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12 septembre 2006 — L’Afghanistan est en train de devenir un théâtre d’opération “privilégié” en matière de dégradation et de pourrissement anarchique de la situation dont les Occidentaux semblent aujourd’hui les spécialistes incontestés. Une source dans les institutions européennes, qui travaille sur les affaires afghanes, nous a donné quelques indications qui permettent de mieux définir les conditions d’aggravation du problème afghan. «Un avis de plus en plus répandu parmi certains officiers des pays de l’OTAN qui ont d’abord été en Irak, notamment chez les Britanniques, est que ce conflit afghan est brutalement devenu très, très dur, plus dur même qu’en Irak. observe cette source. On décrit des attaques lancées contre des positions otaniennes, qui sont repoussées, circonstance dont la logique est d’attendre un répit, — et qui sont suivies immédiatement d’une autre attaque, et ainsi de suite… La pression est constante et d’une agressivité jamais vue.»
Des mesures d’urgence sur le terrain sont prises. Par exemple, des forces allemandes et néerlandaises, jusqu’alors cantonnées dans des régions de plaine assez calmes, sont dirigées à marche forcée vers les zones montagneuses de combat. «On imagine des unités allemandes engagées en tant que telles dans des combats d’infanterie, pour la première fois depuis 1945. Drôle d’affaire. On peut spéculer sur ce que vont être les réactions du public en Allemagne.» D’autre part, notre source estime qu’un certain désordre règne dans les forces alliées dans ces conditions difficiles, notamment quant aux autorités en charge. «Nous n’avons aucune indication précise là-dessus mais il m’étonnerait fort, par exemple, que les forces spéciales françaises, qui sont sous les ordres des Américains, ne prennent pas d’abord, et directement, leurs ordres des autorités françaises centrales.»
On a déjà vu les inquiétudes concernant l’OTAN jetée dans le chaudron afghan, inquiétudes pour l’OTAN et inquiétudes à l’intérieur de l’OTAN. Tout le monde sait qu’on demande d’urgence des renforts. D’autre part, nul n’ignore pas que la question se pose également, avec réponse en général sur le bout des lèvres, de savoir si ce n’est pas l’OTAN elle-même, et certaines de ses meilleures troupes qui sont en bonne partie responsables du chaudron afghan. Certains, parmi les militaires les plus chevronnés, protestent avec violence contre les tactiques employées en Afghanistan, qui aliènent aux Occidentaux des segments de plus en plus importants de la population.
Les talibans marquent ainsi des points. Les talibans ? Il n’est plus assuré qu’on doive peindre la situation en un affrontement entre les Occidentaux et les talibans. «En fait, il se pourrait bien qu’on soit en train de voir naître une résistance générale, où les talibans auraient leur rôle, mais qui ne serait plus essentiel et qui pourrait l’être de moins en moins. Les méthodes occidentales suscitent cette résistance, et cela pourrait bien être en train de changer la substance du conflit.»
Etrange situation. Les Occidentaux, — l’OTAN en l’occurrence, — partis en guerre en Afghanistan pour liquider les oppresseurs déjà liquidés une fois et revigorés par les fautes américanistes initiales, se retrouveraient eux-mêmes perçus puis combattus comme oppresseurs par une population que nos dirigeants politiques et nos intellectuels ne cessent de libérer en paroles depuis cinq ans, depuis leurs cafés de Saint-Germain-des-Près et leurs studios de Hollywood. Tout cela ressemble à une fable grotesque qui semble aujourd’hui la principale production possible de nos entreprises conquérantes.
Là-dessus se greffe un malaise grandissant dans les organisations internationales impliquées dans ce gâchis afghan. «Les organisations humanitaires et d’aide diverse de l’UE, toutes civiles, se trouvent en butte à des attaques incessantes, dit notre source. Non seulement, on craint que cette situation ne dure, mais on craint qu’elle empire. Ces organisations tentent à toute force de se distancier de l’OTAN sur le terrain, parce que l’OTAN y est perçue comme la source du désordre grandissant. A Bruxelles, dans les institutions européennes, on reste discret mais on sent qu’il y a un début de panique devant les perspectives d’aggravation possible de la situation.»
