise d’information.)

Par ailleurs, d’autres nouvelles, assurées celles-là, sont plus faites pour susciter un sérieux pessimisme.

• Général Jones, SACEUR (commandant en chef suprême des forces de l’OTAN), a demandé l’envoi de troupes supplémentaires. Selon le Times, l’état d’esprit de Jones est celui-ci : « General James L. Jones made the call after admitting that the alliance had been surprised by the extent of violence since Nato extended its peacekeeping mission into the[ southern] region a month ago. He also acknowledged that countries had been reluctant to commit troops to the international force, which has sustained increasing casualties due to fierce fighting with Taleban guerrillas, who were prepared to stand and fight rather than deploying their usual hit-and-run tactics.  »

• Il ne semble pas pour autant que les pays-membres aillent dans le sens voulu par Jones. Le Canada est un important contributeur (2.600 hommes) et il porte une part importante des combats avec les pertes qui vont avec (16 tués depuis le début de l’engagement OTAN, — y compris un par erreur des amis américains qui tirent plus vite que leur ombre). Le pays connaît le début d’un débat intérieur dont le terme pourrait ne pas plaire au SACEUR. Selon Reuters, le 6 septembre : «The rising death toll among Canadian soldiers in Afghanistan is prompting calls for the minority Conservative government to rethink Canada's military mission in the war-torn country. The issue is becoming a major problem for Prime Minister Stephen Harper's fragile administration and one prominent commentator predicted on Wednesday the Afghan mission would cost him support at the next election.»

L’OTAN et la réalité : strange bedfellows

L’OTAN est dans de beaux draps. Cette organisation ne sert plus à rien depuis 1989-91, — en termes convenus chargés d’une certaine hauteur nostalgique, on dit qu’elle a “perdu sa raison d’être”. Cette évidence ne convient pas aux plans de la bureaucratie pentagonesque et aux angoisses des généraux-frères des pays européens. Depuis 1989-91, on lui invente de façon saisonnière une nouvelle fonction. On l’élargit. On agrandit son champ d’intervention. On lance des réformes. On la “modernise” (à l’image des modernisations du Pentagone, c’est tout dire). Bref, on la maintient en état de survie artificielle.

La seule façon de conserver l’efficacité de la méthode, c’est d’éviter la confrontation avec la réalité. (En effet, la méthode de survie de l’OTAN ne peut être définie que par le mot “virtualisme”. C’est fait.) Le Kosovo fut une semi-confrontation avec la réalité, disons comme on trempe un doigt de pied dans l’eau froide : attaque contrôlée à 100% par les Américains, faite à 80% par eux, avec toutes leurs obsessions, missions aériennes jamais en-dessous de 5.000 mètres, pas d’engagement terrestre, etc., et pour emporter la “victoire” l’aide décisive des Russes qui lâchèrent Milosevic. Malgré cela, il y eut des heurts et l’on se posa des questions existentielles.

Les Américains, comme toujours conduits par leur psychologie de l’inculpabilité, dénoncent dans l’OTAN tous les maux qu’ils lui imposent et dont ils sont la cause puisqu’ils sont les leurs. Ils jettent en permanence un défi à l’OTAN : l’OTAN doit prouver qu’elle sert à quelque chose sinon autant la liquider ; bien entendu, dès que quelqu’un d’autre parle de réduire l’OTAN, son rôle, son gaspillage, ses erreurs constantes, etc., les Américains crient au génocide et menacent d’excommunier l’assassin en puissance. Ainsi va la folie des temps.

L’OTAN est donc confrontée au défi permanent de prouver qu’elle sert à quelque chose, — se le prouver à elle-même (l’OTAN vit dans l’angoisse permanente) et le prouver aux Américains (l’OTAN vit dans l’angoisse permanente de décevoir les Américains). Chaque fois, toute la mise est à nouveau jetée sur le tapis puisque le défi est existentiel (le fameux “quitte ou double”). A force de ce petit jeu, on finit par avoir ce qu’on prétend chercher et qu’en réalité on aimerait ne pas trouver puisqu'il s'agit de la réalité.

L’enjeu est aujourd’hui bien réel : l’Afghanistan, dont les Américains se désengagent parce qu’ils sont incapables d’aucun résultat que d’accentuer le désordre et les souffrances, et qu’ils n’ont plus les moyens de le faire que dans un seul pays, dans une seule guerre, et que c’est l’Irak. L’OTAN a hérité des méthodes. Les chefs qui lui sont affectés roulent des mécaniques devant les journalistes. Le secrétaire général (l’actuel est d’une exceptionnelle inconsistance batave) se met à croire qu’il pourrait servir à quelque chose. Sur le terrain, l’OTAN, cadenassée par ses doctrines, ses procédures, sa bureaucratie et ses obsessions, — tout cela américaniste pur jus, — se bat comme les Américains. L’effet de l’action si importante sur “les cœurs et les esprits” est l’inverse de ce qu’on espère. L’OTAN se les aliène à mesure de ce qu’obtinrent les Américains. Les Afghans commencent à détester les Européens regroupés dans l’OTAN autant qu’ils détestent les Américains.

L’OTAN est confrontée à la désormais habituelle “guerre de quatrième génération” (G4G), dont une autre définition pourrait être : la guerre que le monde américaniste bureaucratisé ne peut que perdre. Pas de raison que l’OTAN ne perde pas celle-là. Rendez-vous dans six mois, général Richards.

Cela dit, on trouvera bien des plumitifs MSM pour trouver dans le tas de gravats et de cadavres qu’aura laissé l’action occidentale un détail ou l’autre, inventé pour la cause, pour nous dire que la défaite n’est pas complète et qu’il y a des signes d’espoir. (Et puis il y a les “valeurs”, dont l’OTAN n’est pas avare : démocratie, droits de l’homme, liberté ; allez à Evere, vous serez fixés.) Ainsi va ce temps-là, médiocre et inutile en plus d’être fou : au plus vous êtes inefficace, destructeur, lourd et sans imagination, cruel par indifférence et barbare par arrogance, au plus on dit que vous êtes nécessaire et l’on vous remet sous perfusion. C’est dans tous les cas notre philosophie, “à nous”, à l’Ouest.

Il faut dire que, ces derniers temps, la méthode s’essouffle de plus en plus. C’est notre signe d’espoir à nous. Attendons, sans écarter les bonnes surprises (devinez lesquelles), pour voir ce qu’il restera, dans six mois, “du cœur et de l’esprit” de l’OTAN.