Ainsi est-on conduit à constater qu’il existe de facto sur le terrain une concurrence entre l’UE et l’OTAN, voire une quasi-hostilité en ce qui concerne les méthodes respectives. Il est évident qu’en l’occurrence, c’est l’OTAN, avec des méthodes jugées brutales et inefficaces et uniquement concentrées sur l’aspect militaire, qui fait figure d’accusé. Mais il est pour l’instant impératif, à Bruxelles, de dissimuler ces affrontements et d’affirmer une situation de bonne entente et de parfait voisinage des deux organisations en Afghanistan. «Tout doit être fait pour éviter une critique trop virulente et une mise en cause de l’OTAN. En fait, c’est la crédibilité de l’OTAN qui est en jeu et, comme d’habitude, la Commission et les autres institutions s’en jugent comptables, tant elles sont pénétrées par l’esprit atlantiste et tout ce qui va avec.»
Combien de temps cela durera-t-il, combien de temps cela pourra-t-il durer? Au-delà de la “solidarité” servile (des organismes européens pour l’OTAN, puisque l’OTAN est américanisée) à laquelle nous sommes habitués, il y a les intérêts propres de chaque organisation. Si la situation en Afghanistan doit encore se détériorer, on risque fort d’arriver à des circonstances où chaque organisation considérera ses propres intérêts selon un réflexe habituel aux bureaucraties. Mais comment cette situation ne se détériorerait-elle pas si le combat est en train de changer de substance? Si, au lieu de combattre une organisation en principe détestée par la population, il s’avère que c’est en partie cette population qu’on combat?
Le dernier point à mettre en évidence est la fragilité inhérente aux forces de l’OTAN, de par leur constitution même. Contrairement à l’Irak, ce sont elles, des forces non-américanistes, qui portent une part essentielle de la bataille. Leurs capacités sont soumises à autant de pressions internes, de l’opinion publique autant que de l’opinion tout court, qu’il y a de nations engagées, dans une guerre dont personne ne comprend le fondement et dont on doute de plus en plus des effets et des résultats. Alors que le commandement militaire de l’OTAN demande des renforts (qu'il n’a pas encore obtenus), les pressions s’accroissent au Canada pour un désengagement ou, dans tous les cas, une réévaluation complète de la situation et des méthodes développées par l’Organisation à l’inspiration pressante des Américains. Le commentateur canadien influent Haroon Siddiqui observe, le 10 septembre dans le Toronto Star : «The scum were to be squished. We were in Afghanistan to kill the Taliban. It was a matter of our survival; if we weren't there, they'd be here. (Arguably, they could be here because we are there, no? But such common sense questions are not permitted these days.) Now Ottawa has a new tune. Both the defence minister and the chief of the defence staff concede that the Taliban cannot be eliminated militarily. Should we, then, be talking to them, as Jack Layton suggests? No. We don't talk to terrorists.[…] The Iraqification of Afghanistan, running parallel to the Americanization of Canada under
Comme d’habitude dans chaque opération qu’engage l’OTAN depuis la fin de la Guerre froide, la “crédibilité” de l’OTAN est en jeu. Les USA, qui traitent l’OTAN comme un simple outil de leur politique, ne veulent rien d’autre qu’un complet alignement sur cette absurde politique uniquement appuyée sur la force militaire. En même temps, on sait que les USA ne disposent plus de la force militaire nécessaire, pas plus que l’OTAN elle-même qui court désespérément après ses 2000 soldats supplémentaires. La guerre en Afghanistan, mission qui doit “justifier” la nouvelle stratégie de l’OTAN, c’est-à-dire la raison d’être de l’OTAN elle-même, se referme comme un piège sur l’OTAN. Elle est un triste pion de plus dans l’immense désordre que la politique américaniste impose au monde.
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